Publié il y a 1 an - Mise à jour le 29.07.2023 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 1766 fois

FAIT DU JOUR Éric Agrinier, un marathonien chez les pompiers

Éric Agrinier a reçu les insignes de chevalier de l'ordre national du mérite 

- Photo Sdis 30

Ce lieutenant-colonel, qui a reçu les insignes de chevalier de l’ordre national du Mérite, est un fou de course à pied "longues distances". Un des meilleurs chronos de ce chef de groupement au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Gard ? Avoir couru 100 kilomètres en 7h18’46 secondes. Ce portrait est issu du numéro 71 d'Objectif Gard le magazine paru en avril dernier.   

"J’ai été entraîneur de course à pied pendant 50 ans. J’ai accompagné une centaine de personnes différentes. Parmi eux, il y en a deux ou trois qui surnagent. Éric Agrinier en fait partie", tranche Bernard Brun. À 73 ans, le 3 avril, il a quitté sa tanière lozérienne pour assister, à Nîmes, à la cérémonie de remise des insignes de chevalier de l’ordre national du Mérite au lieutenant-colonel Éric Agrinier. 

"Parmi tous les gens que j’ai suivis, peu ont le caractère d’Éric, estime Bernard Brun. C’est un cube en acier avec des arrêtes bien acérées. C’est quelqu’un de très structuré, de très volontaire. Le 100 kilomètres sur route revient à courir pendant 7 heures. Il faut une maîtrise de soi physique, intellectuelle et émotionnelle." Mais, selon lui, la force d’Éric Agrinier, n’est pas uniquement sa volonté hors norme : "On pourrait penser que c’est quelqu’un d’un peu dur. Pas du tout, c’est quelqu’un qui a un grand cœur. C’est quelqu’un de tendre, d’accessible aux autres. En général, les sportifs de haut niveau sont très égocentrés. Pas lui."

Sapeur-pompier depuis 1990

Éric Agrinier s’investit d’ailleurs depuis 33 ans au service des autres : il est sapeur-pompier. Cet homme de 52 ans au physique affûté, l’avoue dans un sourire, il n’avait jamais imaginé devenir pompier. Un week-end, en 1989, ce fils de famille modeste va donner un coup de main à sa mère, fleuriste, sur un forum des associations à Saint-Hippolyte-du-fort. Pile face à son stand est installé celui des pompiers. "Ces anciens, forts habiles et forts sympathiques, cherchaient à rajeunir les effectifs de la caserne", sourit-il. L’opération séduction fonctionne. Sportif, lycéen au Vigan, il devient pompier volontaire à la caserne de son village.

À l’époque, pas de téléphone portable. Sa première intervention a lieu la nuit. Vers une heure, son bip retentit. La tension monte. "On se demande si on va entendre le bip, si on va arriver rapidement à la caserne", raconte- t-il. Une personne dépressive menace de se suicider à Quissac. Elle est potentiellement dangereuse. Elle sera maîtrisée avec l'aide du médecin. "Quand on monte la première fois dans un véhicule sirène hurlante, c’est palpitant, relate-t-il. On a l’incertitude de savoir sur quoi on va tomber. Mais, 30 ans après c’est pareil."

Émeutes, inondations…

L’année de son baccalauréat, il réussit le concours de sapeur-pompier professionnel. Après son service militaire, il intègre la caserne de Vauvert. En 1999, la cité camarguaise est secouée par des émeutes. "Un jeune avait reçu une balle de la part d’un homme qui s’était fait justice lui-même. Il y avait des incendies de voitures, des commerces saccagés…", se remémore-t-il. Des renforts de forces de l’ordre sont envoyés. Les pompiers, eux, doivent éteindre les feux, porter secours aux personnes.

En 2000, Éric Agrinier réussit le concours de sous-officier. Retour à la caserne de Saint-Hippolyte-du-fort, mais comme numéro deux du centre. Sportif aguerri, il est membre de l’unité spécialisée d’intervention en milieu périlleux, le GRIMP. En 2002, pas d’émeutes, mais de très violentes inondations. Le chef du centre de Saint-Hippolyte part en intervention à Quissac. Coincé sur place par la montée des eaux, il ne revient à la caserne que trois jours plus tard.

Le Cévenol est sapeur-pompier depuis 33 ans • Photo Sdis 30

Celle de Saint-Hippolyte n’est pas inondée mais submergée de demandes de secours qui n’en finissent pas. "La sous-préfète y avait installé son poste de commandement. Les lignes téléphoniques ne fonctionnaient pas toujours et pas partout", se souvient l'officier. Il faut s’adapter, mettre en place des dispositifs innovants.

"Un chef sans hommes ce n’est rien du tout"

En 2004, devenu lieutenant, il rejoint la direction départementale. Il participe à la mise en place du centre d’appel unique. Auparavant, quand on appelait les pompiers, on tombait directement sur la caserne. Avec ce centre, quand on tape le 18 ou le 112, on tombe sur un opérateur départemental qui alerte ensuite la caserne concernée. L’avantage : s’il n’y a pas suffisamment de moyens disponibles, il peut aussi faire intervenir des pompiers des autres casernes.

