Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 17.06.2021 - stephanie-marin - 4 min  - vu 646 fois

LE 7H50 de Béatrice Bertrand, directrice du CIDFF 30 : "La crainte du féminicide est un combat de tous les jours"

Béatrice Bertrand, directrice du CIDFF 30. (Photo : Karima M)

Depuis le début de l'année 2021, 54 femmes sont mortes sous les coups de leur mari ou de leur ex-conjoint. Parmi ces victimes Chahinez, 31 ans (Mérignac), Stéphanie, 22 ans (Hayange), mais aussi cette dame âgée de 48 ans décédée le 3 juin dernier après avoir été défenestrée du huitième étage par son ex-mari, à Colmar. Les trois auteurs présumés ont en commun d'être connus des forces de l'ordre pour des violences conjugales. Près de deux ans après le lancement du Grenelle contre les violences conjugales, où en est-on dans la mise en oeuvre des mesures énoncées ? Peut-on aller plus loin ? Comment ? Béatrice Bertrand, directrice du Centre d'information sur le droit des femmes et des familles du Gard répond aux questions d'Objectif Gard. 

Objectif Gard : Trois affaires de féminicide ont été particulièrement médiatisées entre le 4 mai et le 3 juin. Des affaires dans lesquelles les auteurs présumés sont connus des forces de l'ordre pour des violences conjugales. Quelle est votre réaction à ce sujet ? Doit-on parler de dysfonctionnement ? 

Béatrice Bertrand : Est-ce qu'il y a eu des trous dans la raquette, un dysfonctionnement ? Oui, vraisemblablement. Il me semble que vis-à-vis des violences conjugales et des féminicides, il faut partir du postulat suivant : "là où il y a des violences, il y a danger." Donc, il faut que nous tous - les institutionnels, forces de l'ordre, la magistrature, le Parquet, les associations, les hôpitaux, les médecins - puissions avoir la culture de la protection. Mais on ne l'a pas encore. C'est de se dire que dès qu'une femme franchit la porte d'un commissariat ou d'une gendarmerie pour dénoncer des violences, cela peut aboutir à un féminicide, ou pas, on ne sait pas. D'où l'intérêt me semble-t-il d'anticiper le risque.

Ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui ?

Nous avons été précurseurs à ce sujet puisque nous avons fait la grille d'évaluation du danger. Il s'agit d'une des mesures du Grenelle, inspirée de ce qui se fait au Québec, applicable depuis le début de cette année en France, mais elle avait fait l'objet d'une expérimentation en 2019 dans le Gard. Il y a des questions relatives à l'auteur, aux types de violences, à la victime etc, et cela permet d'avoir des clignotants. Toutefois, cette grille en l'état, ne permet pas de jauger s'il y a un risque imminent, présent ou aggravé. Il faut l'améliorer. Je pense que la Justice doit se saisir de ces dossiers et réunir une cellule très rapidement. Au Canada, ils appellent ça la concertation. On le fait déjà dans le cadre de la cellule opérationnelle de suivi des traitements des violences conjugales où les associations, le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP, Ndlr), les forces de l'ordre font remonter à cette cellule les dossiers que l'on va traiter, mais ce n'est qu'une fois tous les mois ou tous les deux mois.

Qu'a-t-il manqué dans les trois affaires pré-citées pour permettre d'éviter le pire ?

Je pense au manque de coordination entre les acteurs, les services, au manque d'articulation ainsi que de concertation. Mais aussi un manque de moyens humains et financiers. On n'arrête pas de dire que ce qui est fait en Espagne est génial. Oui mais ils ont mis un milliard d'euros sur la table, ils ont carrément des tribunaux dédiés aux violences conjugales. Chez nous, c'est trop compartimenté. Ce qui manque, c'est une coordination à l'intérieur du tribunal entre tous les magistrats. Il manque une vision à 360° de ce qui se passe à partir du moment où on enregistre une plainte pour des violences conjugales. Le tout est de combler les fameux trous de la raquette. Mais quels moyens a la Justice ? Les associations, etc ?

Le Gouvernement a présenté la semaine dernière six nouvelles mesures pour renforcer la protection des victimes de violences et de s'assurer de la pleine mobilisation et coordination de l'ensemble des acteurs compétents. Que pensez-vous de ces mesures ?

Dans notre département, nous avons anticipé en signant par exemple des conventions. Le CIDFF a une convention avec le SPIP sur le téléphone grave danger... Après je pense que la création du fichier des auteurs de violences conjugales est une bonne chose, à condition qu'il soit bien suivi par des personnes. Le suivi judiciaire des situations individuelles me paraît très important, l'augmentation des téléphones grave danger et des bracelets anti-rapprochement aussi. Après, de notre côté, nous avons avancé en faisant preuve de créativité, avec la création de l'Observatoire dans lequel je vais lancer en septembre - en partenariat avec les magistrats, la CAF et le CHU de Nîmes - deux expérimentations qui concerne la mesure d'accompagnement protégé pour les enfants et les mamans au moment du droit de visite et d'hébergement. On met également en place le protocole féminicide qui porte sur la prise en charge des enfants qui ont assisté à la mort de leurs deux parents ou à l'un des deux. Car ce qui manque, à mon avis, c'est la prise en compte des enfants en tant que co-victimes. Puis au mois de septembre, nous lancerons les Grandes assises départementales des violences conjugales en partenariat avec la communauté de communes du Pont-du-Gard. L'idée, c'est de former les professionnels en leur montrant, sous forme d'ateliers, le cheminement d'une victime de violences conjugales. Ce qui permettra de voir ce qu'on a comme dispositifs dans notre département, ce qui nous manque et ce que nous pourrions améliorer pour éviter les drames que l'on vient de connaître. C'est un Grenelle à l'échelle départementale. Au mois de décembre, en partenariat avec la préfecture du Gard, nous organiserons un colloque sur les enfants co-victimes. Grâce au Grenelle, aujourd'hui on se sent entendus et on voit que ça bouge, mais il faut continuer. La crainte du féminicide est un combat de tous les jours. On réfléchit à de nouveaux dispositifs tous les jours, Angela en est un exemple.

Propos recueillis par Stéphanie Marin

Stéphanie Marin

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