En ce début d'année 2025, la présidente de la Région Occitanie Carole Delga revient sur plusieurs sujets chauds du moment. Budget, éducation, emploi, son avenir, la politique gardoise, elle livre sa vision avec le franc-parler qui la caractérise. Interview.
Objectif Gard le magazine : Vous êtes sur le point de voter le budget 2025 du Conseil régional. En quelques mots, comment le qualifiez-vous ?
Carole Delga : C'est un budget responsable et volontariste, adopté dans un contexte national et international inquiétant. Responsable parce que la situation financière de la France exige un effort très important. Nous avons œuvré, avec rigueur et sérieux, pour dégager de nouvelles économies. Volontariste parce que le budget voté par le parlement était essentiel pour la stabilité du pays, mais il n’en est pas moins injuste. En Occitanie, j’ai souhaité au contraire que la Région soit toujours aux côtés des plus modestes, des classes moyennes, en donnant la priorité au pouvoir d’achat, à l’accès aux soins et à l’emploi. Nous continuerons également à mener des investissements pour décarboner notre modèle de production et de développement.
Ces choix politiques, nous les avons faits dans une situation plus que contrainte : en deux ans, l'État, qui décide de plus de 90 % des budgets régionaux, nous a coupé de 400 millions d’euros de recettes… Pour autant, nous restons la Région française qui investit le plus pour ses habitants.
Ce budget est marqué par une perte de dotations de l’État de 187 M€ pour votre collectivité. Sur quelles actions allez-vous renier pour compenser cette perte ?
Il faut bien expliquer la situation financière des Régions. Nous n’avons pas de possibilité de lever l’impôt et nous dépendons à 90 % des dotations de l’État. C’est comme-ci, pour un particulier, l’employeur pouvait décider de baisser son salaire du jour au lendemain, sans tenir compte des engagements pris.
Or l’Occitanie est la région la plus attractive de France, avec plus de 40 000 habitants qui arrivent chaque année. L’équivalent de la ville d’Alès. Cela nous oblige... Pour faire face aux coupes budgétaires tout en maintenant notre action, nous allons continuer à baisser nos charges fixes. Un exemple parmi d’autres : la nouvelle étape de la fusion des agences régionales. J’ai engagé ce mouvement depuis dix ans. En 2016, nous avions 17 agences, en 2024, il en restait 7 et à la fin de l’année, nous n’en aurons plus que 3 : la première au service de l’économie et de l’emploi, la deuxième pour la décarbonation et de la construction durable et la troisième en faveur de la culture.
Par ailleurs, nous allons cesser de pallier aux carences de l’État, dans le secteur routier, la rénovation énergétique, et la formation professionnelle.
Enfin, dans mon action de présidente des Régions de France, je viens d’obtenir que nous puissions bénéficier d’une nouvelle recette : le versement mobilité. Il s’agit d’une contribution des entreprises de plus de 11 salariés au bénéfice des infrastructures et des services de transports. Cette taxe, déjà perçue par les agglomérations et métropoles, restera faible (environ 3 000 € pour une entreprise dont la masse salariale représente 2 millions d’euros), mais pourrait soutenir efficacement notre investissement.
Parmi les mesures d’économie, vous avez déclaré ne plus compenser les désengagements de l’État sur les projets concernant la mobilité et la rénovation de l’habitat. Est-ce pour cela que sur le dossier du contournement nîmois, vous n’avez pas pallié le désengagement de l’État ?
Non, ce sont deux choses différentes. Dès le contrat de plan de 2015, la Région s’est engagée à intervenir sur ce projet à hauteur de 15 % de son financement. Nous maintiendrons notre engagement.
Sur le fond du dossier, vous, pensez-vous que ce projet est un plus pour le territoire ?
Bien sûr que le CONIM est important pour désengorger l’entrée et la sortie de Nîmes Ouest.
En matière de mobilité, je milite fortement pour augmenter les transports collectifs et/ou décarbonés. C’est ce que je porte avec la tarification la moins chère de France, soit 14 millions de billets à un 1 € chaque année, la gratuité d’usage pour les moins de 26 ans pour les trains comme pour les cars, la réouverture de ligne ferroviaire, comme c’est le cas pour la rive droite du Rhône et Alès-Bessèges dans le Gard, ce qui représente une exception en France... L'Occitanie est devenue une référence ferroviaire dans notre pays.
