FAIT DU JOUR Harcèlement scolaire : entre prise de conscience, travail sur le terrain et actions à mener
Instaurée en 2015, la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire a lieu chaque premier jeudi suivant les vacances scolaires de la Toussaint. Le 9 novembre pour cette année.
Les journées nationales, la belle affaire. Une mise en lumière ponctuelle de combats, de luttes dans la majorité du calendrier, universels ou même parfois partiels. Celle-là, celle de la lutte contre le harcèlement scolaire s'inscrit dans l'ombre d'une actualité dramatique : le suicide de Nicolas, un adolescent de 15 ans au début du mois de septembre à Poissy, alors que ses parents avaient adressé quelques mois plus tôt un message d'alerte au rectorat concerné dont la réponse jugée "menaçante" a été publiée dans la presse. La suite, on la connaît, l'indignation, la polémique, un audit national, une réflexion sur la mise en place de nouvelles mesures dont un questionnaire distribué à compter de ce jeudi 9 novembre, à tous les élèves du pays, à partir du CE2 jusqu'à la terminale. Une action figurant dans le plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école.
Des malettes de jeu de l'oie pour libérer la parole
La problématique n'est pas nouvelle, l'État s'en est déjà emparé au travers de son programme de prévention pHARe. La rectrice de l'académie de Montpellier, Sophie Béjean, en avait présenté les grandes lignes à la rentrée 2023 comprenant entre autres la formation des personnels. (Relire notre article en cliquant ici) D'autres structures dans le Gard, issues du tissu économique ou associatif y travaillent, utilisent leurs propres outils pour enrayer ce phénomène qui, d'après les chiffres de l'Unicef, fait près de 700 000 élèves victimes par an. Et cela passe par l'échange. Éric Burcia, retraité de l'Éducation nationale, ancien directeur de l'école primaire de Castanet à Nîmes, intervient deux fois par semaine dans les établissements scolaires, pour le compte de la MAE Solidarité Gard dans le cadre d’un programme local de lutte contre le harcèlement scolaire.
"Avec les primaires, je n'emploie pas le terme de harcèlement scolaire. Je leur demande si récemment ils se sont chamaillés, s'ils ont été embêtés par un ou plusieurs copains... C'est comme quand on presse un citron, les langues se délient très vite", explique-t-il. Le jeu de l'oie "Non au harcèlement"(*) créé par des lycéens béthunois et depuis institutionnalisé, permet dans un cadre à la fois ludique et pédagogique d'ouvrir les débats. Les collégiens ont également droit à leur malette : "Non au harcèlement sexiste, sexuel et homophobe."
"Être harceleur, ce n'est pas un trait de caractère, c'est une dynamique"
Les interventions d'Éric Burcia ne sont pas programmées au hasard, "en règle générale, elles font suite à une demande soit d'un enseignant, soit de l'équipe directrice, parce qu'ils ont été confrontés à ce type d'agissements." Il peut s'agir d'actes d'intimidation, de violence, des agressions verbales, tout ce qui peut porter atteinte à la dignité d'une personne, et qui se répètent dans le temps. "C'est un processus qui se met en place. Être harceleur, ce n'est pas un trait de caractère, c'est une dynamique, une capacité à fédérer d'autres personnes, pour alimenter une relation toxique, la faire monter en puisssance, parfois même sans s'en rendre compte", souligne Gabriella Cairo, présidente de ALPHÉ, association créée en 2014 et basée à Nîmes, pour la prévention du harcèlement à l'école.
En dix ans, la coach en victimologie, spécialisée dans l’accompagnement de personnes victimes de manipulation et de harcèlement, a remarqué que cette dynamique se déclenchait non plus seulement au collège, mais désormais dès la primaire. Tout comme Éric Burcia, elle ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec l'usage des téléphones portables et par ce biais des réseaux sociaux, à un âge de plus en plus avancé. "Ils ont accès à certaines images violentes, s'identifient à des personnages dominants parce que populaires, et vont vouloir reproduire ce qu'au final, ils ne maîtrisent pas", alerte Gabriella Cairo.
Selon une enquête YouGov, réalisée pour la MAE, 28 % des parents interrogés ne pensent pas être en mesure de détecter si son enfant est harcelé.
Face à cette domination, la victime reste dans la plupart des cas silencieuse. Une enquête YouGov, réalisée pour la MAE dans le cadre de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, souligne que les parents peuvent se sentir démunis pour identifier les signes de harcèlement chez leur enfant : 28 % d’entre eux ne pensent pas être en mesure de détecter si son enfant est harcelé. Des difficultés qui s’expriment plus encore chez les parents célibataires (31 %) et qui révèlent aussi un besoin d’accompagnement. Selon un rapport du Sénat(**), les élèves harcelés déclarent éprouver une grande difficulté à mettre des mots : seuls 31 % en ont parlé sur le moment et 48 % n’en n’ont jamais parlé.
Cette enquête révèle également la confiance que les parents accordent à l’établissement scolaire pour intervenir en cas de harcèlement. Ainsi, 53 % des parents auraient pour premier réflexe de contacter un référent de l’établissement pour les aider à gérer la situation si leur enfant était victime de harcèlement. Un point important pour le référent MAE Solidarité Gard : "Ce n'est pas acceptable que les parents se fassent justice eux-mêmes comme on a pu le voir dans certains établissements." Et le même d'insister sur quelques signaux d'alerte : "Un changement de comportement, quand tout à coup, l'enfant ou l'adolescent rentre à la maison, qu'il évite de raconter sa journée, qu'il s'isole."
"Le phénomène du harcelé-harceleur existe"
Les associations développent leurs missions, au-delà des interventions de prévention dans les établissements scolaires, pour intensifier leur contribution à la prévention et à la lutte contre le harcèlement. Après avoir participé au programme européen BIC entre 2016 et 2018 - l'association ALPHÉ est devenue il y a deux ans, un organisme de formation pour les professionnels : enseignants, éducateurs etc.
Depuis le mois de septembre de cette année, "et cela grâce à l'aide du Département du Gard, nous avons un nouveau local au parc Kennedy à Nîmes, où nous recevons les parents et les enfants sur rendez-vous. Nous sommes à leur écoute, et pouvons être les interfaces entre eux et les institutions", précise Gabriella Cairo. Un psychologue devrait prochainement rejoindre l'association, laquelle dans le courant du mois de janvier 2024 lancera des ateliers de reconstruction et des groupes de paroles ouverts aux victimes mais aussi des auteurs. "Un enfant qui fait du mal est souvent lui-même en souffrance, x facteurs, traumatisme sont à prendre en compte. Il a peut-être été lui-même harcelé, le phénomène du harcelé-harceleur existe." Pour Gabriella Cairo comme d'autres acteurs du terrain, la lutte contre le harcèlement scolaire est un engagement de 365 jours par an.
*Depuis cette année, le jeu de l'oie "Non au harcèlement" est proposé sous forme dématérialisée.