Publié il y a 12 h - Mise à jour le 04.12.2024 - Thierry Allard - 4 min  - vu 216 fois

FAIT DU JOUR Dos au mur, les Côtes du Rhône ont un plan pour sortir la tête de l’eau

Damien Gilles, Philippe Pellaton et Samuel Montgermont, hier matin à Avignon

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« Ce n’est pas la première crise que l’on vit, mais celle-ci est différente, beaucoup plus fulgurante, beaucoup plus forte » : le constat, implacable, est signé du président du Syndicat des vignerons des Côtes du Rhône, le spiripontain Damien Gilles, ce mardi lors d’une conférence de presse à la Maison des vins d’Avignon.

Car le vin en général, et les Côtes du Rhône aussi, font grise mine depuis quelques années, et la situation s’est encore dégradée au cours des derniers mois. « On constate dans nos chiffres une rupture à partir de 2019/2020 », pose Philippe Pellaton, le président de l’interprofession des Côtes du Rhône Inter-Rhône. Décrochage de la consommation, décrochage du prix de vente, mais aussi des sorties de chais, avec un recul de 7 % sur la campagne 2023/2024, même si le début de la campagne 2024/2025 montre un frémissement à la hausse.

Se rajoute à tout cela un millésime compliqué dans les vignes, l’humidité ayant favorisé le mildiou, et « les producteurs, dans une situation économique compliquée n’ont pas pu tout mettre en oeuvre pour protéger leurs cultures », affirme Damien Gilles. Résultat : « nous allons enregistrer la plus petite récolte de l’histoire en Côtes du Rhône et en Côtes du Rhône villages », lâche-t-il. Cette baisse de la production est aussi due à la baisse du rendement maximal autorisé en Côtes du Rhône, passé l’année dernière de 51 hectolitres par hectares à 41.

« Des décisions difficiles »

Bref, « il va falloir agir, réagir, trouver des solutions, pose le président de l’Union des Maisons des vins du Rhône Samuel Montgermont, représentant de la famille négociants. Il va nous falloir apprendre à changer une grande partie des paradigmes de la commercialisation des vins. » En cause : la déconsommation, « une tendance de fond, que nous devons accompagner et accepter », estime le négociant, qui avance le chiffre de « -20 % de consommation de vins dans le monde depuis 2019 », une chute qu’il explique par « une rupture générationnelle très importante. » En deux mots : les jeunes ne consomment du vin que plus occasionnellement que leurs aînés alors qu’« avant le consommateur venait naturellement à nous », rappelle Samuel Montgermont. Il faut donc, pour lui, « absolument aller voir le consommateur », notamment par le biais de l’œnotourisme, en structurant l’offre localement. « Il ne faut pas faire boire plus de vin à nos consommateurs mais trouver plus de consommateurs », résume-t-il.

En attendant, dans ce contexte, « les moyens de production sont probablement surdimensionnés », estime le patron des négociants, et c’est le cas « dans une très grande majorité des pays producteurs. » Avec une conséquence : l’export ne sera pas la planche de salut espérée, en tout cas pas tout seul. Alors les vignerons ont dû prendre « des décisions difficiles », comme le présente Damien Gilles. D’abord la baisse des rendements à 41 hectolitres par hectare pour la deuxième année consécutive, « accueillie de façon difficile, mais en adéquation avec nos marchés », affirme-t-il. Encore plus difficile : la distillation, « jamais une chose simple surtout au prix pratiqué l’année dernière, c’est un crève-coeur, mais on le fait pour l’appellation », commente Damien Gilles.

Enfin, troisième décision, la plus radicale : l’arrachage, « un nouveau crève-coeur. » Sur l’arrachage, « nous avons une vision plus précise, on parle de plus de 6 000 hectares », avance-t-il. Le Gard serait le département le plus touché, avec environ 4 000 hectares arrachés, devant le Vaucluse (1 000 hectares), la Drôme (900 hectares) et l’Ardèche (290 hectares). Avec des compensations jugées insuffisantes par les vignerons, de 4 000 euros l’hectare : « la base attendait beaucoup plus », reconnaît Damien Gilles.

Egalim 4 en ligne de mire

Pour ne pas avoir à en arriver là, « il nous faut agir sur l’attractivité de nos vins », pose Samuel Montgermont, et ça passe, selon lui, par « assumer notre diversité » tout en définissant des profils par couleur. Les vins des Côtes du Rhône ont pour eux leur fraîcheur, mais aussi leur complexité, « un vecteur d’attractivité, notamment à l’export », estime le négociant. Car les vins des Côtes du Rhône ont quelques atouts dans leur manche qui leur permettent de résister un peu mieux que d’autres appellations. C’est le cas en grandes et moyennes surfaces : « sur la France entière elle est en recul de 5 %, pour la vallée du Rhône c’est -3 % et pour les Côtes du Rhône -2 %, on voit une résilience », affirme Damien Gilles. Idem à l’export, où le volume recule de 2 % pour les Côtes du Rhône, contre une chute de 7 % sur l’ensemble des appellations. « On a réussi par un travail collectif à résister », souligne le vigneron spiripontain.

Et si les vignerons agissent pour sortir la tête de l’eau, ils en attendant autant de l’État désormais. Un mot revient : Egalim, du nom de la loi devant garantir aux agriculteurs un revenu décent, dont la 4e mouture doit être discutée. « Les travaux sur Egalim 4 doivent être menés », affirme Philippe Pellaton qui, avec son homologue de Bordeaux, a « pris le taureau par les cornes. » Avec un enjeu de taille : tomber d’accord sur des indicateurs fiables et sécurisés. Sur ce plan, Inter-Rhône a de l’avance et quelques indicateurs maison. De quoi permettre à l’interprofession de dire que le prix plancher sur son territoire est de 120 euros l’hectolitre.

Et encore, le coût de production de l’hectolitre par hectare oscille entre 150 euros en conventionnel et 166 euros en bio. Un montant en hausse, résultat de « millésimes difficiles successifs, de la hausse du prix des engrais, des carburants, du manque de main d’oeuvre qui oblige à recourir à des prestataires, et des exigences environnementales dont nous sommes leaders dans l’accompagnement, mais qui ont un prix et ne sont pas valorisées », développe Damien Gilles. Alors « les 120 euros doivent être une articulation de démarrage », estime-t-il. Les vignerons en sont convaincus : leurs décisions vont permettre un rebond, notamment sur le rouge, « mais nous avons besoin d’un petit moment pour nous adapter », affirme Damien Gilles, donc la nécessité de vendre à un prix juste s’impose d’autant plus. Cependant, pour avancer sur Egalim, encore faut-il avoir un gouvernement en face. « L’instabilité gouvernementale ne nous facilite pas la tâche », reconnaît Philippe Pellaton.

Avec tout ça, on en oublierait presque qu’un nouveau millésime arrive. « La note positive, c’est la qualité de ce millésime », souligne Philippe Pellaton, qui annonce « des vins gourmands, avec de la matière, une belle vivacité, qui correspondent aux profils qu’on veut bâtir. » Des vins qui s’annoncent moins forts en alcool, « en adéquation avec les attentes des consommateurs », affirme Damien Gilles. À bons entendeurs…

Thierry Allard

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