GARD Cévennes lumières pour en prendre plein les yeux
Cévennes Lumières de Thierry Vezon (photographies) et Patrick Cabanel (texte), 176 pages au format 24 x 28 cm pour 29 euros.
Avec Voyage au pays des Cévennes de Jean Du Boisberranger, voici un magnifique livre qui pourrait bien être un cadeau de Noël très apprécié ! Décidément, les éditions Alcide, 100 % gardoises, font bien les choses.
La révolution numérique présente bien des opportunités. Elle impose surtout, pour le livre papier, une réalisation singulièrement étudiée et soignée, pour que le plaisir de l’objet reprenne toute sa place. « Nous portons ainsi une attention particulière au choix du papier, au graphisme de la mise en page, à la typographie et bien sûr aux couvertures. Pour que le plaisir de la lecture soit toujours plus intense » explique Yann Cruvellier, fondateur des éditions Alcide, dans les années 2000 à Nîmes.
Les éditions Alcide ont amené de grands photographes exprimer leur talent sur la région. Plusieurs ouvrages ont marqué de leur empreinte l’édition régionale
Le Parc national des Cévennes est le seul à être habité en France. Pourtant, les photographies réunies dans ce livre ne recèlent aucune présence humaine.
Pour le fondateur des éditions Alcide, Yann Cruvellier, « Cévennes Lumières est une véritable réédition : en changeant de papier et de format, nous avons dû revoir le rendu des photos et repenser entièrement le livre. Le travail de Thierry Vezon est désormais reconnu nationalement et internationalement : il a cette année exposé en Chine et a participé à deux festivals parmi les plus renommés de photographie Nature, à Montier-en-Der et à Chamonix, portant haut les couleurs de la région. Les photographies sont accompagnées d'une présentation des Cévennes de Patrick Cabanel dont on connaît le talent de plume outre naturellement celui d'historien. »
Il est vrai que ce nouveau bébé de la maison nîmoise va ravir bon nombre de lecteurs.
Thierry Vezon y partage sa quête d’ambiances et de lumières en des lieux exceptionnels des Cévennes.
Du ciel tragique de la tempête à celui qui dégage brusquement l’horizon, de vallées en sommets, de schiste en granit, cette photographie nous transporte au-delà de l’image, vers l’âme de ce pays. Ce regard est accompagné d’un texte de l’historien Patrick Cabanel.
Rappelons ici que Patrick Cabanel, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, a consacré son travail aux Cévennes, aux protestants de France ainsi qu’à l’école de la République. Paysage et mémoire traversent ses ouvrages.
Ce « grand format » et porté un soin tout particulier aux subtilités des tons. Les photographies de Thierry Vezon lui valent une reconnaissance internationale. Il a notamment été membre du jury de Wildlife Photographer of the Year, l’un des plus prestigieux prix de la photographie de nature.
Les Cévennes
« C'est un pays particulier, marqué, un peu plus que d'autres, par une accumulation de livres, de textes, de photographies. Des générations de visiteurs, de touristes, de pèlerins, s’y sont succédé ; et des générations d'écrivains, d'historiens, de géographes, et même d'éditeurs. Bibliothèque de la Pléiade (Robert-Louis Stevenson), Académie française (André Chamson), prix Goncourt (Jean Carrière) » peut-on lire en présentation de cet ouvrage.
Comment parvenir à parler à nouveau à un pays aussi souvent lu et écrit ? Thierry Vezon assume sa liberté de photographe naturaliste et animalier : il se saisit d'un paysage, d'une nature, sans presque aucune trace des hommes et de leurs travaux, en privilégiant les hautes terres (Mont-Aigoual, Causse, Mont-Lozère, crêtes cévenoles).
On pourrait parler d'un arrière-pays, et d'arrière-saisons (automne, hiver, printemps : puisqu’ici, comme dans tant d’autres régions difficiles, la seule « saison » est l'été, la haute saison, comme disent les agences et les tarifs). D'arrière-journées, encore, à voir la relative fréquence des couchers de soleil, retenus non pour leur splendeur supposée, mais pour la lumière nostalgique, et pourtant d'une extrême pureté, qu'ils ajoutent à un pays qu'orchestre et magnifie déjà une forme de beauté supérieurement triste.
« À suivre Thierry Vezon, on a le sentiment qu'une invitation nous est faite à herboriser, marcher, ou encore lire les sœurs Bronte. » En contrepoint de l'écriture poétique du photographe, il s'agit de dire ici en quelques pages les grands traits d'une géographie, d'une histoire, d'une culture, en prenant prétexte de cette formule de Stevenson découvrant, depuis le col de Finiels, sur le Mont-Lozère, le pays des Camisards : « une note romantique au bas de la page de l’histoire ou monde. »
Thierry Vezon
Thierry Vezon s'était attaché, dans un livre précédent (Cévennes, Regards croisés), à une série de gestes et métiers : autour des ruches, des châtaignes à sécher, des oignons doux, des vases d'Anduze...
Il a choisi ici de travailler, par séries, sur les visages de la nature : les roches, le hêtre, le genêt, le châtaignier, la bruyère, l'orchidée, la jonquille, le ruisseau, la cascade, le brouillard, le givre, la neige... On trouve aussi des routes et des chemins qui ne semblent mener qu'à eux-mêmes, un observatoire figé comme pour le décor d'un film qui n'a pas été tourné.
« Avec Thierry Vezon, chacun entre seul, comme sans doute il se doit, dans ces horizons sommitaux, ce livre a au moins mille mètres d’altitude moyenne... Comme un personnage du peintre allemand Friedrich, nous voici confrontés à des paysages puissants, peut-être abandonnés des hommes, probablement pas des dieux, et qui pourraient être inquiétants, si nous avions à craindre la solitude ou l'acuité des saisons difficiles » explique Patrick Cabanel.
Les cieux ne sont presque jamais bleus, Thierry Vezon fait volontiers l'aveu qu’iil est d'une humeur écossaise plus que méditerranéenne, et ce pays est de même essence. En réalité, on retrouve toutes les teintes du gris, du noir, du mauve, parfois de l'orange.
Ici ou là, on jurerait avoir affaire à une vue en technicolor tirée d’un péplum biblique. Ailleurs, la photographie confine à l'abstraction ou à la calligraphie.
« Les « séries » sont très fortes, sans aucun sentiment de répétition, au contraire : au lieu d'avoir une seule photo en face de soi, le fait qu’il y en ait plusieurs donne le sentiment que l'on entre dans un paysage et que l'on a le temps de se laisser pénétrer par lui » poursuit Patrick Cabanel.
Est-ce dû à un « excès » de talent technique, visuel, imaginaire, de l'auteur ? À l'évidence. Mais ce talent est peut-être aussi dans les yeux de chacun de nous : l'habitation du paysage par une aurore, une couleur, une lumière, un froid polaire, un bois noueux, une forêt humide de brume, laisse à chaque voyageur la liberté d'installer dans l'image des choses qui ne sont qu'à lui et que donc il est seul à voir.
Suprême liberté, suprême jouissance face à une photographie qui n'est pas bavarde, à l'instar de ces hautes terres, et qui par-là respecte le silence (et les récits intimes) dont nos yeux, notre mémoire, notre âme ont besoin.