FAIT DU JOUR À Sardan, une maire sans délégation face à un conseil municipal impuissant
C'est un cas qui pose une question de démocratie : la maire de Sardan, Gabrielle Tarnowski, s'est vue retirer toutes ses délégations par son conseil municipal, en mars 2022. Et ses budgets sont systématiquement refusés. Pourtant, tout se poursuit comme si de rien n'était, entre passage de la Chambre régionale des comptes et validation de ceux-ci par la préfecture. Si cette dernière a servi d'intermédiaire, elle ne peut intervenir plus. La commune est sans projet de long terme et expédie les affaires courantes.
Pour qui n'est pas au fait des épisodes municipaux à Sardan, depuis 2020, le déroulement d'un conseil municipal de la commune apparaît pour le moins baroque. Entre les élus, l'ambiance est plutôt bonne et le débat est cordial, enjoué même. Mais c'est un débat auquel la maire, Gabrielle Tarnowski, ne prend presque jamais part, énonçant juste la question de l'ordre du jour et assistant aux débats, tentant quelques fois d'imposer un veto de premier magistrat ou rappelant, après les dix premières minutes de discussion, qu'elle n'a pas encore ouvert la séance.
Ce lundi 28 ocotobre, les questions ne portent pourtant pas beaucoup à polémique : achat de matériel pour le cantonnier du village d'environ 390 habitants, pose de panneau "interdit aux plus de 3,5 T", ou encore d'une barrière, avant des questions diverses que les conseillers municipaux utilisent pour demander des comptes à la maire sur certains sujets. À noter que la secrétaire de mairie n'est plus là depuis le dernier conseil municipal où elle a pris la parole pour dire son mal-être. Et elle n'est pas la première à jeter l'éponge.
"En mars 2022, on a fini par lui retirer toutes ses délégations, à cause d'une gestion lamentable"
Sandrine Crocheteux, 1re adjointe au maire
La genèse de l'affaire remonte à 2021. Entourée des conseillers municipaux Élodie Muntz, Sylvie De Arcangelis et Nicolas Argelliers, la première adjointe, Sandrine Crocheteux, explique. "En juin 2021, à la suite de plusieurs démissions, une élection partielle a été organisée en septembre, sans liste. Un collectif s'est alors monté parce que la population n'avait pas été prévenue à l'avance de la tenue de l'élection." Cette absence de publicité provoque la démission des deux premiers adjoints, et de quatre autres conseillers municipaux, dont les trois qui, avec Sandrine Corcheteux, tiennent à témoigner de la situation.
En décembre 2021, nouvelle élection partielle. "On a monté une liste à six", rembobine Sandrine Crocheteux, qui a été élue en compagnie des trois démissionnaires précédents. Le conseil municipal compte huit membres, avec la maire et un autre élu, quand onze composent théoriquement l'assemblée délibérante d'un village de cette taille. Mais c'est assez pour fonctionner.
Sauf que les relations ne s'arrangent pas entre les nouveaux élus et Gabrielle Tarnowski. "En mars 2022, on a fini par lui retirer toutes ses délégations, poursuit la première adjointe, à cause d'une gestion lamentable. Elle avait acheté un bureau, pour son bureau, et a dû en racheter un, car le premier était trop grand", cite en exemple Sandrine Crocheteux. "Elle a fait couper la bibliothèque en deux pour créer son bureau, dans lequelle elle ne va jamais", enchaîne Sylvie De Arcangelis. Et la bibliothèque a finalement disparu... Seul subsiste le panneau du réseau du Piémont cévenol, sur les grilles de la mairie.
"Même si on vote pour, ce n'est pas appliqué"
Nicolas Argelliers, conseiller municipal
"Elle a fait acheter un abribus et a voulu l'installer sur un terrain privé, embraye Élodie Muntz. Et elle n'a fait aucune demande de subvention pour cet achat, alors qu'il était éligible. En conseil municipal, il n'existe aucune commission communale. On arrive au conseil, on n'a que la moitié des informations." Pourtant, l'équipe tente quand même de faire avancer certaines idées. "On essaie de monter des projets, souligne Nicolas Argelliers. Mais au moment de la décision, bien que le conseil municipal ait travaillé, c'est finalement refusé par Madame la Maire. C'est-à-dire que, même si on vote pour, ce n'est pas appliqué."
À l'inverse du budget, contre lequel le conseil municipal a voté en 2022, 2023 et 2024. De quoi faire chuter la maire ? Non, mais la Chambre régionale des comptes est systématiquement venue, sur demande de la préfecture, au mois de juin de chaque année pour faire une proposition de budget, validée par cette même préfecture. Et la vie se poursuit, sans réel investissement d'infrastructure.
