Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 26.07.2022 - francois-desmeures - 7 min  - vu 1930 fois

FAIT DU JOUR Patrick Bellet, délégué gardois du Défenseur des droits : "Les citoyens sont en pétard contre leurs services publics"

(Photo François Desmeures / Objectif Gard)

Patrick Bellet a été délégué du médiateur de la République dès 1994, avant de devenir délégué du Défenseur des droits lors du remplacement d'une fonction par l'autre, en 2011 (photo François Desmeures / Objectif Gard)

Cadre à la préfecture du Gard, Patrick Bellet est devenu délégué du Défenseur des droits en 2011 quand celui-ci a remplacé le médiateur de la République. Son engagement remonte, donc, en réalité à l'instauration de cette fonction, en 1994. Alors que le Gard est l'un des six départements qui comptent le plus de délégués - 18 sur les 550 au niveau national -, Patrick Bellet revient sur ce qui a constitué l'activité du service de médiation en 2021, alors que le rapport d'activités vient de sortir. Comme au niveau national, le nombre de demandes est en croissance importante. Des doléances largement dominées par des problèmes de relation avec les services publics. Entretien.

Objectif Gard : Comment se porte l'activité du Défenseur des droits dans le Gard ?

Patrick Bellet : Je relisais le rapport de Claire Hédon. La défenseure des droits y parle de 18% de requêtes en plus. Chez nous, c'est 21%. On est donc dans un mouvement de reprise forte de l'activité, qui avait mécaniquement baissé pendant le confinement. Les permanences étaient fermées et on travaillait par mail et au téléphone. Avec 1 596 requêtes, on revient à un étiage plutôt haut, sur l'activité 2017-2018. Mais c'est aussi parce que nous sommes passés à sept délégués, avec René Cret qui a pris ses fonctions l'année dernière et avec lequel nous avons ouvert trois permanences de plus, à Remoulins, Pont-Saint-Esprit et Uzès. En Occitanie, un délégué traite environ 180 dossiers. On en est à 230 dans le Gard.

Est-ce du fait d'un maillage plus étroit ?

Du maillage. Mais aussi d'un réseau constitué, pour la majeure partie, sous l'égide du médiateur de la République et qui travaille ensemble depuis plus de 15 ans. On fonctionne de façon très complémentaire. Le bouche-à-oreille marche aussi très bien chez les défenseurs de droits : vous parvenez à satisfaire quelqu'un, il va le dire autour de lui, ce qui va mécaniquement vous amener des sollicitations. Et puis, quand on ouvre une permanence, les gens viennent plus facilement.

Vous voulez dire, quand le service se rapproche de la personne...

Tout à fait. C'est-à-dire qu'on fonctionne à l'envers de ce que fait le service public...

"Le social, c'est plus de 30% de notre activité"

Justement, l'immense majorité des 1 596 saisines dont vous êtes destinataire dans le Gard vient répondre à des dysfonctionnements de services public (96%). Loin devant des litiges relevant des droits de l'enfant et des discriminations (2% chacun). De quels types relèvent ces demande d'intervention auprès des services publics ?

Le social, c'est plus de 30% de notre activité (36%, NDLR (*)). Le domaine concerne toutes les relations avec les organismes sociaux : caisse d'allocations familiales, caisse primaire d'assurance maladie, Pôle emploi, les caisses de retraite, les relations avec le conseil départemental sur toute la dimension aide sociale (comme le RSA), ce qui concerne l'aide sociale à l'enfance car, bien souvent, quand on intervient sur le droit des enfants, on est aussi dans une relation avec les services publics. Le social est donc un portefeuille qui nous mobilise beaucoup. L'une de nos forces, c'est qu'on reçoit les gens là où le service public ne reçoit quasiment plus personne. Toute demande de rendez-vous est accueillie et le moindre rendez-vous, c'est trois quarts d'heure. D'abord, on va écouter, ce que, encore une fois, le service public n'a plus le temps de faire avec les moyens qui lui sont alloués et alors que le choix a été clairement fait, en France, de passer à un service public numérisé.

Justement, une part de votre activité ne vient-elle pas du manque de pratique ou de possibilité d'accéder à ces outils de la part des citoyens ? 

On ne critique pas le choix qui a été fait. Ce qu'on critique, chez le Défenseur des droits, c'est le fait qu'on n'accompagne pas ces dispositifs généralistes - qui fonctionnent bien dans 85% des cas - d'un système plus adapté pour les personnes hors du circuit numérisé. La fracture numérique, 20 à 25% de notre population en est victime.

"L'essentiel des réclamations pendant le covid ? Des familles dont la parentèle était en Ehpad"

Avez-vous été saisis, durant la période Covid par exemple par des soignants qui, refusant de se faire vacciner, auraient contesté leur éviction ?

De soignants, nous n'en avons pas eus, ça s'est réglé en interne avec les hôpitaux. On en a eus sur des services municipaux. Mais l'essentiel des réclamations émanaient de familles dont la parentèle était en Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Claire Hédon a sorti un rapport de 80 pages, en mars 2021, que j'ai lu et qui est la photographie exacte de la maltraitance en Ehpad. Je l'ai vécue personnellement avec ma mère, qui est restée enfermée quatre mois entiers dans une chambre, sans qu'on puisse aller la voir. On a eu des plaintes, les familles ne comprenaient pas. Alors que les soignants, eux, n'étaient pas obligés de se vacciner. J'ai dû faire remonter quatre ou cinq plaintes et mes autres collègues délégués du Gard aussi. S'il n'y avait pas eu cette consigne, on pouvait saisir l'Agence régionale de santé.

Y a-t-il un territoire, au sein du Gard, qui fait plus appel aux services du Défenseur des droits que d'autres ?

