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Publié il y a 1 an - Mise à jour le 05.09.2023 - Sabrina Ranvier - 12 min  - vu 1182 fois

FAIT DU JOUR Profs, et fiers de l'être !

Un professeur documentaliste travaille au CDI 30 h par semaine. Il monte des projets interdisciplinaires, des partenariats culturels : « Je veux me faire plaisir au maximum » annonce Oriane Torres, du lycée Dhuoda.

- Sabrina Ranvier

« Tous les matins, j’ai hâte d’aller au travail », confie Oriane Torres, professeure documentaliste au lycée Dhuoda de Nîmes. Pourtant l’Éducation nationale peine à recruter. Mathématiques, lettres, physique… 863 postes n’ont pas été pourvus au concours national du CAPES* externe. Mais la sinistrose n’est pas généralisée. Marion Bonnecaze, diplômée de la sélective ENS, enseigne par choix depuis 21 ans dans un collège d’éducation prioritaire nîmois. Julien Vanduynslaeger consacre ses pauses repas à la radio lycéenne Bangarang. Clémentine Pagès est intarissable sur ses élèves du lycée pro… Ni naïfs ni candides, ils sont conscients des difficultés mais restent convaincus qu’enseigner est plus que jamais nécessaire.

Oriane Torres, lycée Dhuoda, Nîmes

Des élèves qui viennent au lycée en costume. Non, ce n’est pas une hallucination. Les 30 et 31 mai, une centaine d’élèves de première et de terminale reconstituent le parlement européen au lycée nîmois Dhuoda. Certains jouent le rôle de députés, d’autres sont ministres, chefs d’État ou même président de la commission européenne. Leur mission : amender et voter un texte sur les énergies vertes. Ils doivent pour cela résister aux pressions d’autres lycéens devenus lobbyistes.

« Même quand ils allaient à la cantine, il y a eu du lobbying pour essayer d’influencer le vote. On a même appris qu’il y avait eu de l’espionnage entre pays. Ce sont des lycéens qui jouaient le rôle des journalistes qui l’ont relaté », se souvient Oriane Torres. Les yeux de cette brune de 23 ans pétillent derrière ses lunettes cerclées d’or lorsqu’elle évoque ce projet qu’elle a mené avec des professeurs d’histoire géographie et avec l’association Sim Occitanie. « Tous les matins, j’ai hâte d’aller au travail », assène-t-elle d’un sourire désarmant.

Séances d’orthophonie

Oriane, dont la moitié de la famille enseigne, voulait au départ devenir professeur des écoles. Des stages et un travail d’animatrice lui font prendre conscience qu’elle préfère les plus grands. Après une licence de philosophie, elle s’inscrit au concours de professeur documentaliste. Il y a 1 200 candidats et une centaine de places.

Dyslexique et dysorthographique, la jeune femme s’astreint à trois séances par semaine d’orthophonie. Elle fait des dictées tous les jours. Persuadée d’avoir échoué, elle ne va même pas voir ses résultats de l’écrit. Une amie insiste. Lourdement. Elle est sélectionnée et décroche l’oral dans la foulée. Aujourd’hui, cette native de Montpellier n’hésite pas à encourager les élèves qui souffrent eux aussi de dyslexie.

Prêts surprises et CDI ambulant

Oriane va entamer sa deuxième année à Dhuoda. Elle a débuté au collège montpelliérain Rabelais. Il n’était pas classé éducation prioritaire mais en avait le public. Avant Noël, pour pousser les élèves à lire, elle emballe 200 livres avec du papier cadeau. « Science-fiction », « animal »… Un indice est posé sur chacun de ces « prêts surprise ». « Tout est parti en une journée », sourit-elle. Les élèves ne lisent que les mangas ? Très bien. Elle lance un club manga qui réunit une vingtaine de volontaires. D’autres évitent consciencieusement son centre de documentation et d’information ? Elle pose les livres sur un chariot, les masque avec un rideau, ajoute des lanternes japonaises et se rend dans les classes avec ce « CDI ambulant ». Piqués par la curiosité, les élèves l’arrêtent. « Quand on leur fait voir la lecture d’une autre façon, il y a une réponse extrêmement positive, note-t-elle. Il y a souvent de fausses représentations sur le métier de professeur documentaliste mais on a une liberté pédagogique sans pareille ».