"À défaut d’accord au sein du conseil municipal, écrit la Chambre régionale des comptes dans son dernier rapport du 2 juillet 2024, la chambre propose de ne maintenir en dépenses d’investissement que d’une part les crédits nécessaires à assurer la poursuite des programmes d’investissements d’ores et déjà engagés et d’autre part ceux participant à la conduite de travaux urgents ou relevant d’une mise en sécurité. Le chapitre 21 immobilisations corporelles sera ainsi crédité à hauteur de 44 900 € pour financer la remise en état de la toiture d’un bâtiment du cimetière, la mise en sécurité de l’aire de jeux des enfants, la rénovation du réseau d’éclairage public existant, et les achats de matériels techniques, informatiques et mobiliers nécessaires au fonctionnement de la commune."
De matériel technique, il en était justement question ce lundi, en conseil municipal, avec l'achat d'une débroussailleuse, un taille-haies et une souffleuse pour le cantonnier du village, présent lors de la séance, et qui s'était chargé de demander des devis. Une première débroussailleuse avait été achetée par la maire, sans en informer son conseil, qui l'a menacée de lui faire payer si elle ne rendait pas l'équipement et ne passait pas par un vote. "Comme d'habitude, on n'a pas eu de réunion de travail avant, peste Sylvie De Arcangelis en séance. On aurait pu en débattre en amont." Élodie Muntz prend un ton plus ironique, en s'adressant à la maire : "On n'a pas eu le temps de préparer, excusez-nous..." Gabrielle Tarnowski reste muette à tout, assiste au débat sur le matériel sans y participer, approuve parfois de la tête sans émettre un son.
"On en est à six secrétaires de mairie depuis 2020"
Sandrine Crocheteux, 1re adjointe au maire
"Sans délégation, pouvez-vous engager une dépense sans l'avis du conseil municipal ?", interroge Sandrine Crocheteux. "Dorénavant, répond Gabrielle Tarnowski, je demanderai au conseil municipal pour les dépenses de fonctionnement. Mais ça s'est passé comme ça..." "Mais... c'était possible ?", insiste la première adjointe. "Je ne le sais pas, je ne sais plus", éteint la maire.
Une personne aurait sans doute pu dénouer ce point du règlement, l'élement le plus précieux dans l'administration d'un village, le ou la secrétaire de mairie. Mais la dernière a jeté l'éponge. "On en est à six secrétaires de mairie depuis 2020, souligne Sandrine Crocheteux, la prochaine commencera en décembre. La dernière a porté plainte pour harcèlement moral, elle a craqué en plein conseil municipal, en septembre." Le compte-rendu remis aux conseillers, ce lundi, n'en portait pas la trace, les élus ont exigé une modification. "Celle d'avant avait interdiction de parler à la maire, poursuit la première adjointe. Et celle d'avant, encore, était aussi partie en larmes".
"Il y a des débats, mais pas plus"
Gabrielle Tarnowski, maire de Sardan
"On a écrit à la sous-préfecture du Vigan, à la préfecture, au ministère de l'Intérieur, au Président de la République, personne ne fait rien, se désolent les quatre conseillers municipaux. On leur a listé les opérations votées et pas mises en place, mais la préfecture nous a répondu que la maire faisait ce qu'elle voulait. Puis, elle a transmis notre courrier à la maire et nous a fait passer ses réponses. On espérait plus qu'une boîte aux lettres !" La sous-préfète du Vigan, Anne Levasseur, a, de fait, renvoyé les conseillers municipaux au code général des collectivités territoriales et à la jurisprudence, qui fait du maire le seul chargé de l'administration, et c'est "à lui seul qu'incombe la charge et la responsabilité des fonctions conférées à l'autorité municipale".
Interrogée par Objectif Gard avant la tenue du conseil municipal, la maire, Gabrielle Tarnowski, ne voit pas où est le problème. "Il y a des débats, mais pas plus, répond-elle aux accusations des autres élus. J'ai été élue par le village, je suis bien ici. Je n'ai rien d'autre à vous dire." Puis, dans un dernier sursaut, "je ne m'oppose à rien, je laisse faire les choses. Je continue. Mais je n'ai rien d'autre à dire." Un autre qui n'a pas grand-chose à dire sur le sujet, à son corps défendant, c'est Fabien Cruveiller, président de la Communauté de communes du Piémont cévenol. "La commune de Sardan est représentée au sein des instances de la communauté de communes, mais pas par son maire, depuis le début de ce mandat." Gabrielle Tarnowski ne vient pas plus à l'assemblée réservée aux maires.
"Ce suréquilibre (...) devra conduire la collectivité à revoir ses taux d'imposition au titre des années à venir"
Rapport de la Chambre régionale des comptes du 2 juillet 2024
Seul point positif - si l'on ose dire - pour la commune face à cette situation de blocage, la prochaine majorité cohérente aura des moyens pour investir. La Chambre régionale des comptes note en effet, dans son rapport de juillet dernier, un "suréquilibre de la section de fonctionnement de 138 064 €. Ce suréquilibre (...) devra conduire la collectivité à revoir ses taux d'imposition au titre des années à venir, si à défaut de majorité au sein de son conseil municipal, elle ne peut conduire de projet tant d’investissement que de fonctionnement". Ce qui annonce, donc, soit une baisse d'impôt, soit un future majorité qui aura les moyens de ses ambitions...
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