Mais vous savez, je suis également réaliste. Originaire d’un milieu rural, y vivant encore, je ne sais que trop bien que là où ne peut pas aller le train, les gens ont besoin de prendre leur voiture. Un défi industriel majeur pour notre planète est la décarbonation de l’automobile.
Malgré les mesures d’économies, que prévoyez-vous en termes de transports pour les Gardois pour cette année 2025 ?
Nous allons poursuivre notre effort en proposant toujours plus de train et car régionaux, tout en maintenant des prix très attractifs. Ça reste une priorité pour moi. Les coupes budgétaires vont certainement nous obliger à revoir le calendrier de la réouverture de nouvelles gares sur la rive droite du Rhône, mais l’objectif reste entier.
Pour l’année 2025 dans le Gard, des aménagements horaires ont été mis en place en semaine, notamment pour améliorer les prises en charges des scolaires. Des arrêts intermédiaires supplémentaires ont été créés sur les trains des Cévennes et un aller-retour supplémentaire a été mis en place entre Nîmes et Alès. Grâce aux trains supplémentaires mis en place en 2020, et à la tarification attractive que nous pratiquons, à l’échelle de l’Occitanie, la fréquentation des trains a augmenté de 64 % en 6 ans.
Je partage ce succès avec mon vice-président aux Transports, Jean-Luc Gibelin, qui est Gardois et fait un travail remarquable.
Et concernant les lycées ?
L’éducation est ma priorité. C’est par l’école que les enfants, quels que soient leur origine sociale, territoriale et culturelle, peuvent choisir leur avenir. Pourtant, aujourd’hui seul un étudiant sur dix est un enfant d’ouvrier contre un sur trois pour les enfants de cadre. Cette injustice n’est pas digne de la France et de sa promesse républicaine. C’est pour cette raison que j’ai décidé de proposer la rentrée la moins chère de France dans les lycées d’Occitanie, en distribuant un ordinateur portable à chaque élève de seconde, en fournissant le premier équipement pour les lycéens professionnels, en garantissant la remise de manuels et la gratuité des transports pour tous les enfants. Sans que les parents n’aient à débourser un euro. Les enfants des familles les plus modestes doivent pouvoir étudier dans les mêmes conditions que les autres.
Nous rénovons aussi fortement nos lycées pour que les élèves puissent étudier dans de bonnes conditions. Dans le Gard, nous poursuivrons ou débuterons les chantiers sur près de vingt lycées, dont la seconde tranche de Jean-Baptiste-Dumas à Alès, Einstein à Bagnols-sur-Cèze, Marie-Durand à Rodilhan, Dhuoda, Frédéric-Mistral, Albert-Camus ou encore Daudet, à Nîmes.
Enfin, j’ai mis la priorité sur l’orientation, pour permettre aux familles de trouver leur chemin dans la jungle que Parcoursup représente. Là non plus, il n’est pas juste que les familles les plus aisées trouvent des moyens de contourner les obstacles, quand les autres galèrent. Nous avons ouvert des permanences dans les Maisons de Région et j’invite les Gardois à se rendre à celles de Nîmes, proche de la gare ou des Arènes, et d’Alès, pour être accompagnés dans leurs démarches. Je veux que la Région soit aux côtés de ses jeunes pour leur permettre de choisir leur avenir.
Un mot sur la crise économique avec la hausse du chômage de 4 % au dernier trimestre 2024. Que peut faire la Région, qui a la compétence développement économique ?
L’instabilité politique, depuis la dissolution décidée par Emmanuel Macron, en juillet dernier, nuit gravement au dynamisme économique de notre pays. Et la situation géopolitique inquiétante que nous traversons risque d’aggraver la situation… Je comprends complètement que les entreprises puissent hésiter à investir et à recruter dans ce contexte. La Région est donc fortement mobilisée pour soutenir leurs investissements et je compte sur un autre Gardois, Jalil Benabdillah, pour agir avec volontarisme. Depuis 2019, nous avons accompagné les entreprises gardoises à hauteur de 300 millions d’euros. Et récemment, nous avons organisé des salons Taf à Alès et Nîmes, qui ont réuni plus de 250 entreprises recherchant des salariés. C’est un bon signe dans ce contexte.
