Publié il y a 3 jours - Mise à jour le 27.03.2025 - Propos recueillis par François Desmeures - 10 min  - vu 684 fois

FAIT DU JOUR Anne Levasseur, sous-préfète du Vigan : "Les petites communes rurales : je les défends et fais en sorte que leurs projets aboutissent"

Anne Levasseur est sous-préfète du Vigan depuis le 27 mars 2023

- François Desmeures

Ce 27 mars, cela fait deux ans qu'Anne Levasseur a pris en main la sous-préfecture du Vigan. Une première dans la préfectorale pour cette fonctionnaire issue du social, qui est venue remplacer une autre sous-préfète au style atypique, provenant elle du milieu culturel. En deux ans, elle a imposé sa marque faite avant tout de dialogue et de tentatives de trouver des terrains d'entente dans un territoire qui se sent parfois maltraité par les antennes de l'État. Un premier bilan, un an avant l'éventuelle fin de son mandat. Entretien. 

Anne Levasseur est sous-préfète du Vigan depuis le 27 mars 2023 • François Desmeures

Objectif Gard : Deux ans après votre installation, comment définiriez-vous l'arrondissement du Vigan et quels en sont les caractères principaux à vos yeux ?

Anne Levasseur : Ce qui me vient en premier à l'esprit, c'est isolé, enclavé et avec des élus qui sont très en attente, pour qui l'État représente quelque chose et qui souhaitent, de la part du représentant de l'État, qu'il puisse les écouter et leur apporter les réponses qu'ils n'ont pas toujours. J'ai énormément de petits communes et les secrétaires de mairie sont une denrée rare, avec une présence parfois ponctuelle. Je me suis donc aperçu que les maires ont un certain nombre de questions pour lesquelles ils n'ont pas de réponse. Et, pour autant, ils n'avaient pas l'habitude de venir vers la sous-préfecture pour obtenir ces réponses. Je n'ai eu de cesse de leur rappeler qu'on était à leur disposition, que s'ils avaient un problème, il ne falllait pas qu'ils hésitent à nous joindre. Ma conception du terrain est d'être à la disposition des élus ou des différentes assciations qui les rassemblent, pour jouer un rôle de médiation, si besoin est, avec les autres administrations de l'État, qui sont à Nîmes.

Quand vous parlez d'une "envie d'État", c'est parce que les territoires ont eu l'habitude d'être biberonnées ? Ou plutôt parce qu'ils se sentent abandonnés des structures étatiques ?

Je pense qu'ils se sentent plutôt abandonnés. Un exemple a été la réforme des DDFIP (direction départementale des finances publiques, NDLR) et le départ du centre des impôts du Vigan. Ils ont des besoins, ce que je comprends. Mais comme ils se sentent abandonnés, il se sont repliés sur eux-mêmes. Je suis allée dans des communes qui n'avaient pas vu de sous-préfet depuis une dizaine d'années - car on ne travaille bien que ce qu'on connaît bien - et je découvre des problèmes dans tous les domaines. L'urbanisme domine, évidemment, mais il y a aussi des problèmes de santé, d'Éducation nationale, de divagation, de rocs, etc. En fait, au bout de deux ans, je dirais qu'il n'y a pas de petits problèmes pour les élus. Ce qui pourrait apparaître comme un petit problème vu de Nîmes - avec les grands problèmes de sécurité et les problèmes économiques - ici, les élus ont des problèmes, des petits problèmes, mais qui sont très importants pour eux. 

"Les élus sont très demandeurs et c'est justement pour ça que le rôle du sous-préfet est essentiel dans un territoire rural"

Sentez-vous les élus locaux résister à ce désengagement ressenti ?

Ça dépend ce que vous appelez résister. Déjà, j'ai trois communautés de communes. Il y en a une qui est atypique c'est Causse-Aigoual-Cévennes Terres solidaires, qu'on ne peut pas comparer avec Piémont cévenol, les thématiques sont totalement différentes. C'est sûr qu'on sent beaucoup plus isolés en Causse-Aigoual-Cévennes qu'en Piémont cévenol. Mais résister, résister à l'État ?

À la moindre présence de la fonction publique en général ?

