FAIT DU JOUR Jean-Claude Béguerie, pilier du Rugby club nîmois
Pour lui, le rugby, c’est plus qu’un sport, c’est une histoire de solidarité. À 18 ans, alors qu’il se retrouve sans logement et sans travail, un rugbyman de Bègles lui tend la main. Joueur, éducateur, directeur administratif, président de la partie professionnelle… Jean-Claude Béguerie a occupé tous les postes au RCN. Il y est toujours bénévole. À 83 ans, il tient absolument à continuer à apprendre aux petits à faire de belles passes, à plaquer sans se blesser et savourer la joie de marquer un essai.
Il a 83 ans et il trépigne. Une blessure au pied le tient éloigné des terrains. Mais, dès que Jean-Claude Béguerie ne sera plus obligé de porter ce large bandage, il filera à l’entraînement. Ce 19 septembre, même s’il est au repos forcé dans sa maison de Caissargues, il porte toujours la veste noire siglée RCN, Rugby club nîmois. « Je suis prévu toute l’année pour m’occuper des moins de 8 ans et j’espère même faire l’année prochaine », annonce celui qui est l’entraîneur le plus expérimenté du Rugby club nîmois. Éducateur depuis 1962, il fait partie des fondateurs de l’école de rugby du RCN en 1969.
Calme et qualité du geste
Ce natif du Lot-et-Garonne a vu passer des centaines d’enfants mais est capable de décrire un essai groupé pénétrant marqué en 1977 à Preston. Il peut mimer la combinaison qui a permis à des minimes gardois de battre le stade toulousain. Mais c’est surtout les éclats de rire de ces rugbymen amateurs qu’il raconte le mieux. Il rit en évoquant la joie de ces petits qui ont perdu le match mais crient « j’ai gagné » car ils ont réussi à marquer un essai.
« Il a été le premier entraîneur de Nîmes qui a mené une équipe U14 au titre de champion de Provence en 1973-1974, se souvient Alain Gozioso, éducateur des U16 au RCN. Jean-Claude fait partie de ceux qui m’ont donné envie d’être éducateur ». Il l’a entrainé quatre ans alors qu’il était adolescent. « Il y a des entraîneurs plus ou moins agressifs. Jean-Claude est très calme. Il s’attache à la qualité du geste, à la technique pas à l’agressivité défensive », décrit-il.
Légende du RCN
« Je ne sais pas si les petits dont il s’occupe se rendent compte de qu'il est, observe Benoît Roig, président de l’université de Nîmes et capitaine du RCN de 1999 à 2001. Jean-Claude a tout connu au RCN. C’est une des légendes du rugby nîmois ». Muté à Nîmes en 1969, cet ancien militaire a occupé tous les postes au club : joueur un peu, éducateur beaucoup, trésorier, directeur administratif, président du SAOS, c’est-à-dire de la partie professionnelle du club…
« C’était notre gardien, notre papa, se souvient l’universitaire. Il s’occupait de tout à l’entraînement. Il manquait un short, il en trouvait un. Il y avait un souci à l’hôtel, il le réglait… Il se pliait en quatre pour mettre les joueurs dans de bonnes conditions. C’est hallucinant comme il donnait ». Jean-Claude est présent lors d’un match à Périgueux où Benoît Roig se retrouve K.O. À l’époque, pas de protocole commotion. « Benoît voulait absolument retourner chez ses parents à Narbonne », se remémore Jean-Claude. Il ne réfléchit pas et fonce : « J’avais une BMW assez rapide. Il ne vaut mieux pas dévoiler les temps que j’ai faits mais ses parents étaient très heureux de le retrouver. »
Chaîne de solidarité
Le rugby pour Jean-Claude Béguerie, c’est une histoire de coups de main. À 12 ans, son père meurt. Sa mère qui a trois enfants à charge ne travaille pas. « On était en galère sérieusement, se remémore-t-il. J’ai été sauvé par un rugbyman ». Ce joueur de rugby à XIII est instituteur. Il le fait beaucoup travailler et l’envoie à Oloron-Sainte-Marie suivre une formation novatrice en électronique. Un demi de mêlée de l’équipe d’Agen l’héberge le week-end. À 18 ans, Jean-Claude Béguerie erre à Bordeaux, sans le sou, en quête d’un travail : « J’étais sous les ponts. » Il traîne et se rend à l’entraînement de Bègles. Un joueur le repère. 65 ans plus tard, les yeux bruns de Jean-Claude s’embuent encore à ce souvenir : « Il m’a demandé « Petit, tu vas dormir là, dans les vestiaires ? », puis il m’a dit : « Non, tu vas dormir chez moi » ». Il l’héberge quatre jours, l’aide à trouver du travail chez Philips et une location. Le salaire est maigre. Son patron le charge d’installer les téléviseurs. « Les programmes démarraient à 20h. J’y allais juste avant. C’était le début des téléviseurs. C’était une grande joie quand les gens le découvraient. Ils me faisaient ensuite à manger, rit-il. J’ai survécu comme cela ».
Carrière militaire
Il entre ensuite dans l’armée où ses compétences en électronique sont recherchées. Il se forme à Montargis, Pontoise, El Paso aux États-Unis. En 1962-1963, en France, il valide les titres d’éducateur de rugby deuxième, puis troisième degré avant de rejoindre un régiment à Landau. « Je jouais dans une équipe de rugby. Notre entraîneur s’est fait virer de l’armée car il avait couché avec la femme d’un colonel », raconte-t-il. L’équipe vote pour désigner un nouvel entraîneur. « J’ai eu 32 voix sur 33. Le seul qui n’avait pas voté pour moi, c’est moi », s’amuse-t-il.
Le régiment est rapatrié à Chaumont. Là-bas, personne ne joue au rugby. Jean-Claude et son épouse montent un club en 1966. Il en est le président, l’entraîneur. En 1969, Jean-Claude Béguerie est muté à Nîmes. À 30 ans, il toque à la porte du RCN. « Le président Kaufmann qui était Hongrois m’a dit « vous n’allez pas jouer mais je ne comprends rien aux papiers, vous allez m’aider » », dit-il en refaisant une grosse voix avec un accent slave. Jean-Claude et son épouse s’investissent pleinement.
Pour être sûr qu’il ne soit pas contraint au départ à cause d’une mutation militaire, des amis l’aident à acheter une imprimerie. Il y fait travailler des rugbymen et crée ensuite la société Promo sports loisirs.
Les enfants et petits-enfants de Jean-Claude vivent loin du rugby. Sa fille est cadre dans une banque, son fils vit dans le parc national des Cévennes et ses deux petits enfants sont ingénieurs.
Jean-Claude, lui, continue à insuffler sa passion. En 2014, il rencontre un petit Noé. Il débute chez les moins de 6 ans et se casse la clavicule le premier mois. Six mois d’arrêt. Jean-Claude va le voir à l’hôpital, reste en contact. Il n’avait pas détecté un potentiel particulier, mais ne voulait pas que ce petit reste sur une mauvaise impression du rugby. Mission réussie. Il l’entraîne trois ans. « C’est lui qui m’avait motivé à ne pas arrêter, assure Noé Della Schiava. Il était toujours hyper souriant, très calme et très patient avec nous. C’était l’environnement parfait pour s’amuser et travailler ». Noé a aujourd'hui 21 ans. Jean-Claude continue à l’encourager. Il joue désormais à la Rochelle, en top 14.