En matière d’emploi, je ne baisse jamais les bras et nous restons très offensifs. Le travail est un gage de dignité, je ne supporte pas de laisser des gens sur le carreau. Je veux me battre pour eux.
Le président de Nîmes métropole, Franck Proust, attaque la région pour son désengagement sur l’aide à l'immobilier d’entreprise. Que répondez-vous ?
La loi confie l’aide à l’immobilier d’entreprise aux Intercommunalités, sans possibilité d’intervention autonome des Régions. Par contre, nous accompagnons fortement l’investissement des entreprises pour leur développement et la création d’emploi.
L’agroalimentaire est le premier secteur économique de l’Occitanie. Les agriculteurs traversent une crise profonde. Que faites-vous très concrètement ?
J’agis avec mes deux casquettes. En Occitanie, nous soutenons nos paysans de la production à la vente, en accompagnant la production durable, l’implantation de nouveaux agriculteurs, et les circuits courts de distribution. La foncière agricole accompagne les jeunes agriculteurs en faisant l’acquisition des terres dont le paiement peut ainsi être étalé sur plusieurs années, ce qui leur permet d’investir dans le matériel de culture. Pour les circuits courts, nous avons créé une centrale d’achat qui permet de proposer des produits régionaux aux restaurations collectives des communes et intercommunalités. Et nous poursuivons notre action avec la marque Sud de France – Occitanie, qui réunit plus de 15 000 produits pour 2 000 producteurs, dont 1 900 produits gardois et près de 300 producteurs.
Mais je défends également nos agriculteurs, viticulteurs et pêcheurs auprès du gouvernement et de l’Europe. C’est ce que j’ai fait auprès du Premier ministre au moment des manifestations d’agriculteurs l’an dernier. Et c’est ce que je porte auprès de Bruxelles, en défendant notre "plaidoyer pour une nouvelle politique agricole commune", pour une PAC plus juste, plus équitable, permettant une agriculture plus forte, plus résiliente et diversifiée. Cela passe notamment par la préservation de la polyculture et du polyélevage, et une répartition plus juste des aides.
Politique nationale
Les députés PS n’ont pas voté la motion de censure, la loi de Finances 2025 est donc adoptée. Quel regard portez-vous sur l’attitude politique des socialistes ?
Le refus de voter la motion de censure était une décision responsable, pour laquelle j’ai fortement œuvré auprès des députés socialistes. La France avait besoin d’un budget pour stopper la hausse des taux d’emprunt sur les marchés financiers… Nous allions être pris à la gorge, avec des taux supérieurs à ceux de la Grèce, du Portugal et de l’Italie. Et nous avions besoin d’une stabilité politique qui permette aux collectivités et aux entreprises d’avoir une vision plus claire de l’avenir, propice à la reprise des investissements et des embauches.
Malheureusement, ce retour à un peu de stabilité nationale est aujourd’hui assombri par l’instabilité internationale. Comme beaucoup de Français, je suis très préoccupée par la complaisance de Donald Trump à l’égard de Vladimir Poutine, de même que par ses menaces économiques. Nous n’avons jamais eu autant besoin d’Europe.
Une partie de la Gauche considère quand même ce Gouvernement comme illégitime, la Gauche étant arrivée première aux Législatives. Par cette attitude, ne cautionnez-vous pas une anomalie démocratique ?
Bien sûr qu’Emmanuel Macron aurait dû nommer un Premier ministre de Gauche. C’est le résultat des urnes. En juillet dernier, lors des Législatives, seul le front républicain a gagné : ni la Gauche, ni le Centre, ni la Droite. Mais la Gauche est tout de même sortie en tête. Le président de la République a fait un choix cynique : la petite politique politicienne empêchant de donner du pouvoir à la Gauche et de défaire ses politiques injustes, plutôt que la démocratie et le soutien aux plus modestes. C’est dangereux, parce que cela crée des incompréhensions et des frustrations auprès de nos concitoyens… Cela fait le lit du Rassemblement national qui, pourtant, n’a jamais apporté aucune solution aux Français. L'extrême-droite, c’est la division et la politique du pire. À l’international, c’est la complaisance, voire les accointances, avec les systèmes Trump comme Poutine. Moi, je prône une France ancrée sur sa devise : liberté, égalité, fraternité. C’est le sens de mon engagement avec la République en commun.
