FAIT DU JOUR Suppression de l'abattement : les agriculteurs passent à l'action
Hier matin, tandis que le ministre de l'Économie, Bruno le Maire, disait réfléchir à des mesures compensatoires alternatives, les agriculteurs gardois ont mené plusieurs actions pour manifester leur opposition à la décision du gouvernement de mettre fin à une disposition datant de 1985.
Lundi matin les usagers de l'autoroute A9 qui empruntaient le péage de Nîmes Ouest ont eu un peu de retard au travail. C'est en effet là que les agriculteurs gardois ont mené leur première action de la journée, offrant des sacs de pommes et étalant sur la chaussée des arbres fruitiers qu'ils avaient sacrifiés sur l'autel de la colère.
Pour la filière, l'enjeu est simple : il s'agit ni plus ni moins que de continuer à pouvoir encore faire face, tant bien que mal, à la concurrence des pays frontaliers (Espagne, Italie) ou des pays tiers (Maroc, Allemagne (*)). Une concurrence qui joue déjà largement en faveur des pays exportateurs dont le prix horaire de la main d'oeuvre pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d’emplois (TO-DE) n'a rien de comparable avec celui pratiqué en France.
Les raisons de la colère
"Actuellement en Espagne et en Italie, le coût de la main d'oeuvre est déjà inférieur d'un tiers. Avec l'application de cette mesure, chez nous il passerait de 11,64 euros à près de 16 euros", évoquait l'un des manifestants. Un constat de nature à provoquer l'ire de la centaine de professionnels du secteur rassemblés devant les grilles de la préfecture à l'invitation de la FDSEA et de la fédération des Jeunes agriculteurs. Sur les pancartes on pouvait lire "Macron président des friches".
Les agriculteurs ont fait leurs comptes : à raison de 10% de surcoût du taux horaire par salarié, l'abandon de cette mesure d'exonération fiscale générerait une hausse mensuelle du coût du travail estimé entre 190 et 400 euros par mois. Avec comme dommage collatéral la destruction de plusieurs milliers d'emplois en Occitanie (125 000 contrats pourraient être impactés, NDLR), région grosse pourvoyeuse de travail saisonnier agricole.
Hausse de 10% de l'heure du travail saisonnier
"On ne pourra plus être concurrentiel", lâche une arboricultrice qui ne veut pas se retrouver la bonne poire d'une décision gouvernementale qui devrait prendre effet - si elle est maintenue - au 1er janvier prochain. Déjà usée jusqu'au trognon et cumulant les pépins, la profession ne peut pourtant pas faire l'impasse sur la main-d'oeuvre saisonnière qui représente pourtant 65 à 70 % du coût de production des pommes. Alors que faire ?
Selon Jean-Louis Portal, vice-président de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles), "cette décision va impacter sévèrement les 5 800 exploitations gardoises et leurs 15 000 emplois. Viticulteurs, pépiniéristes spécialisés dans les plants, producteurs d'oignons doux des Cévennes, arboriculteurs et maraîchers : tout le monde va être touché". Et le responsable syndical de mettre le gouvernement face à ses responsabilités : "Il a des choix budgétaires à faire. Pour les exploitations maraîchères et arboricoles les plus importantes, c'est un manque qui va se chiffrer aux alentours du million d'euros".
Il va sans dire que la suppression de cet abattement entraînera une hausse brutale des coûts de production ne sera pas sans se répercuter sur le prix de vente alors que le consommateur lambda n'est peut-être pas prêt, ni en capacité économique d'accepter de payer la production locale au prix fort. Et dire que dans le même temps on nous rebat les oreilles avec des slogans en faveur des circuits courts et du "consommer local et Français"...
Reçu avec une délégation de sept personnes par le préfet, Didier Lauga, et le directeur départemental des Territoires et de la Mer, le président de la FDSEA, David Sève, se montrait optimiste mais prudent : "on a fait remonter nos inquiétudes et je pense que l'on a été écouté et entendu (**). On va attendre de voir ce qui en ressort. On ne se bat pas pour la cerise sur le gâteau, on se bat pour le gâteau. Il faut arrêter de pénaliser le travail". Et d'avertir à propos d'une - éventuelle - prochaine manifestation : "la prochaine fois, ça sera moins drôle. Les gens jouent leur survie." À bon entendeur...
Philippe GAVILLET de PENEY
* Après la réunification entre les ex-RFA et ex-RDA, l'Allemagne a continué à bénéficier des accords établis par l'ex-RDA et les pays du bloc socialiste, permettant aux travailleurs des pays de l'Est concernés de travailler en Allemagne aux taux horaires en vigueur dans leurs pays respectifs.
** Avant d'être préfet, Didier Lauga a été conseiller technique au cabinet du ministre de l'Agriculture Henri Nallet, puis directeur-adjoint de cabinet de Louis Mermaz au même ministère. De quoi faire naître l'espoir chez les agriculteurs gardois d'être bien représentés pour faire entendre leurs doléances en haut-lieu.