Publié il y a 2 h - Mise à jour le 15.12.2024 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 51 fois

FAIT DU JOUR Emmanuel Senin, l’homme qui déteste le mot « impossible »

Emmanuel Senin a mis quatre ans à trouver un système qui permet aux personnes handicapées de pratiquer le wake foil au-dessus du lac de Serre-Ponçon.

- © Planète Handisport

Paraplégique depuis 30 ans, cet homme originaire de Parignargues refait de la moto. Cet ancien membre de l'équipe de France de ski a créé Planète Handisport pour que valides et personnes handicapées pratiquent ensemble VTT, sports de glisse... Il ne veut pas que les sportifs « handi » soient vus comme des super-héros, juste comme des sportifs.

C’est un sourire franc, direct, contagieux. Il revient en permanence au fil de la conversation. Mais il prend un éclat très particulier quand Emmanuel Senin confie, qu’il prépare son permis moto. « Je le passe à 46 ans en étant paraplégique », lâche ce père de jumeaux de 11 ans. Avec son association, Planète handisport, il participé à l'élaboration de la « seule moto homologuée au monde pour que des personnes à mobilité réduite puisssent aller sur route ». Il a fallu trois ans pour que Ludovic Lazareth, un ingénieur d’Annecy qui s’est fait connaître pour avoir inventé une moto volante* l'élabore. Emmanuel possède un prototype de cette Yamaha Niken. Équipée de deux roues à l’avant, elle est capable de se stabiliser à basse vitesse, pour éviter les chutes quand on doit par exemple s’arrêter à un feu rouge.

L'été dernier, Emmanuel Senin a parcouru 350 km sur trois jours avec un vélo où on pédale avec les mains, un maindalier. • © Planète Handisport

 

Un baptême de moto pile 26 ans après son accident

Jusqu’en 2018, les personnes en situation de handicap n’avaient pas le droit de rouler en moto. En 2019, la fédération française de moto leur ouvre les circuits. Les yeux d’Emmanuel Denin en brillent encore : « J’ai créé une section moto chez Planète handisport. Je ne pouvais pas louper cela. » Le 8 août 2020, il enfourche une moto au pôle mécanique d’Alès. Elle n’a pas de ceinture, seul le changement de vitesse a été adapté. Pour qu’il ne chute pas, quelqu’un le tient au départ et à l’arrivée. « J’avais son père en larmes à côté de moi. On était tous en larmes », reconnaît Grégory Robert, un ami proche. La séquence est filmée. L’émotion d’Emmanuel Senin transpire. Il a choisi cette date volontairement pour « boucler la boucle, faire un pied de nez au destin ».

26 ans plus tôt, le 8 août 1994, Emmanuel Senin est à une semaine de ses 16 ans. Il part en motocross explorer un chemin de défense incendie qui venait d’être tracé dans la garrigue de Parignargues. Des engins de chantier sont encore présents. Il essaie de les éviter. Sa 125 cm3 percute un bourrelet de terre. Il vole 30 mètres plus loin. Nîmes, Montpellier, Paris, la Bretagne… Ce franco-espagnol passera un an en soins.

© Planète Handisport

Rebondir grâce au sport

Aujourd’hui, il se rend encore en centres de rééducation. Mais pour témoigner, pour accompagner les premières sorties. « On est là pour leur montrer que la vie est belle, résume-t-il. Au début, ils sont un peu étanches. Ils pensent qu’ils vont récupérer. Je leur dis ‘si jamais tu récupères, tu viendras en tant que bénévole dans mon association, sinon voici tout ce que tu pourras faire avec nous’. »

Après son année de soins, Emmanuel boucle ses études de prothésiste dentaire. Il exerce sept ans. Mais c’est le sport qui lui permet de rebondir.

« J’ai repris le ski et je l’ai pratiqué à outrance », lance celui qui adore « cramer de l’adrénaline » et être « rincé » après une bonne session de sport. Il fait partie de l’équipe de France de ski alpin pendant cinq ans. Il sera aussi trois fois champion de France dans une autre disciple le ski nautique en figure et slalom... Il se retrouve doté d’énormément de matériel et décide de le donner à ceux qui en ont besoin. L’association Planète handisport naît en 2008.

 

Handicapés et valides ensemble

Tous les sports proposés sont accessibles aux personnes handicapées comme aux valides.

« J’ai connu les clubs 100 % handi. On est parqué, estime-t-il. Le but c’est de partager et de donner une image positive du handicap. » Il transmet ses techniques d’apprentissage pour aller vers l’autonomie, forme les personnes de l’entourage de la personne handicapée. En 2012, il ajoute une section vélo ou fauteuil tout-terrain. En 2015, la fondation MMA assurance lui octroie une aide pour l’achat d’un véhicule adapté. Elle charge un des agents, Grégory Robert de lui remettre le chèque. Mais où organiser la cérémonie ? L’association propose un stage de ski handi/valides à Avoriaz. Grégory va offrir le chèque sur les pistes et participer au stage avec les personnes handicapées.