Nîmes a un niveau de requêtes que le chef de pôle régional - un organe professionnalisé qui n'est pas composé de bénévoles -, Romain Blanchard, juge assez élevé. C'est pour cette raison qu'il a obtenu l'autorisation de la défenseure des droits d'un poste supplémentaire sur Nîmes. On n'a jamais été autant saisis qu'actuellement. On ouvre aussi un poste sur Alès, puisque la déléguée actuelle souhaite s'arrêter.

"Le service public a tiré le rideau"

Plus la numérisation avance, plus vous êtes saisis donc...

Il y a plusieurs facteurs et il faut bien se dire les choses : le service public a tiré le rideau. Aujourd'hui, pour avoir un rendez-vous, il faut se lever matin ! Et puis, les guichets n'existent quasiment plus...

N'avez-vous pas le sentiment, de par la fonction que vous occupez, que les choix des administrations de s'éloigner du citoyen renvoient à celui-ci une image de toute puissance de l'administration avec laquelle on ne peut pas dialoguer, du fait de l'absence d'espaces naturels de médiation ?

Absolument, les citoyens sont en pétard contre leurs services publics, plus largement que les administrations. J'ai parfois des gens qui ont fait quatre, cinq, six mails, qui ont adressé des courriers recommandés. Nos concitoyens deviennent plus procéduriers qu'ils ne l'étaient avant. Auparavant, ils nous expliquaient avoir tenté d'appeler. Aujourd'hui, ils gardent les mails, les copies d'écran, etc. Et on voit bien que ça ne marche pas. Alors que notre but, c'est de travailler sur le dialogue. Chaque fois qu'on le restaure, ça marche. Et ça explique qu'au niveau national, on en soit à 80% de succès dans les médiations engagées, 81% dans le Gard.

Que se passe-t-il avec les 19% restants ?

On intervient sur la base d'un dossier qu'on nous a fourni et qu'on instruit, en droit. On met le doigt sur un problème de droit. Il y a des dossiers pour lesquels on n'avait pas toutes les infos ou qui se heurtent au principe général du droit qui dit que nul n'est censé ignorer la loi. Parfois, le service public  nous dit qu'il maintient sa position. Parfois, entre-temps, la personne abandonne parce qu'elle est passée à autre chose. Parfois, s'il n'y a pas de règlement et que la personne estime être dans son droit, on l'encourage à saisir une juridiction, en lui disant même quelle juridiction est compétente. Il y a aussi des cas - notamment à la CAF - où si on nous donnait systématiquement raison, ce sont des millions d'euros que les CAF seraient amenées à payer. On ne bouge pas, on laisse avancer le législateur ou les juridictions.

N'y a-t-il pas une frustration, par moments, de ne pas disposer d'un pouvoir de coercition ?

Nous, on n'en a pas. Mais la défenseure en a, elle peut aller au tribunal. Pas à la place de la personne : une fois le dossier constitué, la défenseure des droits s'y associe pour faire avancer le droit, pour rechercher une décision qui va faire jurisprudence.

"Urgentistes de la société civile"

N'avez-vous pas le sentiment d'écoper une violence sociétale créée par le désengagement de l'État et la distance avec le citoyen ?

C'est clair. Lors de la dernière réunion collégiale, un collègue de l'Hérault - ancien cadre de l'administration - a soulevé pour la première fois cette préoccupation au chef de pôle régional, en présence du défenseur des enfants, adjoint de Mme Hédon : "Moi, depuis deux ans que je suis délégué, j'ai l'impression d'être, finalement, un service public au rabais. Je suis bénévole, je fais ça parce que je me sens encore la capacité d'aider mes concitoyens. Mais j'ai quand même l'impression - et je sens que ça évolue vers ça - qu'on fait le boulot que le service public ne fait plus." Oui, effectivement, il n'a pas tort : quand vous recevez des gens qui ont fait tout ce qui relevait de leur devoir de citoyen... L'un d'entre eux m'a dit, l'autre jour : "Vous êtes les urgentistes de la société civile".

La tendance est-elle d'élargir encore le champ de compétences du Défenseur des droits ?

Les tribunaux administratifs sont demandeurs, depuis cinq ou six ans, de ce que le défenseur des droits devienne un espace de recours préalable à la saisie. Parce que les juridictions administratives sont noyées sous le droit des étrangers et les droits sociaux. On marche sur des œufs parce que le Défenseur des droits est une autorité indépendante et il est difficile de la faire entrer dans un processus qui en ferait un échelon d'une procédure administrative. L'expérimentation s'est faite sur trois régions. Les premières conclusions n'iraient pas vraiment dans le sens que souhaitaient les tribunaux administratifs.

Propos recueillis par François Desmeures

francois.desmeures@objectifgard.com

* Dans les 96% de saisines liées aux dysfonctionnements du service public, 36% relèvent de la protection sociale, 18% du droit routier, 15% du droit des étrangers, 6% de la fiscalité et 6% de l'environnement ou de l'urbanisme.

www.defenseurdesdroits.fr. Deux délégués de la Défenseure des droits sont actuellement recherchés dans le Gard, l'un en matière de droits de l'enfant, l'autre pour les discriminations. Aucune compétence juridique n'est requise, tous les profils sont les bienvenus. Néanmoins, une bonne compétence d'écoute et le sens du contact restent nécessaires. Les délégués s'engagent à tenir deux demi-journées hebdomadaires de permanence d'accueil du public. Bénévoles, les délégués perçoivent chaque mois 404 € au titre d'une indemnité forfaitaire représentative. Adresser une lettre de motivation et un CV à occitanie@defenseurdesdroits.fr. 

François Desmeures

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio