LA GRAND COMBE Fabrice Éboué : "Faire le pitre, je sais faire"
À 45 ans, Fabrice Éboué revient avec un quatrième spectacle baptisé Adieu hier, plus décomplexé que jamais. Corrosif au possible, parfois sarcastique, son humour ne laisse jamais indifférent, surtout lorsque sa plume s'aiguise pour évoquer sans fard l'actualité. Sa scolarité dans le même établissement qu'Emmanuel Macron, les réseaux sociaux, les "féministes exacerbées" ou encore la "cancel culture", l'ex-pensionnaire du Jamel Comedy Club n'est pas très à l'aise avec son époque et le fait savoir. Interview de celui qui se produira le 28 octobre prochain à la salle Denis-Aigoin de La Grand'Combe.
Objectif Gard : Dans Adieu hier, vous dites cette phrase selon laquelle vous vous sentiriez "plus proche d'un vieux de 90 ans dans un Ehpad que d'un jeune de 20 ans". Quelle est la part de vérité dans ces propos ?
Fabrice Éboué : C'est pour illustrer le titre du spectacle. C'est vrai que le covid nous a éloignés du théâtre, autant le public que les comédiens. Je pense que c'est une période qui a accéléré beaucoup de choses, dont la révolution numérique par le biais du télétravail. On a opéré en deux ans ce qui aurait dû arriver dans 10 ou 15 ans. Pour le coup je sépare clairement les générations entre ceux qui ont grandi avec le numérique et ceux qui tentent de s'y adapter, c'est mon cas. Je m'amuse avec mon âge. À 45 ans, je considère que je suis vieux. Cette révolution numérique, soit vous en êtes, soit vous en êtes pas. Je n'en suis pas, mais le nouveau monde c'est ça. Ça ne veut pas dire que c'était mieux avant, ça veut dire que je suis juste un peu largué par ce qu'il se passe aujourd'hui.
Il y a en cela une forme de prolongement du sketch intitulé "Le Clash des générations" que vous aviez notamment joué au Montreux Festival (revoir ici)...
Effectivement avec Jordan "le petit branleur". Il y a d'ailleurs un moment du spectacle où je compare des époques en disant qu'aujourd'hui la nouvelle génération est totalement surprotégée, surchoyée, contrairement à nous avant. Lorsqu'on apprenait à faire du vélo, c'était sans casque et avec un vieux vélo rouillé. Aujourd'hui c'est tout juste si on ne les entoure pas avec du papier bulle. C'est aussi parce que j'ai un enfant âgé de 7 ans que tout ça me parle beaucoup.
Le spectacle vivant, on ne pourra jamais le tuer."
Et en même temps, vous semblez savoir vivre avec votre temps. En témoignent vos récentes interviews sur Booska P, GQ et Konbini, des médias plutôt destinés à un public jeune...
Moi c'est sûr que quand on me demande de m'assoir et de faire le pitre, je sais faire. Dieu merci je fais un métier qui existe depuis la nuit des temps, à savoir monter sur une tribune et essayer de faire rire les gens. Et qui, je pense, existera encore dans des milliers d'années. Le one-man-show, le théâtre, le spectacle vivant, on ne pourra jamais le tuer. Quelqu'un qui vient sur une estrade pour raconter quelque chose et faire rire le monde, ça intéressera toujours. Je l'espère en tout cas !
Vous faites partie de ces humoristes corrosifs qui cultivent l'idée selon laquelle on peut rire de tout, du moins sur scène, car cela semble être de moins en moins le cas à la télévision. Est-ce la raison pour laquelle on vous y voit moins ?
Oui et surtout parce que je suis fatigué. Pour évoquer sous un prisme positif les réseaux sociaux, en englobant YouTube, c'est que c'est un vecteur média qui a permis d'être franc. Même si ça fait la part belle à certains extrémistes ou certaines communautés un peu trop agressives, ça permet de dire ce qu'on pense, là où la télé a toujours été codée et un peu hypocrite. C'est pour ça qu'aujourd'hui la télé devient un truc un peu ringard. Mais la télé, même quand on est un peu franc du collier comme moi, on en fait toujours lorsqu'on n'arrive pas à maîtriser les nouveaux outils de communication. Y'a qu'à aller voir mes pages Instagram et Facebook, au grand dam de mes attachés de presse, je n'y fais rien. Donc je suis obligé de passer par la voie traditionnelle. Il est certain que j'aurais aimé avoir la capacité à me filmer tous les jours pour faire ma promo, mais je ne sais pas le faire.
On regarde Miss France pour voir des culs. Si on veut voir des femmes intelligentes, on regarde Questions pour un champion."
Pour rester dans la thématique des réseaux sociaux, n'avez-vous pas l'impression que les humoristes ont, à l'image du monde du rap avec l'apparition du streaming, beaucoup à y gagner, ou a contrario beaucoup à y perdre lorsqu'ils ne parviennent pas à les manier à bon escient ?
