Publié il y a 1 an - Mise à jour le 27.02.2023 - Anthony Maurin - 8 min  - vu 2264 fois

FAIT DU JOUR Enquête, secrets de guerre et élèves juifs du lycée Daudet

L'entrée du lycée Daudet (Photo Archives Anthony Maurin).

Du marbre au papier, voici l’histoire d'élèves juifs du lycée de Nîmes pendant la Seconde Guerre mondiale. Agnès Arcin nous la raconte...

La micro-histoire et le patrimoine muet se lisent d’une autre manière et proposent une approche variée de l’histoire de la Shoah. Une conférence d'Agnès Arcin était organisée à l'université de Nîmes en collaboration avec la Société d'histoire de Nîmes et du Gard.

Chaque année le lycée voit des milliers de jeunes débarquer dans son enceinte... Pourtant l'histoire des lieux et des anciennes élèves est encore méconnue (Photo : Anthony Maurin / Objectif Gard)

Agnès Arcin, professeur au lycée Alphonse-Daudet de Nîmes est agrégée d’histoire-géographie. Docteur en histoire médiévale, elle est également chargée d’enseignement à l'université de Nîmes. Mais pour l’heure, c’est l’enquêtrice qui nous parle de sa dernière recherche.

La plaque du lycée Daudet (Photo Anthony Maurin).

"Je n’aime rien de plus que de parler de ce projet ! Son volet scientifique est conduit avec une collègue du lycée Daudet. Ce que je vous présente doit beaucoup à Romuald, un étudiant en L3 à Vauban qui nous a permis de faire des avancées. Le projet est toujours en cours, les résultats présentés sont partiels mais ils suffisent pour susciter l’intérêt et l’engouement."

Agnès Arcin (Photo Anthony Maurin).

L’intérêt et l’engouement. Cela interroge. De quoi parle-t-on ? Retour en arrière… Le lycée Alphonse-Daudet est un ancien lycée de garçons. Son architecture est remarquable. Sous les passages couverts qui bordent sa cour d’honneur, sont installées des plaques commémoratives en mémoire des anciens professeurs et élèves morts au cours des deux guerres mondiales.

Cette enquête biographique, puisque c’est de cela dont il retourne, prend aujourd’hui une nouvelle ampleur. "En 1921 Paul Valéry rédige un opuscule, Eupalinos ou l’architecte (NDLR chez Gallimard), une sorte de dialogue fictif entre Phèdre et Socrate. La plaque commémorative du lycée Daudet s’est tut depuis un moment… Des centaines de personnes passent devant mais ces noms ne leur disent plus rien. C’est l’origine de notre projet. Faire enquêter les élèves sur les noms de ces individus et surtout sur 12 élèves juifs."

Agnès Arcin et Sylvain Olivier qui a pris le micro (Photo Anthony Maurin).

Le monument est familier à toutes celles et ceux qui sont passés par les murs du lycée. Familièrement étranger même car une liste de noms n’évoque plus rien si on ne la fait pas vivre au fil des générations. Il fallait donc enquêter pour restituer, d’abord les vies des douze élèves juifs inscrits sur ce monument, puis la mémoire globale de cette période au sein de l’établissement. Sur la plaque, un simple texte. "Aux professeurs, anciens élèves et élèves du lycée morts par suite de faits de guerre 1939-1945."

La totalité de la plaque... au pire moment de la journée à cause des ombres ! (Photo Anthony Maurin).

Trouvés dans les caves du lycée, derrière une étagère, des documents réputés perdus ont récemment relancé la recherche. Une livre de classes de 1937 à 1943, des registres d’entrées et de sorties d’élèves de 1934 à 1946 et des informations bien plus riches que celles connues jusqu’alors. "Nous avons mis la main sur un petit cahier, une sorte de vademecum qui liste tout ce qui est à faire. Cela permet d’avoir une idée de la gestion de l’établissement et des difficultés rencontrées pendant la guerre. Nous avons aussi des livrets qui rappellent les lauréats de fin d’année avec des photos d’un personnel qui semble tout à fait ravi d’être là." Ironique posture au vu des sourires cachés par la dureté de la vie de l’époque et la rigueur imposée au lycée.

La fameuse plaque... (Photo Anthony Maurin).

Le lycée Daudet, depuis 1924, n’a rien livré aux archives départementales. "Je me suis dit que tout était au rectorat et donc aux archives de l’Hérault. Il y avait deux cartons ! Avec cela et ce que nous avons retrouvé dans les caves nous proposons une autre histoire."