Un mot de politique… Vous êtes présidente de la Région Occitanie depuis 2015. Les municipales de Toulouse, ça vous tente ou souhaitez-vous rester présidente de la Région ?
J’ai beaucoup réfléchi à une candidature à Toulouse, parce que j’ai été très sollicitée par des Toulousains dans la rue, des chefs d’entreprises et des responsables politiques locaux. Cela m’a énormément touchée et j’ai pris le temps de la réflexion. Mais je me sens plus utile à la tête de la Région et dans mon action pour la France. La situation est critique, il faut des têtes froides, qui connaissent le quotidien des Français. En tant que présidente de la Région Occitanie et de Régions de France, et du fait de mes origines modestes, je connais les fins de mois difficiles, l’inquiétude des parents pour l’avenir de leurs enfants, la difficulté à les aider dans leur orientation et la recherche de stage… Je veux peser pour être la voix de la province, la voix des campagnes à Paris. J’ai donc fait le choix de lancer La République en commun et sa plateforme d’idées. Mon objectif est de rassembler largement ceux qui veulent contribuer à un projet de Gauche, en réunissant les idées des intellectuels, chefs d’entreprises, acteurs associatifs, culturels et sportifs. Et de valoriser les initiatives des territoires. Nous sommes nombreux à avoir de grandes idées pour la France, il y a un chemin si nous formons un collectif au service des Français. Je veux être moteur pour reconstruire une France forte et une Europe solide.
L’élu régional Fabrice Verdier est votre représentant le plus identifié dans le Gard. Aujourd'hui président du Pays d'Uzès, pourrait-il devenir demain le président du Conseil départemental du Gard ?
Françoise Laurent-Perrigot est la présidente du Département. C’est une femme de Gauche que je respecte, que j’apprécie et qui travaille avec son équipe pour améliorer le quotidien des Gardois. Je ne fais pas de politique fiction. J’ai énormément d’estime pour Fabrice, qui est précieux dans mon équipe et pour le Pays de l’Uzège, mais je ne jouerai pas ce jeu-là.
Un mot sur les élections municipales. Quel regard portez-vous sur l’union de la Gauche qui commence à se dessiner dans le Gard ? Et peut-elle être composée de LFI à Nîmes ? Ou bien, vous l’excluez d’office ?
Je suis pour l’union de la Gauche, à condition qu’elle soit claire et sincère. Il y a un combat rude à mener contre l'extrême-droite. Par principe, je n’exclus rien, ce serait à la fois faire preuve de manque d’intelligence et de clairvoyance. Tout le monde sait que je m’oppose clairement à Jean-Luc Mélenchon et ses lieutenants à l’Assemblée nationale. Je refuse avec vigueur leurs positions sur la politique internationale, sur la laïcité, sur la sécurité, je rejette la brutalisation du débat public. Mais je sais aussi que dans un mouvement politique, il y a les chefs, il y a les militants et les électeurs. Je souhaite que nous puissions rassembler largement pour proposer un collectif, avec un projet au service des Gardois, et en l’occurrence des Nîmois. Je fais toute confiance à Vincent Bouget et Pierre Jaumain pour prendre les décisions les plus favorables à une victoire.
Enfin, quel regard portez-vous sur le premier fédéral Pierre Jaumain, probable chef de file du PS pour les municipales à Nîmes ?
Pierre Jaumain est un homme de conviction et la finesse de ses analyses est précieuse pour la Gauche gardoise. C’est un militant, qui a œuvré autant pour l’éducation populaire, que pour l’action publique. Je souhaite que nous puissions avancer ensemble pour redonner toutes ses couleurs au Parti socialiste. Nous devons porter un projet de justice sociale, défendant un modèle de développement plus juste pour les plus fragiles, et plus durable pour notre environnement. Avec Nicolas Nadal, ils forment une bonne équipe au service des Nîmois.