Ils sont très demandeurs et c'est justement pour ça que le rôle du sous-préfet est essentiel dans un territoire rural. Il est là pour faire le lien avec les administrations qui sont loin. Je pense que Le Vigan a laissé passer des trains ou du moins la communauté de communes du Pays viganais. Il y aurait eu des opportunités, peut-être, pour avoir des doubles voix. Des choix qui ont été fait à une époque. Dont acte. Maintenant, il faut réussir à ce que cet arrondissement développe des atouts, parce qu'il a des atouts touristiques, notamment. Mais cela n'empêche pas qu'il est très isolé...

Comment l'État aide-t-il le territoire ?

Déjà, il y a une action portée par la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer, NDLR), Petites villes de demain, avec un programme ambitieux sur le Pays viganais. Il faut attirer des personnes parce qu'on ne vient pas au Vigan par hasard, comme je l'ai souvent entendu dire. Les actions prévues dans ce programme sont de nature à améliorer l'attractivité, la façade. Car au-delà du projet urbain et de l'opération d'amélioration de l'habitat, il existe un projet sur le développement des commerces. C'est une bonne chose. On voit aussi une démarche commune entre Causse-Aigoual-Cévennes et Pays Viganais, à travers le PETR (pôle d'équilire territorial et rural), qui nous aide beaucoup, on travaille très bien avec eux. Il y a un échange constant et le PETR et nous. Il y a aussi les projets qu'on soutient dans le cadre de la DETR (dotation d'équipements des territoires ruraux), même si j'ai la plus petite enveloppe du département. On s'attache à favoriser le plus de projets possible en jouant sur le montant des subventions octroyées. Par contre, si un maire me demande 40 % de subvention, et que je lui en propose 20, on arrête ensemble un plan de financement. Je prends l'exemple du barrage du lac du Bonheur, à Camprieu, pour lequel on a bataillé avec la maire, Nicole Amasse : pendant un an et demi, j'ai fait des réunions pour mobiliser les financements dont elle avait besoin, on a même trouvé du fonds vert parce que la DDTM a instruit de façon bienveillante - car, contrairement à ce qui est dit, elle n'instruit pas uniquement à charge.

"Les deux dossiers emblématiques, que je porte depuis deux ans, sont celui du centre de secours du SDIS du Vigan et de la caserne de gendarmerie"

Parvenez-vous à trouver un équilibre, avec les maires et les antennes de l'État, entre les différents "porté à connaissance", ou PAC (feux de forêts et chute de blocs), qui ont sévèrement réduit la possibilité de bâtir en Cévennes, et la volonté des élus de conserver leur école de village et, donc, d'accueillir de nouvelles populations ?

Oui, on peut concilier les choses car, quand il y a une refus, les maires font appel à moi et j'organise une réunion en sous-préfecture ou sur le terrain. je travaille très bien avec Mme Arrghi, de la DDTM d'Alès. Elle explique in situ pourquoi le projet ne peut pas être accepté en l'état. Et on voit ensemble les aménagements ou les compensations possibles. C'est faisable pour le PAC feux de forêt, sauf si l'aléa est très fort. L'inondation, c'est moins facile car on ne négocie pas sur un PPRI (plan de protection du risque inondation). Pareil sur les chutes de bloc. Ce qui crispe les élus, c'est lorsqu'ils reçoivent un avis négatif, que je signe quand les communes ne sont pas dotées d'un document d'urbanisme. Mais il appartient aux communes de se doter d'un document d'urbanisme ! Si elles le font, elles sont plus autonomes. 

Quels sont les dossiers qui vous tiennent à coeur sur le territoire ?