La plaque est muette mais comporte 66 noms. C’est un monument sobre, c’est une liste nominative sur trois colonnes avec à deux endroits une rupture de l’ordre alphabétique. "On a refait l’histoire pour compenser le silence de cette plaque. Je peux dire qu’il existe, le 2 mars 1945, une première liste de victimes de l’établissement. L’Inspection académique a dû la demander. On y liste 12 individus, on construit une mémoire immédiate. Il n’y a rien sur les déportés et le sort des juifs. C’est le commencement."

En détails (Photo Anthony Maurin).

Le 24 octobre 1945, la guerre est terminée et cette fois, le proviseur de l’époque invite l’Inspecteur pour une cérémonie en l’hommage d’Étienne Saintenac. Il était professeur et on propose de poser une plaque à son nom (à l’entrée salle 7 mais la plaque n’est aujourd’hui plus en place et nul ne sait où elle est). Puis, rien avant le 9 mai 1948, jour de l’inauguration officielle de la plaque actuelle qui liste les noms de nombreuses personnes décédées au cours de la guerre. Qui a commandé, qui a payé ? Comment passer de 12 noms à 66 ? De nombreuses questions encore sans réponse.

Une rupture orthographique (Photo Anthony Maurin).

"Je suis opiniâtre… J’ai tenté de faire l’archéologie de la plaque !" c’est là qu’Agnès Arcin étudie à fond la stèle. Les deux premiers noms sont détachés de la liste par un espace. "Il y a Saintenac et certainement un autre professeur du lycée, André Vidal, victime civile de la guerre mais dont on ignore les circonstances de la mort. Il y a aussi les trois derniers noms, j’ai peu d’éléments… Mon impression c’est que ces informations sont arrivées un peu plus tardivement. Charles Burckhard, Paul Clauzel et Pierre Salle." Dur d’en savoir plus.

La conférence de la Société d'Histoire de Nîmes et du Gard (Photo Anthony Maurin).

"Concernant les élèves juifs, quand on les compare, il apparaît que cette liste est représentative de l’histoire de la communauté israélite sous la IIIe République." Le lycée était alors un vecteur de méritocratie, d’ascension sociale. "Le plus représentatif de cela est Émile Bloch, fils de négociant, né d’un remariage que l’on connaît grâce à son carnet militaire. Il était chef de famille à l’âge de 17 ans, il est parti à l’armée et est entré à Polytechnique Paris en 1894, au moment de l’affaire Dreyfus. Il fait la Première Guerre mondiale, est décoré et fini sa carrière comme colonel." Avec sa femme Marguerite il s’installe dans l’Isère et c’est là qu’ils vont être dénoncés puis arrêtés le 10 mai 1944 à Drancy puis transférés à Auschwitz le 30 mai de la même année. "Vu son âge il a dû être directement assassiné."

C'était à l'Université de Nîmes que la conférence avait lieu (Photo Anthony Maurin).

En plus grand nombre, des élèves issus d’un milieu commerçant plus ou moins aisé mais bien intégré dans la ville. Rappelez-vous les magasins Bloch sur l’Esplanade ! Comme Maurice Ben Attar et son Mouton à 5 pattes rue des Halles. À partir de 1941 le préfet du Gard (Angelo Chiappe qui sera d’ailleurs pendu à la balustrade du premier étage du lycée en janvier 1945 selon le proviseur actuel ou fusillé devant les arènes, selon Wikipedia) demande aux juifs de déclarer leur patrimoine. Des documents poignants oscillants entre la loyauté à l’état et la crainte pour sa vie. "C’est hélas ce qui représente le mieux les élèves juifs du lycée de garçons."

Une autre rupture orthographique (Photo Anthony Maurin).

Et puis il y a les élèves. "Cette partie de l’enquête a posé des problèmes pour la méthode. Il a fallu travailler à l’identification des juifs et évaluer le nombre de lycéens juifs qui ne sont pas morts." Vichy a listé la religion de chacun pour en savoir plus. "On a dû considérer comme juif ce que Vichy considérait comme juif. C’est un vrai problème pour nos recherches."

L'entrée du lycée Daudet (Photo Archives Anthony Maurin).

En juin 1941, le fichier était encore incomplet. Il ne concerne qu’une année soit bien moins que la guerre elle-même. "J’avance des chiffres hypothétiques mais ceux-là seront formellement identifiés. Avant la guerre, il y a 950 élèves dont 15 juifs, on reviendra à ces chiffres après la guerre. Après l’exode, l’effectif passe à 1 240 élèves dont 45 juifs. En zone Sud les familles arrivent vite. Les pensionnaires sont plus nombreux dès 1939." Un peu plus d’élèves de manière générale mais trois fois plus de juifs.