Franck Reverger avec Fabrice Maurin, lycée de Lasalle, Alès

Fabrice Maurin et Franck Reverger sont professeurs d'atelier au lycée de Lasalle à Alès.  • Sabrina Ranvier

Une odeur d’huile de coupe, un lubrifiant utilisé pour refroidir les pièces métalliques, flotte dans la « salle de classe » de Franck Reverger et Fabrice Maurin. Ici, les élèves doivent venir avec chaussures de sécurité et bleu de travail. Franck et Fabrice sont professeurs d’atelier au lycée privé de Lasalle à Alès. Ils préparent leurs élèves au bac pro usinage. Même s’ils sont employés par l’Éducation nationale, Fabrice et Franck ont du mal à se considérer comme « professeurs ». Mais il suffit d’entendre ces deux complices échanger sur les petites et grandes réussites de leurs élèves pour comprendre qu’ils sont bel et bien profs et fiers de l’être.

Sur un mur, en hauteur, s’étale le sourire d’un jeune homme. Une plaque est vissée sous la photo : « Bastien Reynaud, finale nationale Worldskills-Lyon 2022, médaille de bronze ». Bastien a obtenu un bac pro à Lasalle. Classé troisième à la finale des Worldskills*, la compétition des métiers, l’an dernier, il retente sa chance cette année. Il n’est plus scolarisé à Lasalle mais il est quand même venu s’exercer à l’atelier fin juin. Même s’il n’y avait plus d’élèves, ses deux anciens profs sont venus l’entraîner. Fabrice qui est conseiller technique régional Worldskills Occitanie, l’a même accompagné à Toulouse pour une préparation avec coach mental et sportif. S’il décroche la première place, Bastien Reynaud pourra participer au concours international. La photo d’un autre ancien élève, Gabin Cuer, quatrième national des Worldskills 2019, est fixée au-dessus de la porte. Mais pour Fabrice et Franck, le but n’est pas d’accumuler des médailles à tout prix : « On n’est pas des compétiteurs. Les Worldskills, cela donne une bonne dynamique à la section. Cela crée une émulation. Ils s’entrainent, ils progressent et c’est gagné ».

Première vie dans l’industrie

Fabrice a intégré Lasalle en 1992, après son service militaire. Franck a eu une première vie de douze ans dans l’industrie. En 2001, cet ancien de Lasalle est responsable de la maintenance mécanique chez Merlin Gérin. Il a 13 personnes sous ses ordres. Un management peu motivant, une envie de faire autre chose le poussent à appeler ses anciens professeurs. Il lâche son CDI, divise son salaire par deux et intègre le lycée privé alésien en CDD comme professeur d’atelier.

Il se souvient encore de sa première heure de cours seul face à des élèves de quatrième techno. Il n’a pas de problème de discipline mais il est désarçonné quand, au lieu de l’interroger sur le contenu du cours, ils posent des questions comme « avec quel stylo je dois écrire ». La première année, ce père de deux enfants, prépare les cours à fond et révise en même temps le concours. Il l’obtient du premier coup.

Ce qu’ils aiment dans ce métier ? « On est libre », rétorque Fabrice qui apprécie le fait de pouvoir personnaliser ses cours pour faire progresser des élèves de niveaux radicalement différents. Franck aime être dans une dynamique, dans ce mouvement lié à la jeunesse. Tous deux évoquent des premières filles ayant intégré la section, des demoiselles au caractère bien trempé qui ont eu un effet apaisant sur la classe. Ils se réjouissent aussi en pensant à ce jeune garçon autiste « qui n’arrivait pas à sortir un mot » mais qui est d’un sérieux et d’une rigueur extrême. « On l’a envoyé chez un ancien élève en stage, se souvient Franck. Il l’a rappelé pour qu’il revienne cet été. Il est très content de lui. Ça c’est gratifiant ».

