Publié il y a 7 ans - Mise à jour le 22.03.2017 - veronique-palomar - 4 min  - vu 798 fois

FAIT DU JOUR « Résister c'est vivre »

Jacques Verseils, cévenol profondément enraciné dans son histoire mais passionnément concerné par le présent. Photo V.P

"Résiste, prouve que tu existes". Ça pourrait être le credo de l'association Abraham Mazel, Jacques Verseils préfère dire :  "résister c'est vivre".  Il ne connait peut-être pas France Gall… Ce qui est sûr, c'est qu'il est l'héritier, au sens large, d'une longue tradition de résistance qu'il perpétue au travers de l'association avec ses camarades et un grand nombre de sympathisants. Raconter, proposer, défendre, interroger, s'opposer… Pour  les membres de l'association il n'y a pas un mais des combats.

À la sortie de Saint-Jean-du-Gard, il faut prendre la direction de Falguières puis suivre les panneaux "Maison Mazel". Il manque le dernier, celui de l'ultime fourche. La route devient chemin, puis piste… On arrive sur un replat en contrebas de la Maison qui regarde la vallée du haut de son promontoire. Fin de la route. Début d'une histoire. Commençons par le commencement.

Prophète, premier et dernier des Camisards

C'est par cette petite fenêtre de sa maison natale que l'intrépide Abraham Mazel a sauté pour échapper aux dragons du roi Louis XIV. Photo V.P

Nous sommes en 1677, naît Abraham Mazel dont les ancêtres ont pris le nom du lieu."Mazel, veut dire, l'endroit retiré où l'on tue les moutons", explique Jacques Verseils, qui aime conter l'âme de la bâtisse. En grandissant le jeune Abraham devient un prophète. Il dit s'entretenir directement avec Dieu. Et le très haut s'avère de bon conseil dans la lutte qui oppose les protestants, alors malmenés par le pouvoir en place, aux envoyés de Louis XIV. En 1702, Abraham Mazel, à la tête d'une petite troupe, entreprend de libérer des prisonniers protestants incarcérés par l'Abbé tortionnaire Du Chayla envoyé par le roi "pacifier" les Cévennes. Les prisonniers sont libérés et l'abbé dûment tué. La guerre des Cévennes, plus connue sous le nom de guerre des Camisards, vient d'être officiellement déclarée ouverte. Pendant toute la durée des conflits, le jeune Mazel ne cessera de faire la nique aux Dragons du roi. Plus de cinquante entourent sa maison, il s'échappe par la fenêtre… Il s'échappe aussi de la tristement célèbre tour de Constance à Aigues-Mortes, dont il est le dernier prisonnier masculin… En 1710 la chance tourne, Abraham est trahit, arrêté. Il tente de s'enfuir par le toit mais se fait tirer dessus et meurt. Il est jugé 48h  après, avec peu de chances donc de plaider sa cause. Sa tête est tranchée et exposée au bout d'une pique, son corps brûlé et ses cendres dispersées pour éviter de laisser la moindre trace de sépulture au souvenir de ses partisans. Il est le dernier des Camisards.

Une maison, un destin

La Maison natale du Camisard,  une longue histoire vouée aux résistances qui n'est pas prête de s'arrêter…

Sa maison est alors confisquée, son père et sa belle-mère jetés dehors. On fait ouvrir le toit pour qu'elle ne soit pas habitée … La mort d'Abraham Mazel, sonne le glas la guerre des Camisards, il était le dernier chef à n'avoir pas capitulé…  Abraham meurt à 33 ans (coïncidence…). Mais pas sa maison. Longtemps laissée à l'abandon, elle est finalement achetée beaucoup plus tard par une famille de la Haute Cévennes. Pendant la seconde guerre mondiale, Pierre Chaptal pasteur d'Anduze y accueille les communistes allemands entrés dans le maquis pour lutter contre les nazis. Résistance encore. Plus près de nous enfin, les opposants au barrage de la Borie se rencontrent régulièrement dans la maison Mazel. Lorsqu'ils obtiennent gain de cause en 1992, le groupe décide de réunir les fonds et de se porter acquéreur de la maison, qui est toujours entre les mains des descendants des premiers propriétaires, et ce, par le truchement de leur tout nouvelle association. C'est chose faite en 1995.

Des migrants aux Kanaks, en passant par la châtaigneraie mémoire

De la maison on aperçoit, les premiers arbres de la "forêt mémoire", des bouleaux qui viennent de Pologne.

Pour Jacques Verseils, l'engagement n'est pas une option. "Le Pen a fait 16% des votants dans la région. On ne peut pas laisser faire. Que diraient nos enfants ?", interroge d'une voix douce celui qui ne renonce pas. Dont acte. Depuis sa création, outre la restauration de la maison dont certaines parties n'étaient plus que des traces au sol, l'association a mis en place une longue liste d'actions au nombre desquelles on retiendra, la visite de la maison, l'accueil de groupes pour la journée, (classe vertes, asso), des randonnées culturelles (circuit de 14km), "l'histoire ne peut se comprendre que sur le terrain," appuie Jacques. Les rencontres Mazel (conférences à thème, expositions, concerts, théâtre) le 1er week-end de juillet sont le point d'orgue de l'année. Des conférences débats sur des sujets d'actualité, comme l'accueil des migrants par exemple, des casses-croûte philo tous les deux mois, viennent ponctuer l'année de résistance … Mais ce n'est rien en comparaison des projets d'avenir  de cette association qui voit par-là ses montagnes. "Nous envisageons de passer des contrats internationaux avec des pays qui ont connu des résistances pour mettre en place un parcours européen des luttes", s'engage Jacques Verseils et de poursuivre, "Bientôt, un chef Kanak (Nouvelle-Calédonie), viendra construire une case coutumière (maison commune (NDR)) sur le terrain adjacent à la maison". Terrain sur lequel s'élève une "châtaigneraie mémoire" qui renferment toutes les espèces cévenoles, une forêt du "Refuge" en devenir qui regroupera les essences (non invasives) en provenance des bois des peuples résistants du monde…  Des actes politiques qui vont aussi  au-delà du symbole comme la réflexion engagée sur la réinstallation de jeunes agriculteurs ou éleveurs en Cévennes. "L'important est de ne pas désarmer, de rester vigilant, les yeux grands ouverts sur le monde sans jamais se résigner et de mettre l'humain au cœur de tout".

Au-delà des choix idéologiques, l'idée de la résistance dans un monde de résignation donne à réfléchir… Voire à agir. Chaque année, l'association choisit un thème, sorte de fil rouge de ses actions. 2017 sera l'année de la "résistance aux peurs". Les 13èmes rencontres documentaires qui débuteront le 31 mars et se tiendront au cinéma de st Jean du Gard, et regroupent  invités et films sur ce thème.

Pour tout savoir ou entrer en contact

Association Abraham Mazel

1, rue du Mas de Thoiras, 30320 Saint-Jean du Gard.

Contact : 04 66 85 33 33

Site : www.abrahammazel.eu

Véronique Palomar

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