Les deux dossiers emblématiques, en ce moment, et que je porte depuis deux ans, sont celui du centre de secours du SDIS du Vigan et de la caserne de gendarmerie. Pour les pompiers, j'en étais à 4 ou 5 réunions, le préfet en a tenu une en préfecture, pour faire le point, lundi dernier (le 17 mars, NDLR). On se heurte à un problème de terrain : le site des Plots est mis à disposition. Mais le SDIS n'en veut manifestement pas, il ne fait l'unanimité au sein du conseil d'admnistration, nous dit le président, M. Pissas. Et il y a une problème d'inondation sur une éventuelle crue exceptionnelle. Pour autant, c'est le seul terrain disponible, à ma connaissance. La mairie est en train de faire une dernière étude sur la crue centennale, on aura les résultats d'ici un mois. Je ne voulais pas qu'on puisse dire que c'était la faute de l'État. On aura été jusqu'au bout, on aura fait toutes les études et tout le monde pourra se positionner. Mais il faut arrêter de renvoyer la balle une fois sur le conseil départemental, une autre sur l'État. Le conseil départemental a clairement dit à la fin de la réunion de la préfecture que, pour l'accès à la route départementale, c'était bon. Côté casernes des gendarmes, on a un problème de ruissellement sur le terrain acquis par la mairie. On attend une ultime étude et, en fonction de cela, il restera surtout à trouver le porteur de projet puisque les offices ne paraissent pas intéressés. Mais c'est vrai que c'est difficile, sur le Pays viganais, car ils sont confrontés à de multiples aléas : minier, ruissellement, inondations, feu de forêt, chute de blocs...

Le terrain que Le Vigan proposait pour les pompiers, à côté de la station d'épuration, et qui semblait faire l'unanimité en juin dernier... • François Desmeures

Est-ce que vous sentez, face à l'accumulation des règles et la perte de compétences, une crise des vocations arriver chez les maires, alors que pointent les élections municipales ? 

Très clairement, oui. Ce n'est pas tant une perte de pouvoir. Un maire me disait "c'est un sacerdoce". Et c'est vrai, parce que ça prend un temps fou et ils ne sont pas forcément aidés par le fait que les secrétaires de mairie ne sont à temps plein. Si un maire ne peut même pas faire sortir un projet qui lui plaît, ça ne rime à rien, il n'y a plus aucun intérêt à être maire, à se faire élire sur un projet, et à le faire sortir. 

"À la réunion annuelle du fameux observatoire des ruralités, j'ai été désolée de voir qu'il n'y avait que quatre communautés de communes représentées"

Au-delà des maires, ne craignez-vous pas, face à la baisse de la démographie scolaire, que des villages périclitent avec la perte de leur école ?

J'ai beaucoup appris avec le Dasen (directeur académique des services de l'Éducation nationale), Christophe Mauny, qui a très à coeur d'aller sur le terrain. Ce qu'il explique très clairement, notamment à travers l'Observatoire des ruralités, c'est qu'il faut arrêter de penser sur le modèle "un village, une école". Je suis entièrement d'accord que les maires sont attachés à "l'école de la République", mais est-ce que c'est vraiment l'intérêt des enfants ? S'il y a une classe unique avec, par exemple, cinq enfants en CP et un en CM2, comment se portent-ils vers le haut ? Ils auront peut-être intérêt à être avec leurs pairs, dans une école de la communauté de communes, mais avec plus d'enfants de son âge. Il faut dépasser cela - même si je sais que c'est difficile. Cela fait partie des deuils à faire. Mais à la réunion annuelle du fameux observatoire des ruralités dont je parlais, j'ai été désolée de voir qu'il n'y avait que quatre communautés de communes représentées. C'est dommage. La critique est facile, l'art est difficile. Mais il faut aussi évoluer, des positions ne sont plus défendables et il faut toujours considérer l'intérêt de l'enfant. 

Perte de l'école et perte de vocation des maires, l'État ne risque-t-il pas de devoir gérer des villages en ligne directe et ces villages ne risquent-ils pas de se dépeupler plus vite ?

Peut-être est-ce aussi la porte ouverte au regroupement communal... N'est-ce pas l'évolution pour demain ? Je ne dis pas que c'est un grand projet de l'État, mais il va bien falloir qu'on évolue. Si le modèle des petites ruralités n'est plus le modèle adapté, il faudra l'accepter. 

Et vous pensez que l'attachement des Français ruraux à leur village et à leur maire peut être dépassé ?

S'il n'y a plus de maire... Maintenant, j'espère qu'on gardera les petites communes rurales, je les défends et fais en sorte que leurs projets aboutissent.

"Un fait, qu'on ne peut pas nier, c'est une augmentation des attaques et des dommages du loup"

Vous êtes aussi référente pour le plan national d'actions du loup. Le directeur de la DDTM a rencontré récemment les éleveurs et syndicats agricoles. Avez-vous le sentiment que le nouveau plan peut être mieux accepté que le précédent ?

