FAIT DU SOIR Au Festival du polar de Villeneuve, le roman noir en pleine lumière
La vingtième édition du Festival du polar de Villeneuve-lès-Avignon se tient ce week-end principalement à la Chartreuse, en présence d’auteurs renommés et d’un public nombreux. En deux décennies, l’événement a su se rendre incontournable sur la scène de la littérature de genre.
C’est certes un peu convenu, mais un anniversaire est toujours l’occasion de jeter un oeil dans le rétroviseur. Ici, il s’agit de regarder deux décennies en arrière. Nous sommes en 2005 lorsque la mairie de Villeneuve décide de lancer un festival du polar, dans l’idée de, rappelait le maire de l’époque Jean-Marc Roubaud lors de la dixième édition, « proposer une action en faveur de la lecture à Villeneuve. »
À l’origine, le festival est exclusivement cantonné au polar méditerranéen. « Assez rapidement, sur les conseils de Corinne Tonelli (la cheville ouvrière du festival, ndlr), on s’est rendus compte qu’il fallait ouvrir les frontières », se remémore la maire de Villeneuve Pascale Bories, à l’époque première adjointe de Jean-Marc Roubaud. Les frontières, qui sont le thème de cette édition, pour mieux les franchir, qu’elles soient géographiques ou littéraires, avec par exemple la présence de la journaliste Patricia Tourancheau et ses enquêtes sur des faits divers retentissants, ses « polars du réel », comme elle les présente.
Petit à petit, le festival fait son trou dans le petit monde très codifié du polar, réussit à attirer de belles signatures, notamment étrangères, et de plus en plus de public, dans le cadre patrimonial de la Chartreuse et les villes alentour, franchissant un autre frontière, celle de la commune. « À l’époque, nous n’imaginions pas qu’il aurait un tel succès et aujourd’hui une renommée nationale », souligne Pascale Bories. Le Prix des lecteurs du festival en est l’exemple, puisqu’il est désormais couru par les auteurs et les éditeurs. Lancé en 2006, il est remis chaque année par un jury de neuf lecteurs de polars sélectionnés sur dossier par les organisateurs.
Les deux prix pour Marion Brunet
Cette année, Marion Brunet l’a emporté pour son dernier roman, « Nos Armes », paru chez Albin Michel, qui a survolé les débats avec les voix de six jurés sur neuf. Marion Brunet rafle également le tout premier prix « Lire à l’ombre », dont le jury est composé de détenus du centre pénitentiaire du Pontet (Vaucluse). « Nous avons vu d’autres festivals proposer un prix dans les centres de détention, et je l’ai proposé à celui du Pontet, explique Corinne Tonelli. Ils ont eu la même sélection de livres et ont délibéré à quelques jours d’intervalle. » « Toutes les actions autour du livre sont très importantes dans notre mission de donner des clés de réinsertion aux personnes placées sous main de justice », explique la coordinatrice des actions culturelles du Service pénitentiaire d’insertion et de probation de Vaucluse, Alice Le Pallec.
Les détenus, comme le jury de lecteurs du festival, ont donc distingué un roman « dont une bonne partie se passe à l’ombre, puisque l’héroïne passe 25 ans en prison », rappelle l’autrice vauclusienne d’origine Marion Brunet, « extrêmement heureuse et fière » de se voir récompensée par « un festival qu’(elle) adore ». Une double récompense qu’elle n’attendait pas, puisque « en général, les détenus n’aiment pas les livres qui parlent de prison, ils ont plus envie de s’évader de leur quotidien, affirme-t-elle. Ça veut dire que le livre leur a parlé au-delà de l’univers carcéral. »
Un univers que Marion Brunet a arpenté pour son livre, au travers d’ateliers d’écriture et de rencontres. « Je suis allée rencontrer des détenues de longues peines aux Baumettes, nous avons parlé de leur vécu en prison, elles ont été très généreuses, raconte-elle. Mon roman aurait été beaucoup moins riche si je n’avais pas pu aller les voir. » Marion Brunet, en emportant donc le prix des lecteurs, rejoint une cohorte de grands noms du polar, dont quatre anciens lauréats sont présents ce week-end : R.J. Ellory, Franck Bouysse, Sonja Delzongle et Sandrine Collette, qui est l’autrice associée de cette année.
« On revient parce qu’on l’aime, ce festival »
« J’avais eu le prix il y a onze ans pour mon premier roman (« Des noeuds d’acier », ndlr), c’est un beau souvenir », se remémore-t-elle. Depuis, l’autrice a fait du chemin, au point d’être dans le « carré final », les quatre auteurs finalistes du Prix Goncourt pour son roman « Madelaine avant l’aube », publié chez JC Lattès. « Être là me permet de penser à autre chose », glisse-t-elle, alors que le prix sera décerné ce lundi.
Elle aussi revient au festival villeneuvois. « On revient parce qu’on l’aime, ce festival, et aussi pour Corinne (Tonnelli, ndlr) », lance Sandrine Collette, reflétant l’avis général des auteurs présents à un festival qui possède « une ambiance particulière », estime Pascale Bories, « une grande ferveur et beaucoup de coeur », rajoute Savine Demarquette-Marchat, adjointe à la Culture et présidente de la Régie des festivals. Une coloration qui tient beaucoup à Corinne Tonelli donc, et au fait, sans doute aussi, que malgré l’ampleur qu’il a pris, le « Polar » a conservé ses atouts, à savoir une vraie proximité avec les auteurs et un programme ambitieux, avec notamment des conférences et des propositions de plus en plus étoffées, notamment pour le jeune public. De quoi lui permettre de franchir allègrement une frontière de plus : celle des vingt ans.
Le Festival du polar de Villeneuve se poursuit ce dimanche. Le programme complet est ici.