UZÈS Mas Careiron : nouvelle journée de crise, peut-être la dernière
Les années et les directeurs passent, mais impossible de se détacher d’une impression tenace de déjà-vu, ce mercredi matin au centre hospitalier du Mas Careiron, à Uzès.
Il faut dire que le conflit social entamé en 2014 (!) sur le plan d’économies et la gestion du temps de travail du personnel de l’hôpital psychiatrique, a connu un nouvel épisode hier. Manifestations, pétitions, négociations autour d’un médiateur, changement de directeur… Jusque là, rien n’avait pu débloquer une situation extrêmement tendue.
« Cencic, si tu savais… »
Ainsi, ce mercredi, c’est à l’occasion d’un Comité technique d’établissement que les choses ont de nouveau dégénéré. Comme en 2014 et 2015. Un Comité ou le directeur de l’établissement depuis début 2016 Roman Cencic, qui est par ailleurs le directeur du centre hospitalier d’Alès, devait présenter son plan de gestion du temps de travail. Un plan « élaboré sans concertation, ce n’était qu’une présentation », tranche le Dr Philippe Gasser, de l’Union syndicale de la psychiatrie, membre de l’intersyndicale avec FO, la CGT et Sud Santé Sociaux depuis 2014.
Le psychiatre poursuit : « il propose 7h58 de temps de travail par jour, sans compter le temps d’habillage et de déshabillage et sans la possibilité de planifier les temps de pause légaux », quand l’intersyndicale demande à travailler 8 heures par jour, avec 10 minutes de temps d’habillage et de déshabillage et 20 minutes de pause légale toutes les 6 heures de travail, « sachant que ce temps de pause est totalement virtuel vu le manque de personnel », précise le Dr Gasser.
Vu de l’extérieur ça n’a peut-être l’air de rien, mais dans le contexte explosif du Mas Careiron, ça a suffi à provoquer une nouvelle fois l’envahissement de la salle de réunion de l’hôpital dans un vacarme assourdissant fait de mégaphones, tambours et trompettes et de « Cencic, si tu savais, ta GTT (gestion du temps de travail, ndlr) où on se la met » sur un air bien connu dans les manifestations. C’est que l’intersyndicale et le personnel mobilisé n’ont pas non plus obtenu satisfaction sur leurs autres revendications sur les jours de repos, la titularisation des salariés "stagiairisés" ou encore le remplacement de tous les départs en retraite.
« C’est non »
Alors après la manifestation de force, les syndicalistes ont invectivé le directeur : « on veut travailler dans des bonnes conditions, ça fait bientôt 3 ans qu’on lutte pour faire notre travail », lancera Edouard Gloanec, de Sud Santé-Sociaux. Apostrophé par plusieurs blouses blanches, le directeur répondra que « quoi qu’on dise, de toute façon on a tort », sous les huées. Quelque part dans la salle, quelqu’un lancera : « dites nous carrément ‘je vous emmerde’, au moins ce sera clair » ; « on a écouté votre motion », se défendra Roman Cencic.
Pas de quoi convaincre Fabrice Aimé, de FO : « vous dites qu’on ne travaille pas assez, qu’on est fainéants ! », « je n’ai pas dit ça, vous ne savez pas lire ! » rétorquera le directeur, agacé, déclenchant un tollé, quelques secondes à peine après avoir été accusé de « mépris » et de « condescendance » par les manifestants. Quelques minutes de bruit et de chanson décrite plus haut suivront, puis Edouard Gloanec reviendra aux moutons de l’intersyndicale : « sur notre proposition pour les 3 jours et demi (de jours de repos supprimés, ndlr) ? » On scrute le directeur, qui reste impavide : « c’est non. » « C’est comme ça à tout ce qu’on demande », lâchera Edouard Gloanec, dont la colère le disputait au désappointement.
« Alors que comptez-vous faire pour apaiser le climat social de cet hôpital ? » lancera Fabrice Aimé au directeur, qui restera silencieux. Plus tard, Edouard Gloanec lui reposera la question : « toujours pas de proposition pour apaiser le climat social ? » « Ben non », lâchera Roman Cencic, après avoir renvoyé une demande d’ouverture de nouvelles négociations d’un « de toute façon, vous ne voulez pas négocier. » Un dialogue de sourds dans sa plus pure expression.
Vers une sortie de crise
Un aide soignant tentera de jouer sur une autre corde, plus sensible, demandant au directeur s’il ne se sentait pas concerné, à titre personnel, par le fait que les économies dans l’hôpital public pouvaient altérer la qualité des soins. Sans succès : le directeur se dira « très concerné comme citoyen et comme personne, mais je suis directeur, et hier j’étais ouvrier. » « Il n’y a pas de réponse, je suis inquiet », reprendra l’aide-soignant, avant évoquer sa situation : « du fait des absences pas remplacées, je prépare les repas au lieu de m’occuper des patients. » Une aide-soignante lancera qu’il y a « des jours où on a tellement de travail qu’on n’a pas le temps d’aller pisser ! »
Nouvelle tentative de l’intersyndicale : « êtes-vous prêt à rouvrir des négociations dignes de ce nom ? » Nouvelle fin de non recevoir. Finalement, le rapport de force sera productif : la manifestation, qui a duré jusqu’à 17 heures, permet d’envisager une sortie de crise : « on a avancé beaucoup plus que lors des réunions de concertation, on est arrivés à une position intermédiaire avec l’accord des agents », explique Edouard Gloanec par téléphone à la fin de l’après-midi.
Ainsi, sur le nombre de jours de repos en moins, « on a obtenu entre 6,5 et 9 jours en moins, au lieu d’entre 11 et 20 », poursuit le syndicaliste avant de préciser que le projet doit passer en CTE ce jeudi, et sera appliqué à partir du 1er mai. Sur la gestion du temps de travail, « on va vers une issue, si tout est mis en place on devrait sortir du conflit », note Edouard Gloanec. Pour autant, il reste lucide : « ce n’est pas une victoire, il y a quand même un recul social, mais on a beaucoup avancé grâce à l’unité syndicale et du personnel. »
Thierry ALLARD