L’INTERVIEW Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT : « Sur les retraites, on va discuter, mais on sera fermes »
Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, est à Nîmes ce jeudi, notamment pour aller à la rencontre des agents du CHU Carémeau, dans le cadre des élections syndicales dans la fonction publique qui se tiendront le 8 décembre.
Le chef du premier syndicat de France et du deuxième de la fonction publique vient dire aux agents de la fonction publique « qu’ils sont une richesse pour le pays et non pas un coût », dans un contexte marqué par le début des négociations sur la réforme des retraites voulue par le Gouvernement. Des négociations lors desquelles la CFDT compte faire preuve de fermeté. Interview.
Objectif Gard : Vous êtes à Nîmes aujourd’hui, notamment pour vous rendre au CHU Carémeau. Quel message allez-vous porter aux agents ?
Laurent Berger : D’abord je viens à leur écoute, d’abord des agents du CHU puis de l’ensemble des militants. Le message, c’est qu’il faut reconnaître davantage le travail des agents de la fonction publique. Il faut valoriser les métiers du public. On sent aujourd’hui des difficultés de recrutement et une forme de démoralisation qui peut s’opérer parfois au sein de l’hôpital public, l’éducation, la fonction publique territoriale ou ailleurs. Il faut leur redire qu’ils sont une richesse pour le pays et non pas un coût, comme malheureusement ça se développe trop souvent dans le débat public. Donc je viens à leur rencontre, écouter leur réalité, parce que c’est comme ça aussi qu’on nourrit une parole syndicale, et je viens aussi leur dire qu’on peut agir, qu’il n’y a pas de fatalité.
"Il y a beaucoup à faire au niveau local..."
Et c’est par le biais de cette action que vous comptez prendre la place de syndicat leader dans la fonction publique ?
On est deuxièmes dans la fonction publique, premiers tout confondus, mais on a progressé la dernière fois. On essaie de conquérir la première place dans la fonction publique cette fois-ci. La fonction publique a trop souvent souffert d’un syndicalisme de posture qui se contentait d’émettre des avis mais jamais de s’engager dans des compromis. Et à l’hôpital il y a des avancées nationales qui ont été obtenues notamment par la CFDT par exemple à travers le Ségur, avec des revalorisations salariales, mais qu’il y a beaucoup à faire au niveau local, par la négociation d’organisations du travail, de la réduction de la précarité. C’est au local que ça se fait, mais pour ça il faut des représentants du personnel, des gens qui ont envie de s’engager. On ne valorise pas assez le travail des militants tous les jours dans les entreprises et les administrations. Il faut faire comprendre que dans un pays qui a tendance à croire que tout se décide par une mesure miracle venue d’en haut, ce n’est pas comme ça que ça se passe.
La concertation sur la réforme des retraites a démarré hier, un sujet très sensible sur lequel vous vous êtes déjà positionné. Pour vous, la ligne rouge reste le recul de l’âge légal de départ à la retraite ?
Ce que nous avons dit cet après-midi au ministre, c’est : « de quoi vous parlez ? Il faut clarifier votre position. Est-ce que vous parlez de financer des politiques publiques en augmentant l’âge légal de départ en retraite ou est-ce que vous voulez juste équilibrer le système de retraite par répartition ? » Ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas au travail de financer des politiques d’éducation, de santé, mais c’est bien par la fiscalité. Aujourd’hui le débat sur les retraites revient par la volonté du Gouvernement. Ce qu’on dit c’est que le problème du système de retraites c’est d’abord qu’il est injuste. Injuste pour ceux qui ont des métiers pénibles, pour les femmes, pour les basses rémunérations. Je pense notamment aux agents de catégorie C de la fonction publique, pour ceux qui ont des métiers pénibles. On veut d’abord travailler sur ces sujets-là. Donc on a dit au ministre commençons par travailler sur l’emploi des seniors, et la responsabilité des entreprises sur le non-emploi des seniors, sur la pénibilité, sur les évolutions de carrière avant d’avoir une seule logique budgétaire.
Que propose la CFDT sur ces sujets ?
On fait par exemple des propositions pour de l’incitation aux entreprises à garder les seniors. on pourrait mesurer le taux d’emploi des seniors dans chaque entreprise. On vient avec des propositions sur le minimum contributif, qu’on veut voir aller vers le niveau du SMIC,. Nous allons, dans les semaines à venir, sortir petit à petit nos propositions. Les retraites c’est d’abord une question du travail. On ne veut pas que le débat soit édulcoré par les mesures paramétriques. Clairement, les retraites c’est trop important pour faire un débat édulcoré. Il va falloir qu’on prenne le temps qu’il faut pour discuter.
Le Gouvernement semble vouloir aller très vite sur cette réforme. Craignez-vous un passage en force ?
On l’a craint jusqu’à il n’y a pas longtemps. Maintenant il faut clairement laisser le temps de la discussion. On a menacé de réagir très fortement s’il y avait un passage en force, ils ne l’ont pas fait par le PLFSS (le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr), maintenant il faut tenter d’aller au bout de la discussion. La CFDT ne va pas discuter avec un sablier sur la table pour compter le temps qu’il nous reste, c’est trop sérieux la question des retraites pour se précipiter. Ce que nous souhaitons, c’est que les retraites soient reliées au travail, aux objectifs de plein emploi et que ce projet comporte surtout l’ambition de réduire les injustices du système. On ne se précipitera pas. On considère qu’on n’a pas un pistolet sur la tempe pour devoir négocier à partir d’un projet du Gouvernement. On va discuter, mais on sera fermes. On ne veut pas de recul de l’âge de départ à la retraite.
"c’est aux parlementaires de faire le job"
Il y a également la réforme de l’assurance chômage sur laquelle vous êtes là aussi en désaccord net avec le Gouvernement...
Sur l’assurance chômage, nous avons une vision différente, on pense qu’il y a des freins de retour à l’emploi énormes en termes de garde d’enfant, de transport, de logement, d’attractivité des métiers, et que ce n’est sûrement pas en appuyant sur la tête des demandeurs d’emploi qu’on va trouver à remplir l’objectif de plein emploi. Maintenant c’est aux parlementaires de faire le job, mais cette mesure ne résoudra en rien les difficultés d’emploi.
Pour vous la clé reste-t-elle une hausse des salaires ?
Le sujet numéro un c’est la question du pouvoir d’achat. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de mesures pour aider. Le bouclier tarifaire sur l’énergie est bien mieux que ce qui se passe ailleurs en Europe, mais le pouvoir d’achat c’est aussi ce qu’on gagne. Et aujourd’hui, dans beaucoup de secteurs il y a un déficit en termes de répartition de la valeur créée dans l’entreprise. Et c’est vrai aussi dans les différentes fonctions publiques pour faire face à l’inflation. Les grilles salariales sont trop tassées vers le bas. C’est vraiment le sujet de préoccupation numéro 1. Et là il y a aussi une responsabilité des employeurs, privés et publics, y compris pour retrouver de l’attractivité dans leurs métiers.
Propos recueillis par Thierry Allard