AU PALAIS « Si on devait distribuer le Nobel du mensonge, on aurait plusieurs lauréats »
Coups de poing et de matraque, incendies volontaires : deux familles de Saint-Nazaire qui se sont déclarées la guerre, comparaissaient dans une ambiance tendue au tribunal judiciaire de Nîmes, mardi 22 mars, pour des violences et des dégradations réciproques.
Devant leur banc, Ahmed, sweat rouge, chaîne en or et boule à zéro, et son frère Bel-Kassin, lunettes et veste de cuir, regardent de travers Rida et Yassine, t-shirts et boucs noirs, de l’autre côté de la barre du tribunal judiciaire de Nîmes, mardi 22 mars. Entre les deux clans, les crachats, bagarres et dépôts de plaintes se répondent jusqu’à ce que des cocktails Molotov finissent par être lancés sur les maisons ennemis, en septembre 2021. Mais à l’audience, personne ne reconnaît les faits. « Voilà au moins un point sur lequel vous êtes d’accord ! », cingle le président Jean-Pierre Bandiera.
Cocktail Molotov et barres de fer
C’est bien le seul. Les deux familles s’écharpent en effet à chaque occasion. Le 3 septembre, Ahmed croise l’épouse de Rida devant l’école commune de leurs enfants, à Saint-Nazaire. Il l’insulte en réponse à ses crachats. Mais quelques heures plus tard, Ahmed croise cette fois Rida en voiture. Les deux s’arrêtent au beau milieu du pont qui enjambe l’autoroute et se battent à coup de poing et de matraque. Le lendemain, c’est le fils d’Ahmed, Farel, 16 ans, qui se fait rosser par Yassine, l’acolyte de Rida, alors qu’ils se rencontrent à la fête votive de Bagnols. L’escalade se poursuit. Le soir, la femme d’Ahmed appelle la gendarmerie car un cocktail Molotov vient d’embraser la façade de sa maison, avant qu’un groupe d’une dizaine d’individus armés de barre de fer pénètrent cette fois chez Yassine pour détruire une fenêtre et arracher sa climatisation.
« On a commencé à se battre sans échanger le moindre mot »
Contre toute attente, les deux clans réfutent ces dégradations, alors que leur voiture sont pourtant repérées à chaque fois devant chez leurs adversaires. Mais ils reconnaissent avoir échangés quelques coups. « Je savais qu’il avait insulté ma femme à l’école le matin lorsque j’ai croisé la voiture d’Ahmed sur le pont de Cèze, explique Rida, armé d’une matraque télescopique ce jour-là. On a commencé à se battre sans échanger le moindre mot. En tête-à-tête car je savais que si l’on s’y mettait à deux, avec Yassine, il aurait appelé ses frères et il y aurait eu des représailles. »
Yassine confirme. « Ils mentent ouvertement. Il était très agressif. On le voit torse nu alors que je tentais de les calmer sur la vidéo Snapchat qui a circulé. C’est clair, net et précis », pointe-t-il avec beaucoup d’assurance. Sur les coups portés au fils d’Ahmed, le lendemain, à la fête votive de Bagnols, le jeune ambulancier poursuit sur le même ton. « Je l’ai juste attrapé par la nuque, gentiment, alors qu’il m’interpellait de manière un peu chaude. Mais personne n’a témoigné m’avoir vu le frapper ce jour-là, si ? Vous savez, c’est facile de se faire établir de fausses ITT », reprend Yassine, effrontément.
« Détestation mutuelle »
Le juge se débat au milieu de ces mensonges et versions contradictoires. « Toutes ces violences pour de simples regards de travers ou des crachats laissent songeur sur votre maturité, commente Jean-Pierre Bandiera. On a l’impression d’avoir affaire à des maternelles, alors que vous êtes tous des pères de famille, avec des personnalités borderline. » Tous les prévenus ont en effet plusieurs condamnations au compteur. Mais la palme revient à l’insolent Yassine, avec 21 mentions pour outrages, escroqueries, port d’arme, vols en réunion ou refus d’obtempérer.
Le procureur fulmine. « J’ai l’impression que depuis un long moment nous leur donnons une tribune qu’ils ne méritent pas. Si on devait distribuer le Nobel du mensonge, on aurait plusieurs lauréats. Alors qu’en fait, c’est très simple. Il faut se demander à qui profite le crime lors de ces dégradations chez les uns et les autres ? Or, curieusement, à chaque fois on retrouve les véhicules du clan rival, cingle Stéphane Bertrand. Il y a une détestation mutuelle qui explique tout ce qui s’est passé lors de ces quelques jours de septembre. Ou ils sont tous les quatre victimes d’un mystérieux groupe d’inconnus, ou il s‘agit de revanches incessantes réciproques ! Je penche bien entendu pour cette seconde option. Et leur casier vous oblige à prononcer des peines de prison ferme, c’est dommage mais c’est peut-être la seule façon de mettre fin à ces disputes… »
Les quatre prévenus sont finalement relaxés pour les diverses dégradations, au bénéfice du doute. Déclarés coupables de violences mutuelles, Ahmed et Rida écopent respectivement d’amendes de 300 euros et 1 000 euros pour leur bagarre, tandis que Yassine est condamné à 3 mois ferme pour avoir molesté le fils d’Ahmed, Farel.
Pierre Havez