Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 15.06.2022 - pierre-havez - 9 min  - vu 4102 fois

ASSISES Meurtre du petit Ethan, 3 ans : suivez la première journée du procès en direct

Dans la salle des pas perdus de la cour d'Assises du Gard

La cour d'assises - tribunal de Nîmes. Photo Tony Duret / Objectif Gard

Martin Barison entre dans la salle d’audience de la cour d’assises du Gard en compagnie de son interprète, ce mercredi 15 juin. Il s’assied dans le box des détenus, vêtu d’un t-shirt noir, d'un jogging foncé, cheveux châtain clair bouclés et mains croisées sur ses genoux. Le légionnaire italien de 30 ans sera jugé pendant trois jours pour le meurtre du petit Ethan, un soir de novembre 2019 dans un petit appartement de la rue des Lombards, dans l’Écusson nîmois, alors que sa maman était sortie en discothèque. Ce n'est que le lendemain vers midi, que la mère s’était rendu compte du décès de son fils de 3 ans, dont le corps sera marqué de nombreuses traces de coups. Dès qu'on lui donne la parole, ce matin, Martin avoue qu'il a tué Ethan "à coup de pieds et de poings pendant une heure".

17H30 : Le docteur Mounir Benslima entre en piste et cite un rapport d'autopsie très lourd. Il détaille longuement la liste d'ecchymoses et hématomes disséminés sur tout le corps de l'enfant, du crâne jusqu'à l'abdomen, et notamment sur les mains et avant-bras, signe de défense. Il conclut que le décès de l'enfant est dû aux lésions engendrées par des coups portés par un tiers. Il précise également qu'au vu des endroits des coups, thorax et abdomen, il s'agit beaucoup plus de coups de pieds que de coups de poings. L'audience est suspendue, elle reprend demain avec l'audition du professeur Marie Dominique Piercecci Marti.

16h30 : La maman, Sirad Farrah, s’approche de la barre et explique qu’elle n’est pas la meilleure mère qui soit mais qu’elle n’a jamais été agressive avec ses enfants et que "c’est le plus important". Le président fait état de ses trois enfants de trois pères différents, tous légionnaires. "Que des militaires, j’ai pas de chance", lance t-elle. ''Ils ne descendent pas en parachute chez vous non plus", réplique le président. Il ajoute : "Vous n’avez pas joué votre rôle de mère lorsque vous sortiez au lieu de vous occuper d’eux, mais l’on ne peut rien vous reprocher pénalement." Elle acquiesce, mais rétorque : "Je n’ai rien vu venir, s’il est jaloux, alors qu’il parte. Je ne l’ai en rien forcé. Tout ce qu’on dit sur moi. Que je suis fêtarde, alcoolique, toxicomane, c'est dégueulasse. S'en prendre à un bébé sans défense au lieu de simplement partir, c'est ça qu'il a fait", conclut-elle.

Accusée à tort elle fait de la prison

Placée en garde à vue, elle croyait que son fils était malade. Elle exprime une situation idyllique avec son conjoint. Elle n'a pas compris que son enfant était décédé, et qu'il avait pu mourir sous ses coups. Elle était moitié dans le déni, moitié dans l’inconscience. Martin son compagnon la charge alors elle se retrouve en détention provisoire. Elle sera libérée après un an de prison, enfin blanchie du meurtre de son enfant.

Suite à un accident de voiture, elle a vécu des moments de vie difficiles dans un fauteuil roulant. Elle avoue que dès qu'elle a pu marcher, elle en a profité pour faire la fête, souvent. La veille et la soirée du meurtre, elle décide de sortir malgré tout en laissant son enfant avec quelqu'un qui menace de par textos de lui faire du mal depuis deux jours. "On ne sent pas trop de culpabilité chez vous de l'avoir laissé avec vos enfants", interroge le procureur général.

Rudement malmenée, elle se défend. "Je savais qu'il était jaloux mais pas au point de tuer mon enfant !", explique t-elle. Elle a décidé aujourd'hui de reprendre sa vie en mains pour ses enfants. « Aujourd'hui je suis en train de passer le code, afin de passer le permis et de trouver du travail dans la branche Pôle Emploi santé. ». La lecture du Président du témoignage de son ex compagnon Artürs Teplovs, confirme qu'elle n'a jamais même levé la main sur ses enfants.

15h15 : Dans un silence pesant, le président montre des images du petit Ethan, mort, nu, allongé à côté de son lit à barreaux blanc  . Il a un visage d'ange qui semble endormi.

15h00 : C'est l'heure du témoignage du médecin urgentiste Adrien Chetioui, qui est intervenu sur place lors de la découverte de l'enfant. "J'ai constaté que le thermostat dans la chambre des enfants était au maximum. Il faisait au moins 30° ce n'était pas normal. L'accusé a juste demandé ce qui s’était passé, il n’a pas montré de soutien envers sa compagne. Il ne s’occupait pas de l’autre enfant de deux ans qui regardait  la télé", a raconté l'urgentiste. Son récit est confirmé par le témoignage lu par Monsieur le président de Madame Mercier, 55 ans, ambulancière, qui l'a accompagné ce jour là. Tous deux se sont étonnés qu'un enfant soit encore au lit à midi et tous deux se sont dit que cette température élevée dans la chambre avait été installée pour éviter le refroidissement du corps du petit Ethan. Et donc en filigrane, brouiller les pistes concernant l'heure de sa mort.

