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Publié il y a 7 mois - Mise à jour le 16.04.2024 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 711 fois

FAIT DU JOUR Mines : confidences des dernières gueules noires

La statue du mineur marque l'entrée du quartier de Rochebelle à Alès.
En 1891, 2,137 M de tonnes sont produites avec 26 puits et 13 000 mineurs. Le Gard est alors le 3e bassin minier français.

- Sabrina Ranvier

Terminé. Le 8 avril 2004, la France tire un trait sur le charbon et ferme son dernier puits de mine en Moselle. Printemps 2024, l’État lance une consultation pour ouvrir une mine dans l’Allier. Le but : trouver du lithium pour les voitures électriques. Les Cévennes ont été le 3e bassin minier français. Qu’en reste-t-il ? Un crassier qui fume ? Une mine témoin drainant 20 000 visiteurs ? Une Maison du mineur où l’émotion affleure ? « Il reste une mémoire de solidarité et de combat, de ne jamais plier les genoux », répond Alain Tassera, 78 ans, ancien mineur. Francis Iffernet, 87 ans, se souvient des 13 mois d’occupation de Ladrecht en 1980-1981, soldés par 324 embauches. C’est la plus longue grève industrielle d’Europe. Patrick Bauducco, recruté en 1982, finit sa carrière aux mines à ciel ouvert. Il le reconnaît : à l’heure du réchauffement climatique, le charbon n’est plus d’actualité. Mais il l’avoue, en 1986, à la fermeture des Oules, dernière mine de fond cévenole, il « a pleuré comme un gamin ».

« Qu’on le veuille ou non, les mineurs aimaient leur métier »

Francis Iffernet devant la toile représentant la mobilisation de Ladrecht sur laquelle il est représenté sur le côté droit.  • Sabrina Ranvier

Pour Francis Iffernet, éternel militant de 87 ans, et Patrick Bauducco, un des derniers mineurs embauchés dans le Gard, la mine c’est surtout une histoire de solidarités.

« Messieurs dames, soyez indulgents au niveau de la qualité du son », avertit une voix masculine. De forts grésillements lui répondent. Même si le son est franchement mauvais, on distingue une autre voix. Au ton déterminé : « Nous sommes décidés à nous battre, à nous battre très fort pour ne plus laisser fermer un puits de mine. » Cette voix est celle de Francis Iffernet. Ce mineur cégétiste harangue depuis le fond du puits de Destival. En ce 28 décembre 1979, un câble a été tiré 800 m sous terre pour assurer la liaison avec les mineurs qui occupent ce puits alésien. Leur action est diffusée en direct sur radio Castagne.

Radio pirate

45 ans après, un sourire de gamin s’étale encore sur le visage de Francis Iffernet : « Cette intervention m’a valu une convocation par la police. À l’époque, les radios n’étaient pas libres. On a fait les innocents et ils nous ont relâchés. » Yeux rieurs, ton vif, ce jeune homme de 87 ans se rend encore « un peu », c’est-à-dire tous les jours, à la Bourse du travail d’Alès. Des fenêtres, on voit des réverbères en forme de lampe de mineur. Il vit toujours à Rochebelle, à côté du crassier, dans un logement des mines. Le bassin minier des Cévennes est exploité depuis le XVIIIe siècle. Au XIXe, l’arrivée de la première ligne de chemin de fer le désenclave et fait exploser la production. On compte 26 mines dans le département. C’est le troisième bassin minier de France.

Grèves et occupation

Une plaque en marbre est posée sur une étagère du bureau de Francis Iffernet. Elle rend hommage à l’ouvrier Max Chaptal « mortellement frappé par les forces de répression le 26 octobre 1948 ». Cet homme solidaire des mineurs a succombé d’un tir de mitrailleuse alors qu’il traversait une passerelle à Alès. Partout en France, les mineurs s’étaient mis en grève pour dénoncer la baisse de leur rémunération. L’armée avait été envoyée par le gouvernement. Dans son bureau, au-dessus de la plaque, Francis Iffernet a encadré un article de presse de 2014. Il annonce que Christine Taubira, ministre de la Justice, reconnaît le caractère discriminatoire et abusif du licenciement pour faits de grève des mineurs grévistes en 1948 et de 1952.

