LÉGISLATIVES Pour la première fois, les reports de voix ont largement profité au Rassemblement national
L’élection de quatre députés du Rassemblement national dans le Gard ce dimanche a fait l’effet d’un coup de tonnerre et soulevé pas mal de questions notamment sur les reports de voix. Leur analyse le démontre : pour parvenir à l’emporter dans un scrutin majoritaire à deux tours qui lui est historiquement défavorable faute d’allié, le RN a su cette fois faire le plein.
Sur un plan général, un chiffre marque le poids des reports de voix en faveur du RN. En tout, les cinq candidats d’extrême-Droite qualifiés au second tour ont bénéficié ce dimanche de 38 272 voix supplémentaires par rapport au premier tour. En 2017, ce chiffre était de 28 099 voix, avec une circonscription de plus. À l’époque le RN s’était qualifié au second tour sur les six circonscriptions. Le RN est donc passé d’une moyenne de reports de voix de 4 683 en 2017 à 7 654 cette année, une spectaculaire progression !
Pendant ce temps, les candidats face au RN ne disposent pas de la même dynamique : de 42 156 voix glanées entre les deux tours face au six candidats RN au second tour de 2017, il ne reste que 35 957 voix reportées sur les cinq candidats face au RN dimanche. Pour le camp dit ''républicain'', la moyenne de reports de voix passe de 7 026 voix en 2017 à 7 191 en 2022. En clair, les candidats RN ont bénéficié de plus de reports de voix que leurs adversaires ce dimanche ; une première.
Sur la 1ère et la 3e, le rejet des "marcheurs"
Dans le détail, toutes les circonscriptions ne sont pas logées à la même enseigne. Les plus significatives sur le plan décisif des reports de voix restent les 1ère, 3e et 4e circonscriptions. Sur la 1ère, la députée Renaissance sortante, Françoise Dumas, est certes arrivée deuxième au soir du premier tour, avec 1 300 voix de moins qu’au 1er tour de 2017, pendant que son rival RN Yoann Gillet se classait premier avec un peu plus de 1 100 voix supplémentaires qu’il y a cinq ans. La participation était quant à elle légèrement plus faible cette année, avec environ 1 500 votants de moins.
Cependant, avec des reports de voix comparables à 2017, ça passait pour Françoise Dumas. À l’époque, la députée sortante avait engrangé 6 816 voix de plus au second tour, quand Yoann Gillet en comptait 4 047. Cette fois, Françoise Dumas en engrange 7 009 entre les deux tours, une valeur quasi-stable, alors que Yoann Gillet en enregistre 6 017. C’est près de 2 000 de plus qu’en 2017 et, en les conjuguant à l’avance de 2 300 voix accumulée au premier tour, ça suffit à élire le frontiste, même avec une participation légèrement supérieure (41,42 % contre 40,27 % au second tour de 2017). Traduction : Françoise Dumas a gardé sa base, mais a pâti d’une rupture du "front républicain" qui a profité au RN.
Le même schéma s’est sans doute appliqué à la 3e circonscription, où le sortant Renaissance Anthony Cellier a lui aussi été battu ce dimanche face à la candidate RN Pascale Bordes. Au premier tour, le Bagnolais recueillait un peu plus de 12 000 voix, en recul de près de 3 000 bulletins par rapport au premier tour de 2017, quand sa rivale RN en recueillait près de 13 800, soit près de 4 000 de plus que la candidate RN de 2017 Monique Tézenas du Montcel. Seulement voilà, tout s’est joué aux reports de voix, et à ce jeu là, les deux candidats ont pulvérisé les scores de 2017.
Ainsi, Anthony Cellier a recueilli 8 232 voix de plus au second tour, contre 7 076 en 2017. Un bon chiffre, insuffisant toutefois pour battre la candidate RN, qui a quant à elle recueilli 7 823 voix de plus entre les deux tours avec une participation au second tour inférieure à celle du premier, 48,07 % contre contre 48,84 %. Pour Pascale Bordes, ce sont 2 600 voix de plus que les reports de voix du FN de 2017. Un chiffre considérable, qui lui a permis de gagner l’élection. Avec des reports identiques à 2017, Anthony Cellier était réélu.