Il y a une crispation, actuellement. Et un fait, qu'on ne peut pas nier, c'est une augmentation des attaques et des dommages. Le double, si on compare sur la même période. Cela ne veut pas dire une augmentation du loup. Mais compte tenu de la pression sur l'élevage, la DDTM a été amenée à instruire de façon bienveillante les indemnisations. Mais quand un éleveur retrouve ses brebis égorgées, que lui chaut du nouveau plan loup ? En fonction de la pression de la prédation, on va aussi sans doute revoir les zonages, pour permettre aux éleveurs de mieux se protéger. Je les comprends parfaitement. Mais c'est un juste équilibre à trouver et il n'en demeure pas moins que la règle, c'est la règle. 

Anne Levasseur lors de son intronisation au Vigan • François Desmeures

C'est votre premier poste de sous-préfecture. Comment voyez-vous la fonction ? Est-elle frustrante ? Ou au contraire vous sentez-vous plus libre que lorsque vous étiez directrice de la cohésion sociale ?

Différente. Quand j'étais directrice départementale, je mettais en place. J'étais technicienne, en fait, même si j'avais une équipe de 80 personnes. Mais mon rôle était une force de proposition et d'action auprès du préfet. Ici, je n'ai plus ce rôle de technicienne. Il ne faut surtout pas que je l'aie. Parce qu'il y a un équilibre à trouver entre les directions qui, elles, font. En revanche, je sais, quand un problème remonte, à la porte de qui il faut frapper. Et j'entretiens d'excellentes relations avec mes collègues parce que je connais le métier. Une sous-préfète, ça coordonne, ça ne fait pas "à la place de". On a une grande marge d'autonomie, mais avec la loyauté attendue envers le préfet. Avec l'équipe préfectorale, il y a un très bel esprit d'entraide et de partage, ça facilite les choses. 

"Les élus me demandent : "Mais vous êtes sûre que vous serez là pour la prochaine réunion ?"

Le secteur social fait face à des difficultés qui augmentent et certaines associations importantes du département pourraient bien fermer des services, notamment en matière d'accueil. Vous qui venez de ce secteur, à distance désormais, n'avez-vous pas l'impression d'assister à une forme d'écroulement de la politique sociale française telle qu'on l'a connue ?

Je suis un peu retirée des affaires depuis deux ans. Mais je dois avouer que c'est un peu ce qui a motivé mon changement de cap. Parce que je voyais des politiques, notamment sur l'hébergement d'urgence, de plus en plus difficiles à mettre en place, avec des moyens de moins en moins conséquents, des demandes de fermeture de places, alors même que nous avions des structures saturées. Je ne m'y retrouvais plus. Je ne sais pas comment les choses ont évolué. Même si, sur les politiques de la ville, les crédits ont été maintenus.

En théorie, il vous reste un an de fonction à la sous-préfecture du Vigan ? Avez-vous une idée de ce que vous allez faire ?

C'est marrant parce qu'en ce moment, en fin de réunion, je dis "concrètement, on a fixé des objectifs, on se revoit quand ?" - parce que sinon ça part dans les limbes. Et les élus me demandent : "Mais vous êtes sûre que vous serez là pour la prochaine réunion ?" Je vais être très claire : j'ai quitté un emploi, avec une structure à gérer, pour faire du terrain. Comme je l'ai dit, j'aime beaucoup ce que je fais. On m'a demandé de faire des choix. J'ai dit clairement que je ne voulais qu'un poste de sous-préfète. Le ministère me proposera un poste de sous-préfet de catégorie 4, ou pas (Le Vigan est en catégorie 5, NDLR). Mais je ne partirai pas à Lodève, pourtant en catégorie 4, parce que j'aurais les mêmes thématiques. Maintenant, ici, je suis très bien. La seule chose, si je dois être honnête, qui commence à m'insupporter, c'est le climat. Cela fait un an qu'on a un temps pourri, même les gens du cru n'en peuvent plus, et moi j'ai passé 20 ans dans les Pyrénées-Orientales... Mais peut-être que j'apporte la pluie ?!? (rires)

Propos recueillis par François Desmeures

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