*Bijouterie, plomberie… Les Worldskills sont la compétition des métiers. Pour participer, il faut avoir moins de 23 ans. https://www.worldskills-france.org

Vincent Marie, lycée Philippe-Lamour, Nîmes

Vincent Marie donne aussi des cours à l'université Montpellier III. On peut retrouver ses documentaires sur la boutique https://www.kanarifilms.fr  Celui des lycéens sur Auschwitz sera projeté au Sémaphore ou à Carré d'art.  • Sabrina Ranvier

Un foulard qui cache des cheveux sèchement coupés courts, des lèvres tuméfiées et un regard avide d’échanger. La caméra se fixe sur la photo d’une adolescente en tenue rayée. « Elle me dit : « regarde ce qu’ils m’ont fait. Ils ont tué mon père, ma mère. Tu as mon âge, j’aurais pu être ton amie. Toi, aide-moi, transmets ce message », commente une voix off féminine. L’image est mise sur pause puis relancée. Dans la pénombre d’une salle de classe couverte de posters de cinémas, une grande silhouette peaufine sur ordinateur le montage d’un documentaire de 30 minutes sur Auschwitz.

Vincent Marie, professeur d’histoire-géographie, a emmené au printemps dernier 25 lycéens dans cet ancien camp de concentration nazi. Tous suivent la spécialité cinéma-audiovisuel au lycée Philippe-Lamour. Il leur a demandé à chacun de choisir une image et de rechercher son contexte et son histoire aux archives.

Plongée sous la glace

Cet agrégé d’histoire mène une double vie : durant l’année scolaire, ce Breton enseigne à temps plein l’histoire-géographie et le cinéma-audiovisuel au lycée nîmois Philippe-Lamour. Pendant l’été et sur son temps libre, il réalise des documentaires. « J’ai campé sur la banquise », témoigne cet homme discret et posé. Son frère Laurent, plongeur apnéiste, voulait se glisser sous la glace. Durant l’été 2019, les deux frères passent un mois et demi avec une communauté du grand nord canadien. Laurent Marie écoute les cliquetis des belugas sous la glace et fait plonger en apnée les enfants du village. L’aventure devient un documentaire de 77 minutes, Les harmonies invisibles, où les inuits partagent leur culture sans voix off.

Vincent Marie qui a soutenu une thèse de doctorat sur Les mystères de l’Égypte ancienne dans la BD, enchaîne ensuite avec un documentaire sur la guerre d’Algérie. Appelés, partisans de l’indépendance, harkis, pieds noirs… Des dessinateurs touchés dans leur histoire familiale par cette guerre « sans nom » utilisent la bande dessinée pour évoquer cette mémoire complexe. Nos ombres d’Algérie, est diffusé sur France 3 en mars 2022. L’été suivant, Vincent Marie retourne un mois chez les inuits pour un nouveau documentaire. Il est accompagné d’Edmond Baudoin, dessinateur de BD de 80 ans.

Ses documentaires sont produits par France 3 ou TV5 monde. Certains lui demandent pourquoi diable il continue à enseigner. « Les deux se nourrissent », répond ce fils d’éducateurs spécialisés. Celui qui a fait ses armes comme professeur d’histoire dans les collèges de Beaucaire et qui a enseigné trois ans au lycée français du Cameroun, veut être prof depuis tout petit : « Il y a une idée de transmission, de partage. Ce qui me fait me sentir vivant, c’est qu’on les accompagne de la seconde à la terminale. On les voit grandir, s’éveiller, développer leur curiosité. »

