FAIT DU JOUR Un logement social a-t-il permis au maire de Laudun-l’Ardoise de se maintenir ?
Le 5 décembre dernier, le conseil municipal de Laudun-l’Ardoise votait la protection fonctionnelle au maire Yves Cazorla et à son conseiller municipal Mohamed Berkane dans le cadre d’une plainte déposée contre l’association « Laudun-l’Ardoise énergie positive » pour « dénonciation calomnieuse ». Objectif Gard a enquêté sur l’affaire qui a déclenché cette plainte, pour tenter d’en démêler le vrai du faux. Révélations exclusives.
Nous sommes au printemps 2022. Après une vague de démissions dans sa majorité, le maire de Laudun-l’Ardoise Yves Cazorla voit le spectre d’une élection municipale partielle se rapprocher, d’autant que l’opposition décide de démissionner en bloc.
Toute ? Non ! Un élu d’opposition élu sur la liste de l’ancien maire Philippe Pecout, Mohamed Berkane, choisit finalement de rester siéger. Un an plus tard, suite à d'autres démissions dans la majorité et l'opposition, il permettra à la majorité en place de se maintenir. Les Laudunois et les l’Ardoisiens ne retourneront donc pas aux urnes. Entretemps, Mohamed Berkane intègrera même la majorité, et a aujourd’hui une délégation, celle du Devoir de mémoire et des relations avec la communauté harkie. Très vite, un bruit se met à courir : Mohamed Berkane aurait été « acheté » par le maire Yves Cazorla contre l’obtention d’un logement social flambant neuf, au sein du lotissement « Les terrasses du château », à l’Ardoise.
L’affaire rebondit le 14 juin dernier, lorsque l’association « Laudun-l’Ardoise énergie positive », notoirement opposée au maire, adresse un courrier à la préfète du Gard pour l’informer de cette potentielle affaire. Ce qui vaut aujourd’hui au président de l’association, Ludovic Di Rollo, et à son bureau une plainte déposée par Yves Cazorla et Mohamed Berkane pour des faits de « dénonciation calomnieuse ». Reste désormais à voir si la procureure de la République instruira le dossier.
Une vidéo troublante
Un dossier dans lequel une vidéo pourrait bien finir par atterrir. Dans cette vidéo, qu’Objectif Gard s’est procurée, Mohamed Berkane est filmé, probablement à son insu, le 5 juillet dernier. Nous sommes à l’Ardoise, en plein tournoi de pétanque. Mohamed Berkane préside l’Amicale des boules de l’Ardoise. Dans une discussion avec une personne qui réclame l’anonymat, le conseiller municipal semble reconnaître les faits. En voici la retranscription :
« X : Il (Yves Cazorla, NDLR) t’a rendu service, quoi.
Mohamed Berkane : Oui, ben oui. J’ai demandé, il m’a donné.
(…)
X : Je vais te dire la vérité. Toi Mo, t’as raison. Cazorla t’a dit moi je te trouve un truc tu viens avec moi ?
MB : Oui. Je l’ai vu, 15 jours après, le logement ils m’appellent et ils me disent venez visiter.
X : Mais il t’a dit : si je te trouve le logement tu viens avec moi.
MB : Voilà.
(…)
X : (…) Les gens, ce qu’ils disent, ils disent Berkane s’est fait acheter. C’est ça le délire.
MB : Non, mais moi je regarde pour mon intérêt à moi.
X : Ton intérêt à toi.