Francis Iffernet, n’a pas vécu la grève de 1948. Lui a commencé à travailler comme mineur en 1952, à 15 ans et demi, à Decazeville en Aveyron. En 1966, sa mine ferme. L’Aveyronnais est envoyé en Cévennes. Sa famille est logée gratuitement à Rochebelle, à côté du mont Ricateau, montagne de déchets miniers, portant le nom d’un ancien dirigeant des mines. A l’époque, le puits Destival emploie un millier de mineurs.

En 1969, le ministre de l’Industrie évoque la fermeture des mines cévenoles à l’horizon 1975. Les mineurs bataillent. « Des ingénieurs nous aidaient en sous-main, confie malicieusement Francis Iffernet. Ils nous avaient donné des arguments pour faire ouvrir des mines à ciel ouvert ». Le premier choc pétrolier de 1973 remet le charbon dans la course. Un peu. Pas suffisamment. Le puits de Saint-Florent-sur-Auzonnet est dynamité en 1975. Le puits Ricard à La Grand’Combe ferme en 1978. Destival à Alès est menacé. Les mineurs sont convaincus qu’à partir de ce puits, on peut atteindre le gisement de Ladrecht où ils évaluent les ressources à 9 millions de tonnes d’anthracite.

Plus longue grève industrielle d’Europe

Ils occupent Destival trois jours, fin décembre 1979. « Des dizaines et des dizaines de familles » visitent le fond. « Le 4 mai 1980, on a dit demain on descend et on ne remonte pas. Trois ou quatre mineurs sont remontés. On ne savait pas où on allait », se souvient Francis Iffernet. Agriculteurs, torero Nimeno II, écrivains, peintres… Les 200 familles de mineurs tiennent grâce à un grand élan de solidarité. Des paysans, des pêcheurs de Sète les ravitaillent, le trompettiste Maurice André organise un concert de soutien, le torero Nimeno II leur offre un costume de lumière…

En mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République. Un accord est trouvé. Le 16 juin, le travail reprend. La grève a duré 13 mois. Un record. « A priori, cela a été la plus longue grève industrielle d’Europe », confirme Louis Baldasseroni, enseignant en histoire contemporaine à Unîmes*.

"On bloquait les trains et on déchargeait le charbon de l'apartheid produit en Afrique du Sud", se souvient Patrick Bauducco ( à droite). En 1986, les mineurs font grève pour empêcher la fermeture des Oules, le dernier puits cévenol. Dulcie September, représentante de l'ANC en France, le mouvement de Nelson Mandela, vient les remercier.  • © Collection privée Patrick Bauducco

Fermeture des puits

Le combat de Ladrecht tapisse les murs du bureau de Francis Iffernet. « 324 personnes ont été embauchées : des ingénieurs, des administratifs, des ouvriers… des gens qui ont pu finir leur carrière aux mines », s’enthousiasme-t-il. Le Grand'Combien Patrick Bauducco, qui avait soutenu le combat de Ladrecht, est embauché et affecté au lavoir de la vallée Ricard. En 1984, le gouvernement amorce le tournant de la rigueur. L’heure n’est plus aux mines. Destival ferme en 1985. Les mineurs sont transférés aux Oules. Dans l’été 1985, Patrick Bauducco réserve des billets pour aller au concert de Johnny Hallyday à la fête de l’Huma à Paris. Il n’y assistera pas. En septembre, à l’appel de la CGT, les mineurs décident d’occuper les Oules, dernier puits cévenol. « La grève était très dure, il n’y avait pas cet élan de Ladrecht, pas l’appui des confédérations paysannes », reconnaît Patrick Bauducco. Malgré sept mois de blocage, le puits ferme en 1986. Il a 24 ans : « J’ai l’image du dernier jour, on a fait un meeting dans la salle des pendus. On a chanté le chiffon rouge main dans la main. J’ai pleuré comme un gamin. » Il ferme le portail avec un collègue, Zaïd Smaïl : « On a voulu le fermer nous-même. Pas pour nous, pour l'Histoire. » Douze mineurs sont mis à pied et trois révoqués : Zaïd Smaïl, Patrick Bauducco et Francis Iffernet.