Julien Vanduynslaeger, lycée Prévert, Saint-Christol-les-Alès

Julien Vanduynslaeger enseigne l'Anglais et s'occupe aussi de radio Bangarang. Cette webradio a été primée lors du concours académique des médias scolaires, Mediatiks en 2021 et 2022.  • DR

« Je suis enthousiaste, affirme Julien Vanduynslaeger. Quand j’entends des choses négatives sur le métier d’enseignant, je ne m’y retrouve pas ». Ce professeur d’anglais au lycée Prévert de Saint-Christol-les-Alès, a d’ailleurs joué les prolongations cet été. Avec quelques élèves du lycée, il est allé aux Rive (les Rencontres internationales des véhicules écologiques) et au festival du rythme de Saint-Jean-du-Pin pour tourner une émission pour leur radio, Bangarang.

Prof dans le plus petit collège du Gard

Julien Vanduynslaeger n’est pas un débutant. Ce fils d’un professeur d’histoire-géographie affiche 17 ans d’ancienneté dans l’Éducation nationale. Il a enseigné en collège à Salindres et à Nîmes, mais a passé la plus grande partie de sa carrière au fin fond de la vallée de l’Auzonnet au Martinet. C’est le plus petit collège du Gard. Il n’y a qu’une seule classe par niveau. Julien est l’unique professeur d’Anglais. « Je me suis régalé pendant onze ans. J’appréciais beaucoup de construire une relation profonde avec eux ». Au Martinet, pas de problème de discipline, mais dans cette vallée enclavée, le challenge est d’ouvrir l’esprit des élèves. Il les emmène en Irlande et leur propose de faire des émissions radio sur la base du volontariat. « Cela permet de prendre la parole en s’amusant, de développer beaucoup de compétences sans s’en apercevoir », résume cet accro à France Inter et aux podcasts.

Yéti radio est d’abord lancée sur l’ENT, le réseau interne du collège. Puis l’enseignant crée une association et enregistre avec les élèves à la bibliothèque du village après les cours.

Yéti radio exportée en Polynésie

Il part ensuite deux ans en Polynésie avec son épouse sage-femme et ses trois enfants. Yéti radio est dans les valises. Julien Vanduynslaeger occupe un poste expérimental : il doit faire le lien entre le primaire et le collège pour faire du co-enseignement. Il prend le relais de collègues pour qu’ils puissent enseigner à deux face à une classe. Lui-même co-enseigne. Il a assuré un cours de langue étrangère pour les CM22avec un collègue. Ils leur expliquaient par exemple comment se présenter. Lui leur apprenait à répondre en Anglais tandis que son collègue faisait de même en Tahitien. La famille rentre en métropole en septembre 2020. Julien intègre le lycée Prévert.

Yéti Radio suit mais est rebaptisée radio Bangarang. Les élèves volontaires peuvent y participer entre midi et 13h15 tous les jours. Ils font aussi des plateaux avec Radio grille ouverte sur des festivals comme Itinérances ou la Meuh folle. La radio qui a un statut associatif émet sur le net 24h sur 24. Conseils de lecture, sciences, politique… Une dizaine d’émissions d’une durée de 5 à 30 minutes, sont enregistrées en direct entre midi et deux. Elles sont ensuite rediffusées dans la semaine. Il y a de grandes plages musicales entre les deux. Julien Vanduynslaeger s’éclate. « J’adore le relationnel avec les jeunes. L’enseignement et la transmission sont importants. Mais j’apprends autant d’eux qu’ils apprennent de moi. C’est du partage ».