MB : On m’a trouvé un truc moi j’y vais, moi. Pecout m’aurait dit, il aurait fait une démarche il n’aurait pas réussi (…) je n’y serais pas allé, quoi. Mais quand j’appelle on me dit il n’a rien envoyé, il m’a pris pour un con. »
Nous nous sommes également procuré la lettre de démission signée de Mohamed Berkane, en date du 7 juin 2022. Cette lettre n’a jamais été transmise à la mairie. C’est à Maha Outaleb, qui figurait sur la liste Pecout et fait désormais partie du bureau de « Laudun-l’Ardoise énergie positive », que revenait la tâche de collecter les lettres de démission de la liste lorsque ses élus avaient choisi de démissionner en bloc, même ceux qui ne siégeaient pas, pour ne pas qu’ils montent automatiquement. « Mohamed Berkane l’avait signée (sa lettre de démission, NDLR), il me la remet, il me parle de son logement insalubre aux Lauriers, rejoue Maha Outaleb. Donc il me signe la démission, je la prends avec moi, puis il me rappelle un peu plus tard pour me dire que M. Cazorla lui a obtenu un logement, et que donc il ne démissionnait pas. On l’a croisé il n’y a pas longtemps, et il nous a répété la même chose, pour lui c’est normal. À l’Ardoise, tout le monde est au courant. »
Pour Philippe Pecout, il n’y a aucun doute sur le fait que son ancien colistier a été « acheté ». « C’est très clair, tranche l’ancien maire. Mohamed Berkane m’a demandé deux ou trois fois d’intercéder en sa faveur pour avoir un logement social, mais je n’étais ni maire, ni conseiller départemental. J’ai eu des contacts, mais quand vous n’êtes plus à ces postes-là, on vous écoute bien moins, et je n’ai pas eu de retour positif. Comme il a sans doute été déçu, il s’est tourné vers Yves Cazorla qui, de par ses fonctions et son statut, a obtenu plus facilement des choses. Ce n’est pas que le maire qui décide, mais il influence quand même. Ça ne fait pas tout, mais ça aide. » Alors pour lui, « Yves Cazorla a dû négocier le ralliement, ça tombait à ce moment-là et ça tombait bien, ça le sauvait. Mohamed Berkane a bénéficié de son logement, très bien, et en toute fidélité il a vite rejoint le maire actuel. C’est très clair qu’on en est là, c’est très gros, c’est très limite. Mohamed Berkane est manipulé, et le maire sait très bien ce qu’il fait. »
« J’ai demandé son aide, il m’a aidé, c’est tout »
Contacté, Mohamed Berkane dément. « Non, non, c’est tout faux, la demande je l’ai faite bien avant, ça n’a aucun rapport avec le problème Cazorla. J’ai demandé son aide, il m’a aidé, c’est tout. » Et le conseiller municipal reprend : « J’étais avec Pecout, ça faisait un an et demi que je demandais un logement, il ne me l’a jamais donné. C’est pour ça que quand Cazorla m’a demandé, je lui ai dit écoute, j’ai fait une demande pour un appartement, il m’a dit je vais te le donner, mais j’avais déjà signé avec lui. » Ce logement, Mohamed Berkane y a emménagé en juillet 2022, nous confirme-t-il.
Le maire Yves Cazorla reconnaît le coup de main à Mohamed Berkane. Dans une lettre adressée au directeur du bailleur social Logis cévenol, datée du 12 janvier 2022, que nous nous sommes procurée, le maire intervient en faveur de son futur élu. « J’ai aidé entre 50 et 100 personnes, car on a eu des logements de libres et tout le monde les demandait, affirme le maire. Et sa demande date de janvier 2022, c’était bien avant les turbulences, et le logement lui a été attribué en février 2022. » Le 9 février très précisément, selon un document que nous avons pu consulter. « Et ce n’est pas le maire qui décide d’attribuer les logements, c’est une commission à laquelle je ne suis jamais allé, poursuit Yves Cazorla. Mais à chaque fois que j’ai une demande de quelqu’un de Laudun-l’Ardoise, et en priorité les familles avec des petits enfants ou des personnes handicapées, j’aide. »
Sur sa relation avec Mohamed Berkane, Yves Cazorla affirme : « À l’époque, il n’était pas élu, je le connaissais par les boules, et par son travail sur le mémorial harki avec l’Agglomération, il a vécu au camp de Saint-Maurice, il nous apporte beaucoup. Donc on se connaissait bien déjà, et j’étais sûr qu’il n’allait pas démissionner. Mohamed Berkane avait cette proximité avec moi, mais pour le logement, il n’y a aucune proximité, aucune condition. Et en janvier 2022, je ne savais pas que la liste Pecout allait démissionner, et Mohamed Berkane ne savait pas qu’il serait élu. »
Reste désormais à voir si cette affaire ira un jour devant la justice. Selon nos informations, depuis sa lettre à la préfète, l’association « Laudun-l’Ardoise énergie positive » n’a engagé aucune démarche en ce sens. La balle est donc dans le camp de la procureure de la République, si elle décide d’instruire les plaintes d’Yves Cazorla et Mohamed Berkane.
Comment fonctionne l’attribution d’un logement social ?
Elle s’effectue au sein d’une Commission d’attribution, composée de représentants du bailleur, de la mairie et de l’État. Trois dossiers par logement y sont examinés. « Le maire peut proposer des candidats en fonction des logements qui lui ont été réservés, tout comme peut le faire Action logement, est-il précisé sur le site du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. L’État, sur le contingent préfectoral, peut proposer des candidats qui répondent aux critères des ménages prioritaires », à savoir des personnes mal-logées, défavorisées, en situation de handicap ou encore vivant dans un logement insalubre.