AU PALAIS « Quand il dit qu’il m’a frappé tout seul, il se fout de votre gueule, monsieur le juge »
Samir, 38 ans, veste jaune et noire flashy, et Nadir, 28 ans, sweat-shirt blanc et cheveux ras, sont tous deux condamnés à 4 ans d’emprisonnement pour une mystérieuse expédition punitive à l’encontre d’Afif, le 15 juin 2019 au Mas-de-Mingue, à Nîmes.
Ce soir-là, vers 21h, Afif est interpellé par un groupe de cinq jeunes qui l’invite à monter dans une voiture pour aller discuter à l’ancien stade du quartier du Mas de Mingue. Mais une fois sur place, Samir lui reproche de l’avoir « balancé » lors d’une ancienne affaire et lui assène un premier coup de poing, tandis que Nadir l’oblige à se mettre à genoux en lui enfonçant le canon de son pistolet 9 mm dans la bouche. Les cinq molestent alors leur victime, jusqu’à l’arrivée des parents et des deux sœurs d’Afif, qui font fuir les agresseurs en leur lançant des cailloux. Avant de disparaître, la voiture conduite par Samir fonce sur l’une des sœurs d’Afif et la renverse, la blessant à la hanche, pendant que Nadir descend du véhicule pour tirer en l’air avec son pistolet.
« Deux droites dans la face »
Poursuivi pour des violences avec arme, en réunion, avec préméditation et en récidive, le duo tente de dédramatiser la scène. « J’étais parti pour discuter avec lui », minimise Samir. Le juge l’interrompt. « Vous ne l’aviez pas vu depuis dix ans et d’un coup vous vouliez le voir ? », s’interroge le président Jean-Pierre Bandiera. « Je venais de sortir de prison, et il avait une dette qui datait de 2010. Je lui ai demandé plusieurs fois de me rendre mes sous pendant que j’étais en détention, mais il ne m’a rien donné… », répond le prévenu. Le juge fait la moue. « La victime explique que vous lui reprochiez de l’avoir balancé lors d’une affaire de cambriolage, quand vous étiez encore tous les deux mineurs… »
C’est au tour du prévenu de feindre l’incompréhension. « Je n’ai jamais commis de cambriolage, soutient-il. Au stade, je me rappelle lui avoir mis deux droites dans la face, contre lui. Tout seul. » Son acolyte atténue lui aussi la violence de l’épisode. « Au stade, c’est parti en bagarre. J’ai voulu les séparer. Puis, j’ai fini par prendre l’arme d’un des individus qui est arrivé, et j’ai tiré en l’air avec, c’est tout, déballe-t-il, d’une voix rocailleuse. J’assume avoir tiré une fois, mais je n’ai mis aucun canon dans sa bouche. »
Phase terminale et mandat d’arrêt
La victime se lève à la barre et s’explique à son tour, l’air triste. « On a fait les 400 coups ensemble, avec Samir. La dernière fois qu’on a été pris ensemble, on avait 19 ans. Un jour, on avait cambriolé des grands frères du quartier. Lui s’en ai vanté. Moi, j’ai dû les rembourser mais lui a refusé…, précise-t-il. Mais quand il dit qu’il m’a frappé tout seul, il se fout de votre gueule et de la mienne, monsieur le juge. Je suis en pleine santé, je pèse 88 kilos. Et lui, malheureusement, sa santé est en train de dire au revoir… » L’avocat de Samir l’interroge à son tour. « Est-ce que vous avez entendu Samir donner des instructions pour faire usage d’une arme contre vous ? », veut savoir Florian Medico. « Non, je ne suis pas dans sa tête, mais je l’ai entendu leur dire “défoncez-le, enculez-le !“ », se souvient Afif.
Le jour de l'explication, Samir venait de sortir de prison - où il purgeait une peine de 15 ans pour un vol en bande organisé - depuis à peine une semaine, en raison d’un cancer en phase terminale. Après l’agression, son complice a pris la fuite, en Espagne puis au Maroc, avant qu’un mandat d’arrêt ne soit lancé contre lui. Il sera finalement retrouvé par les policiers alors qu’il est incarcéré pour une autre fusillade dans le quartier de Pissevin. Les casiers des deux agresseurs est tellement bien rempli que la procureure requiert 4 ans d’emprisonnement à leur encontre. « Ils n’éprouvent ni remords, ni regret, et nous livrent une nouvelle histoire de racket après des mois d’enquête. On n’en saura pas plus sur les véritables raisons de ces violences. On sait seulement qu’il y a des rancœurs tenaces, regrette Véronique Compan. Mais on sait qu’il y a eu des coups, une arme, un vrai déferlement de leur part, jusqu’à un coup de fil qui va prévenir la famille de la victime. »
Bal des menteurs et fausse couche
L’avocat de Samir tente de brouiller les pistes. « Je ne vois pas comment vous choisissez votre camp. C’est une espèce de valse au bal des menteurs : à chaque nouveau tour, on a des explications différentes. Mais prudence !, prévient Florian Medico. C’est presque parole contre parole. Mais alors que mon client a reconnu les violences, les victimes nous mentent, comme lorsque sa sœur prétend avoir été tamponnée et projetée en l’air par la voiture, alors qu’elle n’a été que déséquilibrée à faible allure. Elle vient même nous accuser, à la barre, en direct live d’une fausse couche ! Même le coup de crosse n’apparaît pas dans le rapport médical ! Pire, les seules violences que constate le vigile, c’est le caillassage des victimes à l’encontre de ces deux-là ! Il n’a rien vu d’autres »
Son intervention ne suffit pas à inverser la tendance : Samir et Nadir écopent tous les deux de 4 ans d’emprisonnement et de 8 ans d’interdiction de séjour dans le Gard.
Pierre Havez