En 2008, sur concours, Éric Agrinier décroche ses galons de capitaine. Il est nommé à la tête de la caserne de Sommières. "C’est un poste riche de rencontres et de projets. Je cherchais à ce que les collègues soient épanouis et se sentent investis, décrit-il. Un chef sans ses hommes ce n’est rien du tout."

En 2015, nouveau concours, celui de commandant. Nouvelle réussite et nouveau poste à la tête du CODIS, le centre opérationnel départemental d’incendie et de secours du Gard. "Durant cette période il fait preuve d’une grande rigueur et expertise qui incite le directeur départemental à lui confier de nouvelles missions et une promotion associée", pointe le capitaine Alex Piette, chef du centre de secours d’Uzès, dans un document envoyé aux instances de l’ordre national du Mérite.

Éric Agrinier est aujourd’hui chef de groupement. Il appartient à l’équipe de direction du SDIS. Il doit notamment développer les actions citoyennes et le volontariat. Il est aussi porte-parole du SDIS. Chef du protocole, il vivra un des moments les plus émouvants de sa carrière en 2019 quand il commandera les troupes lors de la cérémonie d’obsèques de Franck Chesneau, un pilote de Tracker décédé lors d’une intervention sur un incendie à Générac.

Éric Agrinier
Éric Agrinier fait partie aujourd'hui de la direction du Sdis  • Photo Norman Jardin

Pudeur, modestie. Éric Agrinier n’est pas très bavard sur les opérations qu’il a menées. Pour lui le plus difficile pour un pompier n’est pas une intervention très technique en milieu périlleux mais d’avoir le mental pour garder le cap des opérations quand on côtoie des drames humains. Savoir tenir le choc et se remobiliser ensuite pour d’autres interventions quand on se retrouve, par exemple, face à des familles décimées par un accident.

En une du magazine Running

Pour gérer les émotions, ce Cévenol a une méthode imparable : le sport. Il s’est mis à courir en 1990. Lors des tests réalisés au cours de sa formation de pompier professionnel, Michel Lelut, un formateur sportif de haut niveau, décèle des qualités et le pousse à courir. "J’ai commencé par des courses de villages, puis j’ai mal tourné", plaisante Éric Agrinier. Son palmarès comporte plusieurs titres nationaux. Sur une table dans son bureau, des récompenses et des coupes sont posées.

Il garde même dans un coin de son armoire, le magazine spécialisé Running de novembre 2008 où il figure en Une. Cette année-là, il se classe deuxième au marathon de Paris dans la catégorie sapeur-pompier. La compétition est jumelée avec celle de Québec. 1 000 pompiers y participent. Les trois premiers sont automatiquement qualifiés pour participer au marathon de cette ville canadienne. Il pose ses congés pour aller porter les couleurs de l’œuvre des pupilles des sapeurs-pompiers. La chaleur est écrasante. Il opte pour le semi-marathon et termine troisième, toutes catégories confondues.

Un journaliste de Running le repère. Ils prennent plusieurs photos qui serviront à illustrer d’autres numéros. "J’étais devenu mannequin Running", s’amuse-t-il. Pour pouvoir s’entraîner une heure deux fois par jour, il organise à l’époque ses journées de manière très pointue. Il n’hésite pas à courir vers 5 ou 6 heures ou tard le soir. Il participe aux compétitions quand il n'est pas de garde. En 2013, ses performances sur le "100 kilomètres" lui permettent d'être sélectionné en équipe de France pour participer aux championnats du monde de la discipline.

"Chance inouïe"

Aujourd’hui, il a diminué la cadence et court deux à trois par semaine dans la garrigue. Pour son plaisir, pas pour la compétition. Il continue aussi à suivre le triptyque d'entretien des pompiers : pompes, abdos, tractions. Sur son bureau, trône un calendrier du Chat, animal et personnage totem de l'artiste belge Philippe Geluck, intitulé "365 raisons de se lever du bon pied". C’est un cadeau de ses enfants.

Mais Éric Agrinier n’a pas besoin de le consulter pour voir la vie du bon côté : "J’ai une chance inouïe d’être né en France où on a la possibilité de s’élever par le travail tout au long de la vie. Et ma deuxième chance inouïe c’est de faire un métier toujours passionnant même s’il est extrêmement prenant et parfois usant avec la multiplication des événements." Il en faut plus pour décourager un homme qui a réussi à courir sept heures d’affilée.

"À 52 ans, je reste un éternel passionné." Lors de la cérémonie du 3 avril, il l’a d’ailleurs clairement dit "cet insigne m’oblige. Il oblige à poursuivre sans relâche un travail qui ne s’arrêtera jamais."

Sabrina Ranvier

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