Acquis sociaux

« J’avais été fait chevalier du Mérite en 1983 après Ladrecht et révoqué ensuite pour les mêmes raisons », ironise Francis Iffernet. Les tribunaux leur donnent raison en 1989. Francis a 48 ans. Il n’est pas réintégré, mais mis à la retraite. À l’époque, les mineurs de fond partent à la retraite à 50 ans et ceux de surface à 55 ans. Médecine gratuite, gratuité du logement ou indemnité logement, charbon gratuit et maintien de ces avantages pour les veuves, le militant énumère les acquis sociaux : « C’est vrai que c’est un métier dur mais, avec les luttes, on a amélioré les conditions de travail. Le mineur aimait son travail qu’on le veuille ou non. » Il ajoute que les services de santé des mines, aujourd’hui ouverts à tous, contribuent « à lutter contre la désertification médicale ». Lui n’a pas voulu assister au dynamitage du puits de Destival en 2002 mais, sur France 3, il a bien vu que le bâtiment s’est écroulé sur un édifice voisin : « Il ne voulait pas partir sans rien dire. » Même s’il évoque un pincement dans le dos qui le fait souffrir, il continue à manifester : le 19 mars, il défendait le service public. Le 23, c’était les pensions de retraite.

Patrick Bauducco fait partie du dernier groupe de mineurs qui ont travaillé dans les mines cévenoles. Il a pris sa retraite en 2014. • © Collection privée Patrick Bauducco

« L’esprit des mines est toujours là », assure-t-il. Sur les manifestations, il croise Patrick Bauducco, 62 ans. Il est à la retraite depuis 2014. Il fait partie des derniers mineurs du Gard. Il a terminé sa carrière aux découvertes. L’exploitation de ces mines à ciel ouvert se termine en 2001 mais les mineurs remettent ensuite en état pendant plusieurs années les collines de Portes et de Mercoirol défigurées par les bulldozers. Patrick Bauducco le reconnaît : aujourd’hui, le charbon, responsable de dégâts climatiques, n’est plus d’actualité. Un sourire perce dans sa voix quand il évoque la solidarité des mineurs lors des grèves ou face aux injustices. Il se souvient d’un agent des mines qui classait les demandes de logement des personnes d’origine maghrébines : « On avait organisé un débrayage et déployé une banderole « Cévennes terre d’asile ». On avait réussi à le faire muter. »

L'ascenseur du puits Ricard descendait à 9 m par seconde. La profondeur de ce puits est de 801 m. Celui de Destival à Alès est de 822 m.  • Sabrina Ranvier

*La grève des mineurs britanniques en 1984-1985 a duré un peu moins d’un an. Mais elle a mobilisé davantage de personnes que Ladrecht. Il y avait 140 000 grévistes à ses débuts.

Cité-champignon

Née autour du charbon en 1846, La Grand’Combe a été la troisième ville la plus peuplée du Gard. Elle réunit aujourd’hui 5 000 habitants. La Pomarède, maternité des mines, est devenue un Ehpad-centre de rééducation. « Malheureusement, il ne reste plus grand-chose des mines », observe Alain Rosier, 82 ans. Il est descendu pour la première fois à 16 ans dans le puits de Champclauson où son grand-père avait perdu la vie en 1938 dans un accident de dynamite. Électricien spécialisé dans les mines, Alain Rosier se retrouve pieds et mains paralysés suite à un éboulement à Destival. L’accident lui vaut une quinzaine de jours d’hôpital. Celui qui a terminé sa carrière à 50 ans aux découvertes vit dans un logement des houillères à Champclauson, sur les hauteurs de La Grand’Combe. « Il y avait 2 500 habitants en 1971, il y en a 400 aujourd’hui, observe-t-il. Il n’y a plus de commerces, plus d’école…»

Sabrina Ranvier

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