GÉNÉRAC Les causes du crash du Tracker 22 l’été dernier sont connues
Le rapport du Bureau enquêtes accidents (BEA) sur l’accident qui a coûté la vie au pilote du Tracker 22 de la Sécurité civile le 2 août dernier alors qu’il combattait les flammes à Générac vient d’être publié.
Ce rapport, qui compte une quarantaine de pages, fait le point sur l’enchaînement d’événements qui a causé la mort du pilote Franck Chesneau. Sa conclusion est que « L’évènement est une perte de contrôle en vol lors d’une mission de lutte contre les feux de forêt. »
Le film de l’accident
Les faits se sont produits en quelques minutes, retracées dans le rapport :
« La trace radar, le CVR (l’enregistreur de voix de l’équipage, ndlr) du Beech 200 ainsi que les vidéos ont été associés pour reconstituer la séquence de l’évènement.
17h10 : le Tracker 22 se pose à Nîmes pour refaire le plein de retardant. Pendant que le Tracker 22 recharge en retardant, la virulence du feu s’intensifie.
17h15 : le pilote redécolle de Nîmes et se dirige vers Générac. Il constate son impuissance face à ce feu étendu et souhaite donner son point de vue au coordinateur. Il tente de le contacter à trois reprises. Mais le coordinateur, en communication radio sur la VHF/FM avec le COZ (Centre opérationnel de zone, ndlr) pour demander des renforts, ne le reçoit pas.
17h17 : le coordinateur demande au Tracker 22 de se présenter à l’arrière du front de flammes.
17h18 : le pilote du Tracker 22 répond en indiquant que l’incendie est trop important, qu’il ne peut rien faire et que ça « chaudronne » (lorsque les végétaux ne sont pas complètement embrasés, les matières qui s’élèvent sont prêtes à s’enflammer instantanément dès qu’un apport suffisant en oxygène survient, ndlr). Il signale la présence d’une habitation qui serait dans l’incendie d’ici 20 à 25 minutes. Le pilote interrompt son message au moment où il rencontre une forte turbulence. Il rectifie la trajectoire en remettant les ailes à plat et en laissant descendre légèrement le nez de l’avion pour reprendre de la vitesse. Il percute alors la cime des arbres qui s’élèvent au sommet de la colline. »
La particularité de l’incendie
Le rapport insiste sur le caractère exceptionnel de l’incendie de Générac : « Les caractéristiques de l’incendie sont très particulières. Ce type d’incendie se produit rarement, de l’ordre d’une fois par décennie lors des périodes de forte canicule. »
Le rapport affirme que « Le feu est d’une rare violence et développe une très forte énergie. En volant juste devant le front de flammes, le pilote rencontre une masse d’air perturbée avec des turbulences sévères qui ont déstabilisé l’avion. Les pilotes ont peu de connaissance sur ces phénomènes rares. Le pilote a pu être surpris par ces caractéristiques qu’il n’avait jamais rencontrées. »
Car la violence de l’incendie a créé des poches de gaz en avant du front de flammes. Or, « l’inflammation brutale de ces poches de gaz, entre les panaches de fumée ou en avant du front de flammes provoque des rafales de vent verticales puissantes et localisées. Lors de cet embrasement, nommé embrasement généralisé éclair, la vitesse verticale de l’air peut atteindre 40 mètres par seconde et les températures s’élever jusqu’à 1 500 °C. »
Un ensemble de causes
Le rapport est très clair, « Aucune défaillance technique n’est à l’origine de l’évènement. » Cette hypothèse écartée, il dresse toutefois un faisceau d’éléments dans ses conclusions. On y retrouve le fait que ce jour-là, seuls trois pilotes sont disponibles pour quatre appareils, il faut donc que l’un d’entre eux vole en avion isolé, ce qui est exceptionnel. Or, « sans ailier, le pilote est privé du contrôle croisé habituel des décisions et actions de pilotage », souligne le BEA, avant de préciser que le pilote « n’a jamais réalisé une mission de cette nature en avion isolé. »
Le pilote venait de décoller, la masse de son avion, encore rempli de retardant, était importante. Or, « certaines limitations du domaine de vol sont méconnues des pilotes, notamment à masse élevée et en virage à grande inclinaison », et « les pilotes connaissent peu les phénomènes aérologiques liés à certains incendies, et les turbulences associées », relève le rapport. De quoi provoquer une perte de contrôle en vol, en somme.
Enfin, le rapport du BEA s’attarde sur l’état psychologique du pilote, décrit dans le rapport comme « préoccupé par son avenir » du fait du retrait programmé des Tracker, « fatigué à la suite d’une activité soutenue », l’été 2019 ayant été particulièrement intense sur le front des feux de forêts. Le rapport décrit aussi « un excès de confiance » du pilote, ou encore le fait qu’il n’a « pas perçu le relief » sur lequel l’accident s’est produit.
Il faut dire que le pilote était « focalisé sur une habitation à protéger », ce qui l’a conduit à « adopter une trajectoire très proche du front de flammes » et à « conserver une forte inclinaison. » C’est à ce moment que « l’aile gauche subit un décrochage local provoquant une inclinaison franche de l’avion à gauche qui amène le pilote à rétablir l’avion trop bas par rapport à la hauteur des arbres dont il s’est fait une fausse idée », conclut le rapport du BEA.
Les suites
Le BEA préconise dans le rapport, entre autres, « de renforcer la formation de l’ensemble des pilotes sur les phénomènes aérologiques liés aux incendies », de « renforcer la formation des pilotes sur la connaissance du domaine de vol de leur avion » ou encore de « définir précisément l’ensemble des missions dédiées à chaque avion en précisant d’éventuelles limites d’emploi en fonction des circonstances pour éviter les interprétations, et de mettre en place l’entraînement adéquat. »
Autant de mesures pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise dans pareille mission.
Thierry ALLARD