Sur la 4e et la 5e, la Nupes dans le viseur
Un autre constat saute aux yeux à l’analyse des chiffres. Yoann Gillet mis à part, les candidats ayant recueilli le moins de reports de voix à cette élection sont les trois candidats de la Nupes qualifiés au second tour. Le cas de la 4e est parlant : Arnaud Bord compte des reports de voix de plus de 1 600 voix inférieurs que son rival RN Pierre Meurin (respectivement 6 879 contre 8 507).
Il est intéressant de constater qu’en 2017, la candidate du FN Brigitte Roullaud n’engrangeait que 5 011 voix de plus entre les deux tours, soit 3 500 de moins que son successeur, pendant qu’Annie Chapelier (En marche) en comptait 9 366. L’élection se joue là, d’autant que la participation s’est maintenue entre les deux tours (48,35 % au premier, 48,53 % au second). Compte tenu de l’écart, il y a tout lieu d’envisager que la Droite a fait barrage à la Nupes, en tout cas bien plus qu’au RN.
Une fois de plus, le même schéma se retrouve sur la 5e, la seule circonscription remportée par la Nupes avec Michel Sala. En tête de près de 5 000 voix au premier tour, le candidat de la Gauche unie l’emporte finalement avec moins de 3 000 voix d’avance, la faute à des reports de voix largement en faveur du RN. Ainsi, Michel Sala a engrangé 6 550 voix de plus au second tour, pendant que Jean-Marie Launay (RN) en gagnait 8 812, le record de tous les candidats de tous les partis confondus. De quoi acter la mort du "front républicain" dans le Gard. Le tout avec une participation quasi équivalente, de 50,86 % au second tour contre 51,15 % au premier, et un record de votes blancs et nuls (environ 6 700 votes cumulés). Là aussi, se dessine clairement un barrage contre la Nupes plus franc que contre le RN.
La 6e circonscription ne dément pas ce manque de reports de voix à Gauche. Nicolas Cadène (Nupes) est le candidat qui a le moins bénéficié de voix supplémentaires dans l’entre-deux tours (5 932 voix), contre 7 339 pour le député sortant Philippe Berta (Renaissance), certes dans un contexte différent, sans RN au second tour, et avec une participation en berne (43,13 % contre 45,01 % au premier tour).
Reste la 2e circonscription, où le député RN Nicolas Meizonnet a été réélu. Là, pas de surplus de reports de voix, équivalents ou presque entre les deux finalistes (7 113 pour Nicolas Meizonnet contre 7 287 pour Yvan Lachaud de Renaissance). Sur cette circonscription, la différence s’est faite au premier tour, et le député sortant a su maintenir l’écart, en engrangeant des reports de voix de près de 1 200 voix supérieurs que ceux de Gilbert Collard en 2017, tout de même. Yvan Lachaud a eu beau mobiliser plus que Marie-Sara et ses 5 768 voix supplémentaires dans l’entre-deux tours de 2017, ça ne pouvait pas suffire dans ce contexte.
Que déduire de ces chiffres sur les reports de voix ? D’abord, que même si les situations sont différentes d’une circonscription à l’autre, le rejet des électeurs a frappé bien plus durement les candidats macronistes et de l’union de la Gauche que les frontistes. Ensuite, que le "front républicain" est bel et bien mort dans notre département, en tout cas dans sa définition originelle de rejet de l’extrême-Droite. Désormais, les électeurs de partis dits "républicains" au premier tour n’ont plus peur de voter pour le RN au second. Ce faisant, ils ont donné le dernier coup de rein nécessaire au seul parti à avoir progressé en nombre de voix sur l’ensemble des circonscriptions du Gard pour l’emporter sur les deux tiers des circonscriptions.
Thierry ALLARD