Depuis, il s’y rend chaque année. « Aujourd’hui, le handicap, je ne le vois plus. Emmanuel fait 10 ou 100 fois plus de choses que des gens valides », assure Grégory qui est valide.

Il le suit encore quand, en 2016, Emmanuel Senin crée « le premier pôle mécanique handisport » avec une activité de karting.

Emmanuel Senin préside bénévolement Planète handisport qui a eu le label impact social 2024. • Sabrina Ranvier

Un homme pugnace

« Emmanuel ne lâche jamais, il est toujours à fond. C’est quelqu’un comme on en croise rarement », souffle son ami Thomas Vergnet. Lui aussi a été victime d’un accident de motocross. Même s’il était sportif auparavant, il n’avait absolument jamais pratiqué le ski nautique. Il est aujourd’hui responsable de la section nautique à Planète handisport. « Emmanuel m’a pris sous son aile. Il prend du plaisir quand il voit les autres s’éclater. » Il finit par intégrer lui aussi l’équipe de France de ski nautique handisport. Avec Emmanuel, ils participent à des championnats du monde en Italie, aux États-Unis, en Norvège… Il se souvient d’un colocataire de chambrée qui ne dort quasiment jamais et qui cogite sur son PC la nuit.

L’intéressé confirme. Il dort 3 heures par nuit et calcule en permanence pour « ouvrir le champ des possibles ». Une nouveauté sort pour les valides ? Il essaie de dénicher le moyen technique qui permettrait de l’adapter aux personnes en situation de handicap. « Je ne me laisse pas dire que ce n’est pas possible », tranche-t-il.

Cet été, il a volé au-dessus de l’eau du lac de Serre-Ponçon en wake foil. Le principe du wake foil est simple : une personne se tient debout sur une planche, sous laquelle est fixé un foil, une sorte de nageoire qui s'enfonce sous l’eau. La personne est reliée au bateau par une corde et, quand le navire prend de la vitesse, le sportif s’envole. Emmanuel pratique ce sport assis dans une coque ou dans un filet. « Je suis le premier handi de mon niveau lésionnel à voler en wake foil », se réjouit-il. Il a diffusé sa vidéo sur les réseaux sociaux. Sur son écran d’ordinateur, il montre du doigt les images où on le voit s’envoler puis il pousse vers la fin du montage qui se clôture par une joyeuse série de chûtes.

« On a mis quatre ans à le développer. J’ai bu des litres et des litres d’eau. »

Mais il ne faut surtout pas lui coller l’étiquette de super héros. « Je ne suis pas un médecin, je ne sauve pas des vies, modère-t-il. On veut juste être considérés comme tout le monde. »

Emmanuel Senin pratique ici du vélo mais il a aussi lancé au pôle mécanique d'Ales une section de karting et moto. « Le pôle mécanique d’Alès nous a tout de suite accepté et ce n’était pas pour faire du peuchérisme'", image-t-il. • © Planète Handisport

416 personnes adhérent aujourd’hui à son association. Elle compte une cinquantaine de bénévoles actifs et cinq salariés. Lui va chercher des financements pour leur proposer des semaines de ski à 1500 euros, matériel, cours adaptés, accompagnateur, hébergement compris. « Manu est très humble, mais cela doit être la seule association au niveau européen à proposer cela », pointe Philippe Marchal, président de l’Ufolep du Gard. Emmanuel Senin n’a jamais annoncé sa retraite sportive. Il a suffisamment de points pour participer aux championnats du monde handisports de ski nautique. Mais là, il savoure d’autres émotions comme le plaisir de descendre une piste de ski alpin en famille : « Je suis autonome, je suis capable de relever mes enfants s’ils tombent. »

*En 2019, il met au point une moto avec quatre roues jumelées. Elles se déploient à l’horizontale pour libérer les réacteurs. Son réservoir lui permet une autonomie d’une dizaine de minutes en vol.

Job dating

Planète handisport organise des job dating depuis trois ans. Le 26 avril dernier, 116 demandeurs d’emploi en situation de handicap rencontrent une trentaine de chefs d’entreprise. « On accueille tous types de handicap mais 90% d’entre eux ont un handicap invisible. » Le matin, tous pratiquent ensemble une activité sportive, vélo, karting… Personne ne sait qui est recruteur et qui est demandeur. « On veut leur montrer que le handicap n’est pas un frein mais peut être une valeur ajoutée, décrypte Emmanuel Senin. Beaucoup de personnes en situation de handicap n’osent pas sortir de chez elles. » Planète handisport les prépare avant le job dating et elle obtient 92 % de retours positifs après. Certains signent un contrat, d’autres ont fait un énorme pas pour retrouver de la confiance en soi.

« Ce sont des demandeurs très éloignés de l’emploi, observe Virginie Hens directrice de Cap emploi. Ce sont des personnes qui généralement ne font pas de sport et le fait de réussir à en faire, leur permet de se dire professionnellement "je vaux encore quelque chose. » C’est Emmanuel Senin qui l’a sollicitée sur LinkedIn pour organiser ces job dating. Elle a adhéré à sa joie de vivre : « Notre premier contact a été un sourire. Je m’en souviens encore. »

Sabrina Ranvier

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