FAIT DU SOIR Tony Gatlif, itinéraire d'un militant de la vie
Le réalisateur, scénariste, compositeur, acteur et gueule du cinéma français, Tony Gatlif, était de passage à Nîmes pour l'avant-première de son film Tom Medina, qui sort le 4 août prochain, au Sémaphore. Interview.
Objectif Gard : Comment allez-vous ?
Tony Gatlif : C'est bizarre, mais ça va ! Nous sommes dans un monde bizarre, mais même dans ce monde-là il faut faire avec, il faut continuer à croire.
Tom Medina, lui, croit tout le temps...
Oui, c'est ce qui le sauve !
Croire, c'est vous aussi, ça a toujours été vous. Vous n'êtes jamais dans le compromis négatif, vous avancez quitte à ne pas être dans la norme, c'est ça ?
Oui, il faut croire, absolument, on y croit toujours et c'est ce qui marche, sinon c'est terrible... Moi, je vous parle comme ça, mais j'ai passé des moments dans mon enfance et un peu après qui ont été terribles. Mais allez, on ne va pas faire pleurer dans les chaumières ! Ça construit et surtout, ce qu'on a vécu, il ne faut pas le faire vivre aux autres. Faire du cinéma, c'est ça pour moi. On y va, on montre aux autres ce qu'on a vécu sans trop les assommer. Il faut toujours croire en notre histoire et dans le monde dans lequel nous vivons.
Avec ce film, qu'avez-vous essayé de montrer ?
J'ai parlé de ma vie, de mon histoire d'enfant, quand j'avais 12 ans. Je suis venu en Camargue, depuis Alger, dans les années 1960. J'y ai atterri poussé par un juge pour enfant qui m'a foutu là-bas, comme Tom Medina. J'étais dans un mas, la Chevauchée, de Jeannot Cochet, un mec fantastique, génial, il avait une gueule de western, un Camarguais ! Il connaissait ses chevaux, la nature, tout. Quand on arrive quelque part, un type comme ça, c'est comme un maître.
Dans le générique vous remerciez tous ces gens...
Oui, quand j'étais au foyer de délinquants, j'ai eu un mec formidable. Avec des mecs comme ça on s'en sort. Mon maître d'école à la fin des années 1950, monsieur Claude Désherbé, qui nous a enseignés le Français car je parlais comme tous les Pieds-Noirs algérois ! C'était un mélange de plein de langues... Avec les militaires, ils avaient ouvert une école en 24 heures, avec des pré-fabriqués, ils nous ont mis dedans et c'était impossible pour nous de rester sages... Je m'évadais par la fenêtre, mais finalement il a réussi à nous attraper, à nous faire asseoir grâce au cinéma car il projetait des films !
C'est donc par le cinéma que vous êtes devenu celui que vous êtes aujourd'hui ?
Exactement, c'est par la passion que je m'en suis sorti.
Et la tauromachie ? Tom s'en sert un peu de la même manière.
Oui, c'est la passion. Ces gars tentent aussi le tout pour le tout !
C'est l'histoire du film, tenter, tout, constamment ?
Oui et c'est ça qui marche ! À un moment, on se met à oser. Il n'y a pas la notion de ça passe ou ça casse, non, mais on tente, on ose. Tu oses et toujours ça paie. On devrait l'enseigner à l'école alors que l'audace est perçue comme quelque chose de péjoratif, de négatif. Évidemment qu'il faut du culot, qu'il faut oser !
Il fallait aussi oser une sortie estivale !
Oui. Aujourd'hui c'est assez osé car nous vivons un moment où il ne faut absolument pas calculer quoi que ce soit ! Si on, calcule, ça ne marche pas parce qu'on ne sait pas ce qu'on va vivre demain... On ne sait pas ce qui va se passer. Rien ne dépend plus de nous, ça dépend de chefs qui nous imposent ce qu'ils veulent. Vous vous rendez compte, on ne peut pas aller au cinéma à plus de 50 personnes ! Et en plus avec des conditions draconiennes... Je ne sais pas pourquoi il s'attaque au cinéma comme ça, Macron a un problème avec le cinéma, il n'aime pas le cinéma ! Là, il nous embête... Franchement ! Et à chaque fois, on a droit à de nouvelles histoires absurdes. Il a une dent contre le cinéma, mais il a tort car le cinéma, c'est la vie !
Pourquoi avoir tourné en Camargue ?
C'est mon histoire personnelle, je m'en suis inspiré. J'avais 12 ans au moment où tout le monde ou presque partait de l'Algérie pour venir travailler en France. C'était un sacré bordel ! Je suis passé de Marseille à Paris, j'étais tout seul, j'aime les gens de Mas Thibert, ce sont des gens formidables !
Les repérages, le tournage, vous avez choisi des endroits familiers ?
J'ai tourné à Salin de Giraud, Arles et aux Saintes-Maries-de-la-Mer, partout dans les manades et ganaderias dont celles de Blohorn et Cuillé. C'était super, les Camarguais sont exceptionnels ! Ils m'ont accueilli comme jamais on m'a accueilli. La Camargue me plaît parce qu'elle est sauvage. Ce n'est pas une terre d'accueil car la vie y est dure, il faut oser vivre en Camargue. Il n'y a rien de divertissant, c'est rude, il faut aimer les animaux sauvages et les respecter ou alors on passe sa route.
