FAIT DU JOUR « Une attente immense » chez les harkis
Le « pardon » demandé par le président de la République Emmanuel Macron il y a quelques jours, en amont de la journée nationale d’hommage aux harkis et aux forces supplétives de la guerre d’Algérie, qui doit être suivi d’une loi, remet sur la table les plaies mémorielles laissées béantes, près de soixante ans après. Notamment dans le Gard rhodanien, où le deuxième plus grand camp de transit de harkis se trouvait, à Saint-Laurent-des-Arbres.
C’est un coin du Gard où le drame harki a plus de relief qu’ailleurs. Un coin situé à l’est du département, et plus précisément à dix kilomètres de Bagnols, où plusieurs milliers de harkis et leurs familles étaient parqués entre les barbelés de 1962 à 1976, matérialisation honteuse de « l’accueil » réservé à ces soldats et à leurs familles qui avaient choisi la France en combattant pour elle de 1954 à 1962, et dont la mémoire a été longtemps tue.
Il faudra attendre le 25 septembre 2001, il y a vingt ans, pour que le président d’alors, Jacques Chirac, adresse aux harkis « un message solennel de respect, d’amitié et de reconnaissance », rappelle le président des Anciens combattants de Bagnols Jean-Claude Mougenot. Mais le chemin était encore long : si cette mémoire n’était plus cachée, elle restait à la marge. L’érection d’une stèle dédiée aux harkis à Bagnols en 2003, année de l’instauration de cette journée nationale, le démontrait : la stèle était placée non pas aux monuments aux morts mais sur un pauvre rond-point, entre un Intermarché et un Kiabi.
Aujourd’hui, les choses évoluent. Le discours d’Emmanuel Macron s’inscrit dans un processus qui voit petit à petit cette page sombre de l’histoire de notre pays être connue et reconnue. Ainsi, la stèle de Bagnols a été déplacée au monument aux morts du square Thome, et elle a été inaugurée une seconde fois ce samedi en présence des autorités et des associations harkas. Un symbole fort, qui correspond aux mots de la Secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées Geneviève Darrieussecq, lus par l’élu bagnolais Christian Baume, des mots peut-être plus forts cette année. « La France regarde son histoire en face et fait sienne cette exigence de vérité » écrit la secrétaire d’État en hommage à « ces hommes qui ont rendu un service éminent à la France et ont tout risqué, leurs vies, leurs biens, leurs familles. »
« La France a abandonné ses propres fils »
Des harkis qui ont payé le prix fort et face à qui la France n’a pas été à la hauteur. « La France a abandonné ses propres fils qui l’avaient servie », écrit la secrétaire d’État. De fait, pour ceux qui l’avaient choisi, les mois et années qui ont suivi le cessez-le-feu ont été terribles : massacres, emprisonnements, et pour ceux qui avaient réussi à rejoindre la France au prix d’un douloureux exil, placement dans des camps. « La promesse de la République ne fut pas respectée », écrit Geneviève Darrieussecq, évoquant « une marginalisation inacceptable. »
Mais « notre pays a cheminé vers la voie de la reconnaissance », poursuit-elle. Localement et symboliquement, avec le déplacement de cette stèle, « afin que la mémoire soit honorée avec respect », note Rahib Benali, représentant de l’association harka ARACAN, qui se présente comme « fils et petit-fils de soldats armés d’Afrique ». Un homme qui rappelle ce qu’ont subi ses aïeux : « abandon, désarmement, massacres, discriminations, relégation dans des camps. » Il évoque « un déni collectif » qui a trop longtemps frappé cet épisode douloureux et « l’espoir qui vient d’Emmanuel Macron » qui, outre le pardon, « a annoncé la réparation, nous avons espoir que ce chef de l’État mettra fin à l’hypocrisie qui consiste à reconnaître l’abandon des harkis dans les discours mais pas dans une loi. » Cependant, même s’il affirme que « l’attente est immense », échaudé, il se dit « circonspect pour la suite », les élections approchant, car « le temps presse, les vieux se meurent. » Parmi eux, Mehdi Bougoura, fervent défenseur de la cause harka, décédé cette année.
« Aujourd’hui, nous sommes en quête d’une véritable reconnaissance, lance Hacène Arfi, le président de la Coordination harka. La blessure est toujours là, la plaie n’a été jamais soignée mais cachée. Nous avons le devoir de dire la vérité, les harkis ont été victimes d’une terrible tragédie. » Des mots prononcés devant la stèle du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, à Saint-Laurent-des-Arbres, ce samedi soir, un des « camps de la honte », selon ses propos.
« C’est bien les mots. Mais ce qu’on demande c’est une véritable réparation »
Si le chemin vers la reconnaissance est engagé, certains, à l’image du militant harki Hocine Louanchi, un des meneurs de la révolte du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise en 1975, ne sont pas prêts à donner un chèque en blanc à Emmanuel Macron, soupçonné de faire un « coup de com’ » sur le dos des harkis. « Il répond par une loi, mais le compte n’y est pas au niveau financier. Ce qu’on entend, ce sont des miettes, or ce qu’on a subi, ce ne sont pas des miettes, beaucoup de personnes ont été traumatisées et vivent difficilement », lance-t-il, inlassablement habité par la cause de sa vie. Les excuses du président ? « C’est bien les mots. Mais ce qu’on demande c’est une véritable réparation du préjudice qu’on a subi, tonne Hocine Louanchi. Et nous demandons un lieu de mémoire, à Saint-Maurice on nous interdit de rentrer. »
« Nous avons le devoir de revaloriser les pensions des anciens combattants et de leurs veuves, et nous allons créer une commission nationale qui supervisera le recueil des témoignages et le processus de réparation », affirme le député Anthony Cellier. Un député qui s’est engagé ce samedi « à travailler sur un espace mémoriel à Saint-Maurice-l’Ardoise », où de nombreux harkis morts sur le camp ont été enterrés sans sépulture, pour la plupart des nourrissions. « Nous demandons la réhabilitation de ces défunts », affirme Rahib Benali lors de la commémoration de ce samedi soir devant le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise
La route est encore longue pour arriver à, si ce n’est refermer, apaiser les plaies laissées béantes depuis bientôt soixante ans. Malgré tout, Rahib Benali l’affirme, « nous aimons notre drapeau et nous sommes prêts à combattre à ses côtés si besoin. »
Thierry ALLARD
thierry.allard@objectifgard.com
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Le lieu de mémoire demandé par les associations et évoqué par le député se trouverait sur un terrain à l’entrée de l’ancien camp de Saint-Maurice-l’Ardoise mis à disposition par le ministère de la Défense. L’idée est d’y faire « un centre d’interprétation mémoriel strictement dédié aux harkis », explique le Bagnolais Alain David, ancien du ministère de la Défense, qui a travaillé sur le projet. Le ministère met le terrain à disposition pour cinq ans, le temps pour l’Agglo du Gard rhodanien, chargée du dossier, de produire un avant-projet.