14h00 : L'audience reprend avec l'audition de Christine Desroses Hansen, enseignante directrice à l'école d'Ethan. C'est une femme complètement bouleversée par l'affaire qui se présente au micro. Elle arrive à peine à susurrer quelques phrases tellement cette histoire l'a touchée. D'ailleurs elle explique que suite à cette affaire, elle est tombée en dépression. "C'était un garçon obéissant, ouvert, vivant, qui participait. Il s’amusait beaucoup aux petites voitures. Il avait les yeux ouverts sur ce qui allait être son avenir. Autonome, j'ai vu que ce n'était pas un enfant qui allait poser des problèmes. Je reprochais seulement son absentéisme. D'après sa maman, il était très souvent malade. Elle communiquait volontiers mais je la soupçonnais de me mentir concernant les absences. Elle paraissait débordée, elle n'était pas réactive en ce qui concerne du matériel demandé pour l’école par exemple mais ce n'était pas non plus exceptionnel dans cette école", explique-t-elle. Selon Christine Desroses Hansen, le vendredi précédent le drame, Ethan était grognon. À la récréation il a pleuré en demandant sa maman. Elle raconte fébrilement qu'elle l’a pris sur ses genoux et qu'elle en a parlé à la maman ensuite. C'est la dernière fois qu'elle l'a vu. Elle explique qu'une maman est venue l’informer du drame la semaine suivante et que cela l’a anéantie. Elle a ensuite sombré dans la dépression à cause de cette histoire.

11h20 : Un second enquêteur de la brigade de protection des familles de Nîmes s’avance à son tour. Il revient sur le parcours de Martin Barison, à la légion étrangère depuis environ deux ans, en couple avec Sirad Farrah depuis quelques mois. « Depuis qu’il la fréquente, il sort moins avec ses collègues de la Légion, plus d’alcool. Il semble s’être recentré sur son couple. Mais auparavant, il a été condamné pour des dégradations et une rébellion à la suite d’une conduite en état d’ivresse, en Italie », indique le policier.

« Ça a duré bien 40 minutes, cela cessait avant de recommencer… »

L’enquêteur décrit ensuite les cris entendus par la voisine du dessus de Sirad Farrah, la nuit de la mort d’Ethan. « C’étaient des cris insistants qui m’ont interpellée au point que j’ai ouvert ma porte pour écouter. Ça a duré bien 40 minutes. À des moments cela cessait avant de recommencer… », précise la voisine aux enquêteurs. Le président précise le contexte du drame. « Il y a une tension dans le couple car deux jours plus tôt ils étaient au bord de la séparation. Une amie, qui les avait hébergés, avait constaté un soir des tuméfactions sur le visage du petit frère d’Ethan, alors que les enfants étaient restés seuls avec Martin Barison et expliqué que ce dernier était jaloux des fréquentations de sa compagne, qui connaissait beaucoup de légionnaires », rappelle Éric Emmanuelidis.

L’avocat général intervient pour questionner l'enquêteur. « Il a visé Ethan précisément dans son message de menaces de la veille. Pourquoi à votre avis ? », lui demande Willy Lubin. « L’enfant est plus grand donc il se couche un peu plus tard, commence le policier. Il est aussi plus demandeur et plus fusionnel avec sa mère. Il frappe peut-être là où ça fait mal... »

11h : La directrice d’enquête s’avance à la barre. Elle pointe notamment la température inhabituellement élevée dans la chambre des enfants le lendemain, lors de l’arrivée des enquêteurs, puis le fait que c’est Martin Barison qui porte son biberon à son petit frère, cette nuit-là, vers 4 heures du matin. Sur son téléphone, les policiers trouvent rapidement des messages de menaces du légionnaire à l’encontre de l’enfant, datant de la veille, si sa mère ne rentre pas immédiatement. Elle rappelle les explications changeantes de l’accusé. 

Sur les accusations de maltraitance de la maman, un temps évoquées par l’accusé, la directrice d’enquête est catégorique. « Oui c’est une fêtarde, un peu négligente, voire laxiste, mais aucun témoin ni rapport ne fait pas de la moindre violence de Sirad Farrah », répond la policière. « C’est vrai que rien ne montre de violences, mais ils auraient tout de même pu être placés. Il y a eu plusieurs signalements indiquant qu’elle les confiait à de jeunes Ivoiriens du quartier pour sortir toute la nuit, ou qu’elle reste injoignable pour donner son traitement à l’un de ses enfants asthmatique », rappelle Éric Emmanuelidis.

