FAIT DU JOUR Grande gueule, bâtisseur, pompier : Michel Estevan, itinéraire d'un entraîneur hors norme
Tantôt bâtisseur, comme à Beaucaire et à Arles, tantôt pompier appelé à la rescousse pour sauver Boulogne-sur-Mer et Tours, Michel Estevan a tout connu au cours de sa carrière d'entraîneur. De la Division d'Honneur à un son très court passage en Ligue 1, ce Tarasconnais révélé dans le Gard détonne dans le milieu du football.
Joueur, déjà, il notait tout. Passé notamment par le Nîmes Olympique, le FC Sète et l'Olympique Avignonnais, le polyvalent Michel Estevan évolue plusieurs saisons en deuxième division et connaît même un bref passage dans l'élite. "Tout au long de ma carrière, je prenais des notes sur les séances d'entraînement proposées par mes différents coaches, se souvient-il. Pourtant, je n'envisageais pas vraiment de suivre leur voie."
Mais le destin en a décidé autrement. "Je jouais à Avignon, en D2, et la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion, ndlr) nous a coupé la tête, indique Michel Estevan. J'avais 33 ans et je cherchais un club pour me relancer." Il atterrit à Beaucaire, alors pensionnaire de Division d'Honneur, en tant qu'entraîneur-joueur. D'abord adjoint de Bruno Sicard, Michel Estevan prend rapidement les rênes de l'équipe première.
Entre 1991 et 2002, le néo-coach fait ses armes et enchaîne les succès. "Tout mon apprentissage je l'ai fait seul, à Beaucaire, estime-t-il. J'ai toujours été ambitieux et mon but était de rendre les autres performants." Quitte à utiliser des méthodes d'entraînement très dures. "J'ai toujours cherché à repousser les limites physiques et mentales des joueurs, reconnaît-il. Il y avait beaucoup de travail athlétique dans mes séances. Les entraînements étaient durs, mais je savais qu'ensuite j'avais des guerriers en match."
Sans grands moyens, Michel Estevan compose son équipe en mélangeant joueurs locaux, recalés des centres de formation et étudiants en fac de sport à Montpellier. "Dans ces divisions-là, les équipes qui montent sont souvent celles qui ont la meilleure défense, indique-t-il. Je misais donc sur des fondations solides. Et puis, j'ai eu la chance de récupérer quelques attaquants qui ont brillé sous nos couleurs et à qui on a servi de tremplin."
Avec trois montées obtenues en onze ans, Beaucaire atteint le National à l'issue de la saison 2001/2002. "Je savais qu'on était arrivé au sommet de ce que l'on pouvait faire avec nos finances, se rappelle Michel Estevan. Il était temps pour moi d'aller voir ailleurs." D'autant que Martigues lui propose un poste d'entraîneur professionnel. Une première expérience mitigée. "J'ai été écarté puis rappelé dans la foulée à deux reprises, explique-t-il. Mes relations avec le président étaient difficiles et le club a fini par déposer le bilan."
Retour à la case départ et bis repetita
Retour à la case départ ou presque pour Michel Estevan, qui rebondit en CFA2 à l'AC Arles, en 2005. "C'est le club où j'avais débuté comme joueur, souligne-t-il. L'objectif était de bâtir une équipe avec des joueurs du coin. Le symbole de cette philosophie, c'est un gars comme Emmanuel Corrèze qui a tout connu au club, de la CFA2 à la Ligue 1. J'ai vécu les plus beaux moments de ma vie là-bas. Après l'entraînement, on passait des soirées entières au club-house autour d'un barbecue improvisé, à se raconter nos vies. J'avais un groupe avec une mentalité incroyable. Rien ne pouvait nous arriver."
Et cette fois encore, Michel Estevan enchaîne les montées. À la direction du club désormais en National, Jean-Marc Conrad succède à l'ancien président Patrick Chauvin. "Je l'avais démarché dans le cadre de mon job de conseiller financier et je l'ai présenté à la direction quand elle cherchait quelqu'un pour prendre les rênes, précise Michel Estevan. J'ai aussi travaillé comme fonctionnaire de police et agent immobilier. Jusqu'à la montée en Ligue 2 avec Arles."
Les primes de match de son "ami" Jean-Marc Conrad
Si "en coulisse, notre réussite commençait à susciter des jalousies", le conte de fée se poursuit sur le terrain. Pour sa première saison en Ligue 2, Arles vire sur le podium à la mi-saison. "À la reprise, on marque un peu le pas et on rentre dans le rang, se souvient Michel Estevan. Le maintien, ça nous allait très bien, mais Jean-Marc Conrad rêvait de monter en Ligue 1. Il a promis 1 000€ de prime par match à chaque joueur en cas d'accession à l'élite."