Vous parlez d'une Camargue sauvage, mais dans le film on y voit l'empreinte de l'Homme avec tous les plastiques que retrouve Suzanne... Pourquoi ?
Je voulais absolument le montrer, le mettre dans le film. Je ne dénonce pas, il n'y a rien à dénoncer aujourd'hui, ces plastiques se sont fichus sous les buissons et les arbres, ils sont vieux de 30 ou 40 ans et parfois plus encore ! Mais on en retrouve beaucoup... Normalement, la Camargue est pure. Il faut faire attention et la débarrasser de ces déchets nocifs.
Et votre relation avec la coproductrice du film, Maja Hoffmann, une Arlésienne pas comme les autres...
Elle est venue me voir au commencement du film, elle voulait m'aider. Je n'aurais jamais fait un film comme ça sans elle. J'ai filmé 25 chevaux dans un plan ! Sans elle, j'aurais pu avoir deux chevaux comme dans les films plus pauvres... Elle m'a donné un coup de main financier et sur la production. Et puis, elle est Camarguaise !
Dialogue, scénario, musique, vous écrivez tout dans ce film ?
J'ai fait la musique avec ma collaboratrice, Delphine Mantoulet, comme depuis longtemps ! Depuis 2004, Exils. Elle m'aide beaucoup.
Dans la première scène du film, on voit les arènes d'Arles et une corrida. Pourquoi ce choix fort ? Et pourquoi un espontaneo (un espontaneo est un apprenti torero qui peut sauter en piste pour attirer l'attention sur lui et le message qu'il veut communiquer, Ndlr) ?
Ils parlent tous espagnol ! Tout démarre d'une histoire que l'on m'a raconté. Deux vieilles aficionados nîmoises m'ont dit qu'un jour, un torero qui avait vu passer un chat noir alors qu'il allait entrer en piste n'a pas voulu y entrer à cause de cela, par superstition. Ça portait malheur ! C'était une belle scène de cinéma. Pour l'espontaneo, chacun a son histoire. Même Simon Casas en fut un sacré ! Il saute, il ne savait pas toréer et il est devenu célèbre. Ce sont des audacieux. J'ai voulu en parler, c'est une histoire vraie et ça me permet de parler de la non corrida !
Vous en êtes finalement fier de ce film ?
Je suis surtout fier de l'avoir réalisé en plein confinement ! Ce fut très dur, quasi impossible très souvent. On a réussi à le faire et ça, c'est déjà beaucoup. On ne pouvait pas sortir une caméra, tout était bouclé pendant deux mois, on a été interrompu pour le confinement, puis on a repris dès qu'on a pu. On ne pouvait techniquement parlant rien louer. Même pour bouger, on s'est fait attrapés par les policiers, ils nous ont dit qu'on faisait peur à la population...
Après Tom Medina, quels seront vos projets ?
La musique ! Beaucoup, j'y pense beaucoup. On a fait un concert à Cannes avec 13 personnes sur scène après la projection. On l'a refait ailleurs et c'était vachement bien, magnifique. Donc ça donne des idées. Tous veulent en faire une tournée, mais j'ai autre chose à faire que ça... Il faut que je travaille !
Le casting est novateur. Comment avez-vous choisi les trois principaux acteurs ?
David Murgia (Tom Medina) est un jeune homme avec lequel j'ai déjà travaillé, qu'on redécouvre parce qu'il est génial et que je voulais absolument faire ce film avec lui car c'est lui qui me représente plus jeune. Karoline Rose fait un maréchale-ferrante, parfaitement bien. Et puis, Slimane Dazi, qui est Ulysse, un père tranquille. Une gueule, un Lino Ventura, très bien, superbe. Ce sont des acteurs que l'on ne voit jamais. Là, ils sont tous ensemble, associés et ils donnent un soin au film assez beau.
D'autres projets ?
Toujours la musique, j'ai toujours fait la musique dans mes films. Pour Tom Medina, c'est magnifique de parler, dans un film, avec la musique, sans la parole. Je filme un gamin qui ne parle pas, il a quelque chose à cacher qu'il ne veut pas dévoiler. Il a un mal fou dans sa vie intérieure, donc il essaie de dire les choses mais il le fait en silence. Comme s'il parlait sans voix avec des gens qu'il aime. En mettant la musique sur les silences, c'est elle qui parle à sa place. Karoline Rose (Stella) est un rockeuse de métal, elle est géniale car elle complète Tom, elle est comme le flamenco !
Allez, pour finir, vous avez une carte blanche...
J'ai une façon de parler de l'écologie, mais tout le monde doit s'emparer du problème. J'ai l'impression qu'on découvre ça maintenant... Tout cela existe depuis très longtemps ! Je vais vous raconter mon histoire. Quand j'avais entre trois et cinq ans, j'allais ramasser des câbles pour les faire fondre et récupérer le métal. La première fois que j'ai dû le faire seul, j'ai découvert la pollution. J'ai voulu allumer le feu, il y avait du bois et ce que je croyais être du papier. J'ai mis le feu au papier et en fait, c'était de la matière plastique qui s'est mise à fondre et à m'envelopper la main. J'en ai encore les cicatrices. J'avais compris que c'était nocif... Ça faisait bizarre, c'était un peu diabolique un truc qui dansait sur ma main ! Je n'avais jamais vu ça avant et je n'ai plus recommencé, mais il faudra que cette saleté de plastique finisse par se barrer !
Propos recueillis par Anthony Maurin