FOURNÈS Le projet Argan-Amazon devant le Tribunal administratif
Le projet de centre de tri d’Argan, porté pour le géant du e-commerce Amazon, à Fournès, était devant le Tribunal administratif de Nîmes ce jeudi. À l’issue d’une après-midi d’audience qui a vu les avocats des différentes parties plaider sur l’autorisation environnementale puis sur le permis de construire du projet, le jeu reste ouvert.
« C’est un dossier monté à l’envers » : Me Roxane Sageloli, l’avocate de l’association ADERE sur le volet environnemental, association qui s’oppose au projet depuis des années, n’a pas retenu ses coups contre le projet de centre de tri Amazon de Fournès. Un projet qui ne respecterait pas les règles environnementales, se fondant sur « les mécanismes dérogatoires », et, au-delà, serait contestable dans son caractère fondamental. Et ce d’autant que « les chiffres d’emplois avancés, de 200, sont extrêmement bas et hypothétiques », estime l’avocate.
L’avocate des opposants arguera également, entre autres, des emplois détruits par le e-commerce, et du projet de village de marques, prévu sur le même terrain il y a une dizaine d’années, censuré par la justice en 2014 alors qu’il était bien moins étendu que le projet Amazon. L’impact paysager revient aussi dans son argumentaire, à quelques kilomètres du Pont du Gard, pour un projet dont « les impacts sont colossaux, on n’a jamais cherché à les éviter, seulement à les compenser. »
L’avocat de la Confédération des commerçants de France Me Douëb prendra la suite pour défendre l’intérêt à agir des commerçants, contesté par la rapporteur publique Mme Corneloup. Car même si le nom d’Amazon n’apparaît pas officiellement, « il est le preneur du bail », rappelle l’avocat, qui arguera des emplois détruits par le géant du e-commerce. L’association France Nature Environnement interviendra par Olivier Gourbinot, pour évoquer des doutes sur la validité de la compensation prévue pour la pie grièche.
L’avocat de la commune de Fournès Me Jean-Luc Maillot prendra ensuite la parole pour inciter la rapporteur publique à la nuance et à la « recherche de l’équilibre entre l’interdiction est la dérogation », devant une appréciation de la rapporteur publique qui lui paraissait « sévère », cette dernière ayant retenu un critère environnemental pour soutenir l’annulation de l’autorisation environnementale. L’avocat rappellera également que le terrain en question était une ZAC.
Quant à l’avocat d’Argan, il affirmera que les espèces protégées en question « vous les trouvez partout », et que « à chaque fois qu’il y a un projet sur une surface aussi conséquente vous avez la rencontre avec une espèce protégée et son habitat. » L’avocat affirmera également que « pour la pie grièche il y a 30 ha de sites compensatoires ». Plus largement, l’avocat du porteur du projet affirmera sur l’intérêt public majeur que « ce sont les collectivités locales qui émettent le besoin » et que sur les différents chiffres, notamment d’emploi créés, « la vraisemblance est suffisante, le dossier il faut lui faire un minimum confiance, on ne peut pas systématiquement contester, tout remettre en cause. »
L’avocat d’Argan, du cabinet Boivin & Associés, dira avoir « un peu l’impression qu’on est moins sur le procès de la dérogation que sur celui du commerce en ligne. » L’avocat avancera le chiffre de « 640 équivalents emplois », avant d’affirmer qu’il n’y avait pas de co-visibilité entre le projet et le Pont du Gard. Quand bien même, cette co-visibilité « n’induirait pas automatiquement une dévalorisation pour le site », selon la représentante de la préfecture, qui rappellera que le secteur avait « une vocation industrielle. » Quant à l’emploi, la préfecture arguera du fait que « la logistique est un secteur en tension actuellement. »
« Ce n’est pas encore joué »
Sur le volet du permis de construire, les choses sont moins bien engagées pour les opposants. La rapporteur publique invitera ainsi le président à « statuer sur l’irrecevabilité » des 7 requêtes des opposants, rejetant l’intérêt à agir pour cinq d’entre eux. Quant aux différents moyens soutenus par l’avocate des opposants Me Alexandra Bouillard, notamment sur son principal argument, du fait que des élus de Fournès ont vendu des terrains leur appartenant pour le projet, ce qui leur vaut une information judiciaire pour « prise illégale d’intérêts », ils ont été écartés par Mme Corneloup.
Pas de quoi empêcher Me Bouillard de les évoquer de nouveau en insistant dans sa plaidoirie, outre sur l’intérêt à agir des 7 requérants, sur son principal argument, les « quinze parcelles cédées par des élus », qu’elle considère comme « une violation du devoir de probité des élus. » L’avocate démontera l’argument des emplois, arguant de la robotisation engagée par Amazon, ou encore du fait que le futur centre de tri devrait être, à son sens, classé ICPE, installation classée protection de l’environnement, compte tenu du fait qu’il entreposera notamment des produits dangereux.
L’avocate d’Argan, toujours du cabinet Boivin & Associés, arguera de l’irrecevabilité des recours, « aucun requérant n’apportant ne serait-ce que le commencement d’une justification d’un trouble de la jouissance de son bien », y compris Patrick Genay, apiculteur sur le secteur dont l’intérêt à agir était jugé recevable par la rapporteur publique. « Sa requête est celle d’une personne physique et non d’un exploitant, et il n’a rien apporté s’agissant de ses pertes potentielles », affirmera l’avocate, avant de rappeler, concernant la co-visibilité, que le projet « n’est pas dans le périmètre des 500 mètres autour du monument. »
Enfin, l’avocat de la commune de Fournès rappellera brièvement, « sur le fond, que la légalité d’un permis de construire s’apprécie au regard des règles de l’urbanisme », balayant du même fait les arguments de la partie adverse.
Les deux dossiers sont mis en délibéré, le jugement sera rendu le 9 novembre. À la sortie du tribunal, les opposants souligneront le fait que la rapporteur publique avait retenu un argument environnemental, même si l’ambiance n’était pas vraiment à l’allégresse. Dans l’autre camp, on estime que le cas du permis de construire ne laisse que peu de place au suspense. Quant à l’autorisation environnementale, « ce n’est pas encore joué, estime Me Maillot, avocat de la commune de Fournès. Le droit n’est pas une science exacte. » Dans un camp comme dans l’autre, on envisage d’ores et déjà un appel.
Thierry ALLARD