À l'issue de la saison 2009-2010, l'impensable se produit : Arles-Avignon monte en Ligue 1. "Les choses se sont alors compliquées et les promesses de Jean-Marc Conrad se sont retournées contre lui, regrette Michel Estevan. Je le considère comme un ami mais il est parfois trop ambitieux et pas assez patient. Il n'avait pas les moyens de payer les primes promises et avait anticipé l'arrivée de droits télés plus importants en L1. Marcel Salerno en a profité pour le piéger et récupérer la présidence."
Dès lors, rien ne va plus pour l'entraîneur arlésien. Remercié puis rappelé juste avant le début de saison, il est définitivement limogé à l'issue de la 5e journée. "C'était un crève-cœur mais je sentais le coup venir, reconnaît-il. J'en veux à Marcel Salerno de m'avoir mis dehors à la veille d'un match contre Marseille. Avec tout ce que j'avais réalisé ici, je méritais de vivre ce moment-là. J'étais finalement en tribune. André Ayew, qui avait été prêté chez nous la saison précédente, est monté me voir après sa sortie pour me donner son maillot et me remonter le moral. C'était un moment émouvant. Une page qui se tourne."
De bâtisseur à pompier
Car la carrière de Michel Estevan a bel et bien basculé. Sa côte, montée en flèche, lui permet d'être approché par plusieurs clubs professionnels et d'entraîner successivement Boulogne-sur-Mer (Ligue 2), Fréjus-Saint-Raphaël (National) et Châteauroux (National). Des expériences mitigées où il ne connaît pas les mêmes réussites qu'avec Arles. "Pourtant, à chaque fois, j'espérais m'inscrire dans la durée, avance-t-il. J'ai sauvé Boulogne de la relégation en National mais le vestiaire était compliqué à gérer. On m'a mis dehors l'hiver suivant et le club a fini relégué."
"À Fréjus, on passe tout près de la montée en L2 mais il manquait des infrastructures conséquentes pour installer le club au haut niveau, poursuit le Tarasconnais. Enfin, à Châteauroux, mes relations avec le directeur sportif Jérôme Leroy étaient très compliquées." Un passage qui se termine par un licenciement pour faute grave, à sept journées de la fin de la saison. "Le club a fini champion, fait-il remarquer. On m'a reproché un accrochage avec Nicolas Usaï (alors entraîneur de Sedan, Ndlr) qui m'avait provoqué en sachant que j'avais perdu un proche la veille du match. Ils se sont également servis d'un pari sportif que j'avais effectué sur une rencontre de Ligue 2. À l'époque, nous étions en National et la loi interdisait de miser sur les compétitions auxquelles nous participions. Je n'avais rien fait d'illégal."
"Quand un président parle de projet, c'est pour moins payer"
Après un passage en Régional 1 à Montélimar, Michel Estevan est appelé par Tours en 2019. "La situation était désespérée à mon arrivée, pointe-t-il. Finalement, on échoue pour deux points, sur un penalty concédé dans les arrêts de jeu de la dernière journée." Tours est relégué en CFA, Michel Estavan rentre à Tarascon auprès de son épouse. L'heure du bilan après 30 ans de carrière ? "Je suis plus proche de la fin que du début, rigole-t-il. Quand j'ai été élu meilleur entraîneur de L2 après la montée avec Arles-Avignon, Guy Roux m'a félicité en me disant que l'on était que trois dans l'histoire du football français à avoir réalisé un tel parcours."
"Je n'avais peut-être pas mon mon DEPF (le sésame pour pouvoir entraîner au plus haut niveau qu'il a finalement obtenu en 2011, Ndlr), mais ce que j'ai vécu, peu le vivront, complète-t-il. Je suis fier de ma carrière. Rien ne m'a été donné, contrairement à nombre d'anciens joueurs internationaux pour qui tout est plus facile. Moi, je me suis fait tout seul. Et j'ai tout connu, dans toutes les divisions."
À 59 ans, Michel Estevan n'a pas complètement tourné la page du football. "Aujourd'hui, je sais que je suis considéré comme un pompier par la plupart des clubs et cela me convient, déclare-t-il. De toute façon, quand un président parle de projet à long terme, c'est pour payer moins son entraîneur et ça crée des problèmes ensuite. Je sais qu'on me prend souvent pour une grande gueule, mais, avec le temps, j'ai appris à relativiser beaucoup de choses. Si je dois exercer à nouveau, ce sera avec un engagement sur une année. Si ça doit durer ça se fera au coup par coup." Histoire de prolonger un peu plus encore une carrière d'entraîneur pas comme les autres.
Boris Boutet