Clémentine Pagès, lycée Mistral, Nîmes

« Je sais pourquoi je me lève le matin : c’est pour voir mes élèves et tenter d’essayer de leur apporter une oreille, une écoute, une compétence, un questionnement, confie Clémentine Pagès. On est là pour les faire grandir, les élever au sens propre du terme ». • Sabrina Ranvier

Mi-juin, Clémentine a croisé Nadia* dans les rues de Nîmes. Elle l’a eue en classe il y a onze ans. C’était une de ses premières élèves. Après une première vie de médiatrice culturelle et quelques cours donnés dans l’institut privé Pigier, Clémentine postule pour être professeur de Français-histoire-géographie en lycée professionnel. Cette diplômée en histoire et histoire de l’art se retrouve en filière sanitaire et social à Milhaud.

« C’était compliqué en gestion de classe mais j’ai rencontré des jeunes filles extraordinaires », admet-elle. Nadia en fait partie. « Elle vivait en foyer. Elle était violente mais brillante. Si elle n’avait pas eu les parents qu’elle avait, elle aurait été scolarisée au lycée Daudet ». L’enseignante la revoit quelques années plus tard à Montpellier. « Elle allait voir le père de son petit garçon qui était incarcéré... ». Clémentine fait une pause dans son récit. Un sourire apparaît et elle lâche : « Quand je l’ai recroisée à Nîmes, elle m’a dit qu’elle avait repris une formation.» Une autre fille de cette classe avait découvert qu’elle était enceinte, à la fin de sa grossesse. Elle avait 15 ans. « Nos élèves ont souvent des vies difficiles, observe Clémentine. C’est très épanouissant quand ils s’accrochent malgré leurs difficultés, quand on les voit progresser. Mais cela prend du temps ».

Après Milhaud, Clémentine enchaîne sur le lycée Langevin à Beaucaire. « La première semaine, les élèves m’avaient lancé plein de boulettes. Je me suis retrouvée en larmes dans le bureau de la direction. Le proviseur était à l’écoute, très humain, se souvient-elle. Je suis revenue le lendemain. J’ai fini l’année. C’était très formateur ». Cette année-là, un élève est évacué car menacé par des dealers.

Mendes-France et Léonard de Vinci à Montpellier, Voltaire ou Mistral à Nîmes... Elle vogue d’un établissement à l’autre. Elle a gardé les cahiers d’Abel, décédé, sans casque, lors d’un accident de scooter. Elle se remémore ces élèves de la Paillade à Montpellier, qu’elle allait chercher dehors : « C’était l’année de Charlie Hebdo et certains se plaignaient car il y avait des recruteurs pour le djihad dans le quartier. » Elle se souvient aussi d’un élève « très en colère », qui peinait à écrire. Elle lui propose d’être sa secrétaire. C’est magique. Derrière ses difficultés de graphisme se cache un style très riche.

Enseignante en prison

En plus de ses cours en lycée pro, pendant un an, Clémentine enseigne deux heures par semaine à la maison d’arrêt de Nîmes. Elle a encore le cliquetis des serrures dans les oreilles et l’odeur âpre de la javel dans les narines. « J’ai eu une douzaine d’élèves maximum à chaque fois. Pour avoir accès aux cours, ils devaient avoir un bon comportement ». Ils ne chahutent pas mais elle préfère se recentrer sur les lycéens.

« Elle aime ses élèves, vraiment », résume un de ses collègues du lycée Mistral. « Ces élèves sont souvent en colère contre l’institution. Ils vont être difficiles en termes de gestion de classe ou de niveau, décrit l’intéressée. Il faut leur redonner confiance en eux, leur dire que le lycée professionnel est une nouvelle chance ». Clémentine a signé un CDI de contractuelle avec le rectorat. Cette année, à 42 ans, elle a tenté le concours interne de conseiller principal d’éducation. Elle va le repasser : « C’est une suite logique de mon métier. Ce que j’aime ce sont les élèves, les familles, le travail en équipe ».