Me Pierry Fumanal aux assises du Gard, lundi 11 avril 2022 (Photo d'illustration : PH)

« Il bougeait, il respirait encore, je l’ai posé doucement… »

Interrogée par l’un des avocats du légionnaire, Pierry Fumanal, la policière revient sur son arrivée sur les lieux. « Il paraissait trop froid, serein, pas concerné. Son comportement m’a fait penser qu’il n’était pas pour rien dans ce qui s’était passé », décrit encore l’enquêtrice. Au contraire, un peu plus tôt, alors qu’elle appelle les secours, on entend la mère d’Ethan, en panique demander en même temps à son compagnon « Est-ce qu’il respire ? Il faut souffler dans sa bouche, chéri ! », puis hurler : « Je vais prendre un couteau et me tuer  ! »

Le président reprend l'interrogatoire de l'accusé. « Vous saviez que vous alliez plonger une mère dans le désarroi total. Quel était votre état d’esprit ? », tente-t-il de comprendre. « J’ai trouvé cette distance pour me protéger. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai compris que j’avais fait une connerie, je m’en voulais énormément… », assure le légionnaire  d'une voix blanche. Éric Emmanuelidis enchaîne : « Quand vous l’avez mis dans le lit, ce soir-là, il était mort ? » Le légionnaire secoue la tête. « Il bougeait, il respirait encore, mal, je l’ai posé doucement… J’y suis retourné plusieurs fois ensuite, j’ai ouvert la porte et j’ai vu que son ventre montait et descendait et que tout allait bien. »

« Fais ton choix, sinon il va souffrir »

10h : Le président rappelle les conclusions du juge d’Instruction. L’autopsie révèlera de nombreuses lésions, ecchymoses au crâne, à un œil ou à l’abdomen, ainsi que des lacérations aux bras, et une fracture d’une côte. Ces différentes blessures sont à l’origine du décès de l’enfant. « Ces marques peuvent résulter de coups de poing et de coups de pied à l’abdomen, au crâne ou aux avant-bras. L’agonie de l’enfant aurait pu durer une heure », conclut le médecin-légiste. Par ailleurs, le soir-même, une voisine entendra des cris pendant plus de 40 minutes, alors que Martin Barison était resté seul avec Ethan et son petit frère. La veille, le légionnaire avait déjà menacé sa compagne de s’en prendre à Ethan si celle-ci ne rentrait pas immédiatement de soirée. « Fais ton choix, sinon il va souffrir », lui écrivait-il par SMS. Sur son ordinateur, les enquêteurs découvriront également des recherches Internet sur l’asphyxie, et dans la chambre des enfants, le thermostat était monté au maximum, comme pour compenser le refroidissement du corps de l’enfant mort…

Aux enquêteurs, la maman d’Ethan, confie que Barison était jaloux de sa relation avec son petit garçon et que celui-ci refusait, depuis quelques jours, de s’approcher du légionnaire. Interrogé à son tour, ce dernier explique d’abord que les enfants se sont couchés sans problème, puis change de version en prétendant que leur mère « alcoolique et droguée » maltraitait ses enfants. Puis il modifie encore ses propos, disant avoir joué avec Ethan, le jetant sur le lit « un peu fort », avant de l’avoir « écrasé involontairement en trébuchant sur lui ». Ne sachant que faire, il l’avait alors couché, ne le pensant pas gravement blessé, avant de tenter de le réanimer vigoureusement, le lendemain. Une nouvelle version contredite par les conclusions médico-légales. Face à ces contradictions, il finira par admettre « une centaine » de coups « forts » mais « pour jouer » avec Ethan, mais que les marques retrouvées sur le corps de l’enfants avaient été causées par sa mère.

« La colère m’a empêché d’entendre ses cris »

Le président interroge l’accusé. « Après toutes ces versions, avez-vous oui ou non porté des coups sur cet enfant ? », demande Éric Emmanuelidis. Le légionnaire admet désormais en grande partie les faits. « Oui des coups de poing et de pied pendant environ une heure. J’étais en colère, je souffrais énormément. Je m’occupais de ses enfants comme les miens, je faisais tout pour elle. J’ai tout donné. Elle ne m’a jamais remercié. Elle m’a trompé, ridiculisé et toutes petites choses m’ont mis hors de moi ce soir-là », se justifie Martin Barison. Le président le relance. « Il a crié, il a pleuré ? Et vous avez continué ? » L’accusé ne se cache pas. « J’étais vraiment hors de moi et la colère m’a empêché d’entendre ses cris. »

9h30 : Les jurés sont tirés au sort : quatre femmes et deux hommes. La journée va débuter avec les auditions des enquêteurs et cet après-midi avec les premiers témoins. Dans ce procès, la défense de l'accusé sera assurée par Me Florence De Prato et Pierry Fumanal, tandis que Me Annélie Deschamps représentera la mère de la petite victime, Sirad Farrah. Le procureur Willy Lubin portera la voix de l'accusation et Éric Emmanuelidis présidera les débats.

Pierre Havez

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