FAIT DU JOUR Affaire de l'imam Mahjoubi interpellé et expulsé : l'onde de choc
Ce jeudi 22 février, l'imam Mahjoub Mahjoubi "a été expulsé du territoire national moins de 12h après son interpellation", a indiqué sur X, Gérald Darmanin. Des fidèles sont abasourdis, son avocat trouve que c'est "disproportionné", tandis que Le Parisien révèle d'autres éléments graves reprochés au dignitaire religieux dans l'arrêté d'expulsion.
Un peu avant 16h, ce jeudi, une pluie fine tombe sur Bagnols-sur-Cèze. C'est l'heure de la prière, des fidèles affluent vers le Mont Cotton pour se rendre à la mosquée At-Tawba. Quelques heures auparavant, l'imam Mahjoub Mahjoubi, de nationalité tunisienne, a été interpellé en vue de son expulsion. L'homme est dans la tourmente en raison de propos tenus dans un prêche en vidéo. Il y parle de drapeaux "tricolores" qui "ont une valeur satanique". L'imam expliquait dans nos colonnes avoir commis un lapsus et avoir voulu parler de "drapeaux multicolores". Défense appuyée par son avocat qui assure "qu'il ne parlait pas du drapeau français et qu'il peut commettre des petites erreurs de français". Ce lundi 19 février, une enquête préliminaire avait été ouverte pour "apologie du terrorisme".
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Dès le début de semaine, Gérald Darmanin avait demandé le retrait de son titre de séjour. Ce jeudi soir, le ministre de l'Intérieur a indiqué sur le réseau social X (ex-Twitter) que l'imam avait été expulsé du territoire national, "moins de 12 heures après son interpellation. C'est la démonstration que la loi Immigration, sans laquelle une telle expulsion aussi rapide n'aurait pas été possible, rend la France plus forte. Nous ne laisserons rien passer."
Un fidèle : "La vérité finit toujours par éclater"
À la mosquée At-Tawba, le ton était bien différent ce jeudi. Plusieurs fidèles préféreront ne pas commenter l'interpellation de l'imam. Un répondra brièvement à la question "Comment avez-vous pris la nouvelle ?" par deux mots : "Surpris et triste". Il hausse les épaules en ajoutant "c'est comme ça", avant de filer au pas de course à la prière. Un autre estime que ce qui arrive est "catastrophique. Il a de la famille, un fils malade. C'est désastreux".
Un jeune fidèle qui a grandi à Bagnols-sur-Cèze et a toujours connu Mahjoub Mahjoubi, ne retrouve pas l'homme dans le portrait dressé dans les médias. "Ce qu'on dit de lui n'a rien à voir. C'est quelqu'un de communautaire, qui aide tout le monde et qui s'entend bien avec beaucoup de personnes. Il nous apporte du bien", estime-t-il. Il déplore que la vidéo incriminée ait été "coupée et sortie de son contexte". Il conclura en disant : "La vérité finit toujours par éclater."
"Je ne comprends pas le risque de trouble à l'ordre public lié à sa présence en France"
Maître Samir Hamroun, l'avocat de Mahjoub Mahjoubi, a suivi l'interpellation en direct à distance car lorsque "les policiers ont pénétré dans l'appartement, son épouse a eu le réflexe de m'appeler. Ça s'est déroulé en présence de ses enfants mineurs qui étaient dans une situation de détresse indescriptible", rapporte-t-il. Sur le moment, l'avocat n'a pas compris pourquoi cette expulsion se déroulait aussi rapidement : "Au pire, il était imputé des propos à M. Mahjoubi qui l'auraient poussé à s'expliquer devant une autorité. Je ne comprends pas le risque de trouble à l'ordre public lié à sa présence en France. De mon avis, on est en train d'essayer les contours de la nouvelle loi du ministre de l'Intérieur, aux dépens de M. Mahjoubi." Il ajoute : "La loi est adoptée, même le juge ne peut pas empêcher l'expulsion. Il peut ordonner son retour si le recours est accepté dans quelques mois. Mais resteront le traumatisme de l'expulsion et de la séparation avec les enfants."
Dans l'immédiat, l'avocat a deux recours : "On a un recours devant le juge des libertés et de la détention pour lequel on peut demander de remettre en liberté M. Mahjoubi. On a un recours aussi devant le tribunal administratif qui n'est pas suspensif malheureusement." Cela s'est vérifié puisque Mahjoub Mahjoubi a été expulsé du territoire moins de 12h après son interpellation, alors que son avocat devait déposer le recours ce jeudi soir.
Un arrêté d'expulsion où serait reprochée "une conception littérale, rétrograde, intolérante et violente de l’Islam"
Soumis au secret professionnel, Me Hamroun ne peut pas communiquer les motifs exacts de ce qui est reproché à son client : "Je peux simplement vous dire que je suis extrêmement surpris de ce qui nous est opposé. Il y a d'autres éléments que la vidéo mais ce qui m'étonne, c'est que ce sont des éléments tout à fait anodins."
Des éléments figurant dans l'arrêté d'expulsion auquel a eu accès nos confrères du Parisien. Dans le document, il lui serait reproché d'avoir prôné "une conception littérale, rétrograde, intolérante et violente de l’Islam, de nature à encourager des comportements contraires aux valeurs de la République, la discrimination à l’égard des femmes, le repli identitaire, les tensions avec la communauté juive et la radicalisation djihadiste" dans plusieurs prêches de février 2024, à la mosquée At-Tawba.
Toujours selon l'article du Parisien, Mahjoub Mahjoubi aurait tenu des paroles pour le moins rétrogrades envers les femmes, ainsi que des "propos haineux contre la société française et les non-musulmans". Il critiquerait entre autres la mixité dans les écoles.
Mahjoub Mahjoubi était en route pour la région parisienne ce jeudi
Lorsque nous avons joint l'avocat, l'expulsion n'avait pas encore eu lieu. Me Hamroun n'avait alors pas encore eu de nouvelles de son client qui était en route pour un centre de rétention en région parisienne. Il avait le sentiment que "c'est très disproportionné. J'ai des contacts avec d'autres avocats qui sont interloqués. Ça devient compliqué au niveau des libertés fondamentales." L'imam de 52 ans, père de cinq enfants, chef d'entreprise, était installé en France depuis 1986.
Le maire Jean-Yves Chapelet n'a pas souhaité davantage s'exprimer ce jeudi. Lundi, il écrivait dans un communiqué "avoir pleinement confiance en l'État et en la Justice pour prendre les décisions qui s'imposent dans cette affaire." Jean-Christian Rey, président de l'Agglomération du Gard rhodanien, s'est dit "abasourdi, quand j'étais maire (de Bagnols, entre 2008 et 2017, NDLR), je n'ai jamais eu écho de quoi que ce soit, je n'ai jamais eu d'alerte sur le sujet." L'élu dit avoir "confiance dans (son) pays et dans l'État de droit." En direct avec nos confrères de France info jeudi après-midi, la députée Rassemblement national, Pascale Bordes, a tenu une ligne beaucoup plus tranchée : "Ce personnage n'a rien à faire sur le territoire français (...) Il n'y a pas que les paroles prononcées sur l'extrait vidéo. On peut s'interroger sur la place qu'il réserve aux femmes."
Contacté, le préfet n'a pas répondu à notre sollicitation à l'heure où nous écrivons ces lignes.