Avec cette augmentation d’élèves juifs pendant la guerre au lycée de garçons de Nîmes, l’idée de retracer des vies a surgi. "Parmi ces élèves, il y a ceux qui sont morts. Certains ne sont pas arrêtés à Nîmes et ont pris la fuite comme Maurice Ben Attar en Savoie. J-C Bloch a fini ses études et est allé à Saint-Étienne, Émile Bloch est à la Tour du Pin, Robert Bloch en Ardèche, Jean Spiegel à Annemasse. Deux sont arrêtés à Nîmes en 1943, ce sont les Vigderhaus père et fils, mais pour d’autres ces informations sont inconnues."

Agnès Arcin et Sylvain Olivier (Photo Anthony Maurin).

Les frères Vigderhaus sont nés à Paris en 1930 et 1933 dans une famille commerçante, immigrée d’Odessa (Ukraine). Ils quittent la capitale en 1940 puis la famille se sépare, une partie va à Nîmes et l’autre dans l’Ariège. On arrive à les suivre de 1940 à avril 1943 quand ils sont raflés à leur domicile. Ils sont envoyés à Marseille où meurt la diabétique de grand-mère. Puis dirigé sur Drancy, Paul, un jeune garçon gravement malade, est hospitalisé et revient à Nîmes. Son oncle Michel l’adopte et lui fait perdre son nom initial. "À l’âge de la retraite il a fait des recherches et a déposé un dossier au mémorial de la Shoa. Il a dit qu’il était venu à Daudet plus tard pour se renseigner et qu’on lui avait dit qu’il n’y avait aucune information. Heureusement, nous lui avons donné toutes nos recherches et il en sait plus aujourd’hui !"

(Photo Anthony Maurin).

Pour évoquer la vie quotidienne du lycée, des lettres entre proviseur et recteur en disent plus sur la tension du moment. Notons un cas particulier. Ayant fraîchement inscrit son fils au lycée, un rabbin écrit au proviseur du lycée pour que son petit puisse faire sabbat le samedi et donc manquer l’école. Le proviseur, certainement pour se couvrir, rend compte de cette requête au recteur qui tolère la chose mais qui ne veut pas que cela se produise chaque semaine. Après une deuxième lettre plus insistante de la part rabbin qui aurait aimé une réponse plus tranchée, l’Inspection académique refuse la demande.

Et puis il y a les autres, les parcours individuels de sauvetage de la quarantaine d’élèves qui ne sont pas sur la plaque… On donne des gages mais aussi et surtout des informations partielles à l’État. "On peut retracer quelques éléments de vie de certains d’entre eux. Les stratégies familiales sont diverses. Certaines s’éclatent en très petites unités et tentent de passer inaperçues, d’autres, au contraire, se regroupent en famille entière et se serrent les coudes."

La Préfecture du Gard (Photo Archives Anthony Maurin)

Pour Marlise Lipovsky, jeune élève du lycée (même si c’est une fille), qui ne devait avoir que six ans, ne pouvait pas être seule dans l’enceinte de Daudet ! Elle avait une sœur qui n’est pas dans le fichier juif, une certaine Lydia qui était cependant dans la même classe que le fils du préfet de l’époque… Un horrible préfet, aux ordres de Vichy, l’un des plus collaborateurs de France.

Une autre plaque du lycée... Lors du résultat du Bac il y a quelques années (Photo Archives Anthony Maurin)

Daniel Dreyfus est arrivé au lycée en avril 1941 à l’âge de six ans. En 1943 il semble ne plus être inscrit dans les listes de l’établissement. Agnès Arcin tombe sur de nouveaux éléments et suit la piste. La famille habitait la même adresse qu’une autre famille, les David, rue Rabaut Saint-Étienne. Lui aussi était dans la classe de Lydia Lipovsky. "Je suis tombée sur deux photos prises dans un ouvrage de la maison d’édition Alcide ! On y voit Daniel Dreyfus et sa mère Hélène, née Bloch. On y voit même la grand-mère de Daniel, Rose Bloch, qui habitait aussi la rue Rabaut Saint-Étienne. Sur une autre photo on voit le grand-père, Fernand Bloch, et l’oncle du petit Daniel, Jacques Bloch !"

La trouvaille grâce à Alcide (Photo Anthony Maurin).

Henri et Rosette Fribourg sont également dans la même classe que les précédents. Dans le fichier juif on ne retrouve que leurs grands-parents. Pensaient-ils protéger les jeunes ? Les grands-parents, partis dans la Creuse (Bugeat) ont été raflés puis assassiné à Auschwitz. On n’en sait pas plus mais l’exode ne cesse jamais telle une fuite en avant. "Cette enquête m’a permis de prendre conscience de l’intérêt de l’échelle micro pour suivre les individus afin de donner un autre regard sur cet épisode de l’histoire. Aujourd’hui je ne sais toujours pas qui a commandé la plaque pour le lycée !", conclut Agnès Arcin.

Anthony Maurin

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