Je ne sais pas trop. Moi quand je fais mes spectacles, je ne me travestis pas. Je n'essaie pas de choquer pour choquer. Je pratique un humour qui me correspond, c'est celui que j'ai le soir avec mes potes quand on boit un coup. Je ne suis pas là pour faire semblant. Dans la même veine, je ne vais pas aller raconter ma vie tous les jours dans des vidéos. Je vois dans mon entourage des gens connus qui ont à peu près le même âge que moi et qui font ça. On sent tellement que c'est fabriqué. On sent tellement que leur attaché de presse leur a dit : "ça serait bien que tu nous fasses une petite vidéo car on galère à remplir la salle". Après tu vois les mecs qui prennent leur téléphone pour te faire un truc pathétique. Parfois c'est relayé, donc ils croient que ça marche alors que c'est juste relayé pour se foutre de leur gueule. C'est catastrophique ! Il m'arrive de temps en temps de mettre une petite publication car elle est vraiment sentie. Mais faire de la vidéo pour faire de la vidéo, le contenu pour le contenu, pour moi c'est l'inverse de ce qui fait un artiste.
Vous n'étiez pas par le passé l'archétype de l'élève studieux, mais vous avez côtoyé le président de la République Emmanuel Macron. Ça donne évidemment des anecdotes savoureuses que vous ne pouviez pas ne pas réinvestir dans le spectacle...
Tout à fait, c'est vrai qu'on a fréquenté le même établissement scolaire. Mais on n'a jamais été dans la même classe. Pourtant on est de la même année (1977, Ndlr), ça aurait été logique qu'on se croise. Mais il se trouve qu'il avait un an d'avance et moi un an de retard, c'est ce qui fait la différence entre un président et un comique (rires). L'un était pressé dans les études, l'autre un peu moins.
Dans le spectacle précédent, Plus rien à perdre, vous vous moquiez de la communauté végane. Vous en avez même fait un film, Barbaque. Y a-t-il une communauté qui vous agace tout particulièrement en 2022 ?
Dans ce nouveau spectacle, je parle des féministes exacerbées, celles qui ne se battent plus pour l'égalité entre les hommes et les femmes mais qui érigent des combats entre les sexes. Ce féministe systématique m'agace. Je parle aussi de cette hypocrisie autour du concours Miss France où on nous dit qu'il faudrait qu'elle soit comme ceci, comme cela, qu'elle soit plus féministe. Je fais un raccourci mais je dis : "maintenant ça suffit, on regarde Miss France pour voir des culs. Si on veut voir des femmes intelligentes, on regarde Questions pour un champion." Je parle aussi un peu de moi et du métissage à outrance à la télévision. Avant, j'étais une denrée rare, maintenant j'ai l'impression de voir des métis partout et beaucoup plus beaux que moi donc ça me fatigue (rires). Enfin, je parle des toxicomanes des écrans, ceux qui passent la journée avec une tablette ou un smartphone dans les mains. En bref, je tape sur pas mal de choses.
Ne pas se retrouver complètement con à dire "Bonsoir Limoges" alors qu'on est à Orléans."
Vous êtes un adepte des interactions avec le public, en prenant pour "cibles" des spectateurs issus des premiers rangs. Quel est le profil idéal de vos "victimes" ?
C'est quelque chose que je fais beaucoup moins qu'avant. C'est vrai que c'est une réputation qui me colle à la peau, mais très honnêtement, à part au début du spectacle pour faire un peu de mise en place en créant une connexion avec le public, une fois que je suis dans mon texte je n'en sors presque plus. Ce qui m'intéresse c'est ça, c'est transmettre mon texte et l'amener à son meilleur. Aller vers un spectateur, ça peut casser le rythme. Si c'est bien senti et fait au bon moment pourquoi pas, mais le systématisme surtout pas.
Vous êtes habitué à remplir les grandes salles parisiennes. Y a-t-il un rapport différent au public et une manière autre d'aborder le spectacle lorsqu'il s'agit de jouer en province, comme ça sera le cas le 28 octobre à La Grand'Combe ?
Je ne crois pas. On parle d'Adieu hier, mais dans le nouveau monde, tout le monde est connecté. Tout ça a beaucoup rapproché les gens culturellement. Ça nuit d'ailleurs un peu à la spécificité culturelle. Le fait qu'on ait tous plus ou moins accès aux mêmes contenus fait qu'il y a aujourd'hui beaucoup moins de régionalisation dans l'humour que ce n'était le cas il y a 30 ans quand j'ai démarré. Aujourd'hui, vous pouvez jouer en Suisse, en Belgique ou à Marseille de la même manière. On a les mêmes références. Donc il n'y a pas de différence pour moi de jouer à La Grand'Combe ou à Paris. Après il est évident que par respect pour son public, on regarde où on se situe, on fait un petit tour de la ville et on pose quelques questions histoire de ne pas se retrouver complètement con à dire "Bonsoir Limoges" alors qu'on est à Orléans.
Propos recueillis par Corentin Migoule