Marion Bonnecaze, collège Vallès, Nîmes

Marion Bonnecaze, professeur d'histoire géographie-EMC au collège Ada Lovelace à Nîmes • Sabrina Ranvier

La plupart des anciens de l’école normale supérieure choisissent de professer en lycée, en classe préparatoire ou se tournent vers la recherche et l’enseignement supérieur. Marion Bonnecaze enseigne depuis 21 ans en collège d’éducation prioritaire au mas de Mingue. Par choix, par conviction. « Ce sont des élèves complexes et attachants. C’est aussi un défi intellectuel car il faut garder un équilibre entre les exigences et l’adaptation aux élèves en difficulté ».

Concours très exigeant

Première bachelière de sa famille, Marion a toujours rêvé d’enseigner. Après des classes préparatoires littéraires, celle qui a grandi à Monoblet décroche le très exigeant concours de l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud. Son objectif : devenir professeur en collège. « Ce n’était pas forcément bien vu à l’ENS », admet-elle. Elle choisit d’enseigner l’histoire et la géographie.

Pour son stage, on l’affecte dans un collège d’éducation prioritaire de Besançon. Une révélation. Elle y vit aussi une scène cocasse : « Un jour, j’ai dit à un élève qui était pénible au moment de se mettre en rang : « Tu te tais et tu obtempères » ». Incompréhension totale. L’élève rétorque furieux : « Vous n’avez pas le droit de traiter mon père ! »

Quart-monde rural

Après un passage à la Seyne-sur-Mer, retour dans le Gard. Pendant trois ans, elle se partage entre deux collèges d’éducation prioritaire : Daudet à Alès et Le Castellas à Bessèges. Dans cette ancienne vallée minière, elle est confrontée au « quart-monde rural ». Elle emmène ses élèves voir un opéra au Cratère à Alès. Ils jouent le jeu. « J’ai le souvenir de ces élèves qui n’étaient pas habillés comme d’habitude », se souvient-elle, émue.

En 2002, elle rejoint le collège Vallès au Mas de Mingue. Quelques années plus tard, elle devient, en parallèle, professeur formateur académique. Elle conseille les stagiaires et leurs tuteurs dans les établissements gardois et héraultais. Elle donne aussi des cours pour les étudiants en master à l’Inspé* de Montpellier. Vallès est reconstruit et rebaptisé Ada-Lovelace en 2019. Marion y installe ses affiches sur la démocratie et un calendrier avec 15 enveloppes à ouvrir sur la laïcité. Mais surtout, elle a placé au-dessus de son bureau la photo de Samuel Paty, enseignant d’histoire assassiné en 2020. « La mort de Samuel Paty reste un traumatisme. Il y a un avant et un après. On n’est pas le même enseignant, note-t-elle. Je suis fière d’être prof mais je suis moins enthousiaste et béate qu’en début de carrière ».

L’an dernier, Marion Bonnecaze a rejoint le groupe « valeurs de la république et laïcité » de l’académie. Elle intervient dans les établissements. Le ministère a demandé que tous les personnels qui y travaillent soient formées à la laïcité durant minimum 9h. En 2018, Marion avait obtenu la protection fonctionnelle juridique du rectorat. Elle avait été menacée devant chez elle et dans le quartier qu’elle traversait à vélo. « C’était beaucoup d’insultes, évoque-t-elle. Après sa journée de cours, on va recevoir des quolibets pour ce que l’on représente. Par rapport au fait d’être une professeur femme en robe sur son vélo, par rapport à une note, par rapport au fait d’être une professeure d’histoire et d’EMC qui aborde le conflit au Moyen-Orient, l’affaire Dreyfus… »

En classe, elle n’évite pas les sujets sensibles mais prépare ses cours après une réflexion avec ses collègues et en dialoguant avec ses élèves. à la rentrée, les quatrièmes auront tous les 15 jours une heure d’enseignement moral et civique (EMC) avec deux enseignants dans la classe. Pour Marion, l’EMC est primordial : « Un de mes anciens élèves est revenu exprès me voir au collège pour me montrer sa carte d’électeur. C’est la chose la plus émouvante qui me soit arrivée. »

Sabrina Ranvier

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