FAIT DU JOUR L'archéologie fait le point sur l'état de ses connaissances
Jeudi dernier, au musée de la Romanité, l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) organsiait sa première journée d'étude à Nîmes. Le temps pour les chercheurs et archéologues de raconter l'état actuel des connaissances.
L’archéologie préventive apporte aujourd’hui des données scientifiques et des preuves tangibles aux professionnels du patrimoine, confrontés à des chantiers de restauration voire à des reconstructions partielles de monuments historiques.
Qu’en est-il aujourd’hui dans une ville comme Nîmes, dont l’héritage monumental est tout à la fois une chance et une contrainte qui pèse sur les services de l’État, les élus, les aménageurs, les architectes, les professionnels de la culture et de l’urbanisme ? Comment les recherches archéologiques récentes ont-elles permis d’orienter les partis pris de restauration ou de confortement des monuments urbains antiques et médiévaux en élévation ? Pourquoi cette phase d’expertise et de documentation scientifique est-elle nécessaire avant toute intervention ?
Pour Jean-Yves Breuil, directeur-adjoint scientifique et technique de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) Méditerranée - Gard, Lozère et Hérault : « Cette journée à l’initiative de Dominique Garcia est une rencontre entre public, professionnels et curieux car la valorisation est importante ! On veut proposer un regard croisé. Il est pertinent que cette journée se fasse ici car les monuments sont vivants et sont menacés. Il faut continuer à les documenter, à les lire, à les étudier. »
L’accueil de cet évènement au musée de la Romanité était indispensable, tant le musée est la plus belle vitrine de l’actualité́ de la recherche archéologique menée dans la commune, à proximité immédiate de l’amphithéâtre romain, comme une illustration du thème de cette journée d’étude.
De l’aveu même du président de l'Inrap, Dominique Garcia : « La tradition archéologique à Nîmes date de plusieurs décennies voire plusieurs siècles, on a toujours reconstruit la ville sur la ville et on a toujours fait de l’archéologie. L’Inrap, depuis 20 ans après les fouilles de sauvetage des années 1970-80, essaie de restituer l’histoire de Nîmes au fur et à mesure qu’elle se reconstruit. C’est une prouesse car on voit une ville qui s’est modernisée mais dont la connaissance a progressé parce qu’en fin de compte, pour les archéologues, c’est une opportunité d’aller voir ce qu’il y a sous vestiges actuels, sous les maisons actuelles. À Nîmes, on trace un cercle vertueux car avec la modernité on connaît le passé de la ville. En plus la ville est couronnée par ce label Unesco autour de la Maison carrée qui montre qu’une ville peut se moderniser et valoriser son patrimoine pour en faire un élément essentiel pour rassembler les populations. »
Archéologues et professionnels du patrimoine proposent d’échanger sur leurs contributions respectives, leurs pratiques et savoir-faire complémentaires : respecter l’histoire, préserver les modes constructifs des monuments, transmettre et valoriser la connaissance.
Morceaux choisis...
L’amphithéâtre : une œuvre architecturale à l’épreuve du temps par Caroline Lefebvre, archéologue du bâti à l’Inrap et Louis Nicolas, architecte pour l’agence Goutal, au sujet de l’amphithéâtre.
"Aujourd’hui, 29 travées ont été restaurées. Sa construction a dû durer 20 ans. Elle a commencé par les piliers puis s’est poursuivie par la cavea et enfin s’est achevée par la couronne extérieure. Nous observons des ruptures de chantier vers la travée 45, puis entre les travées 60 et 2 marquant la fin du chantier et le raccordement des deux chantiers qui arrivaient de part et d’autre. La travée 60, celle du protomé des taureaux évolue avec les études. Au rez-de-chaussée avec les piliers on voit des plateformes qui devaient en leur temps accueillir des statues entres les travées 58 et 2. Au premier niveau de la travée 60 il devait y avoir un espace interdit ou à l’accès limité. Le tympan du fronton était orné de décors métalliques qui nous sont inconnus. Des divinités, des héros des jeux, des édiles ? Plusieurs autres gravures sont observables sur les phases postérieures de l’attique ainsi que sur les gradins. Ces gravures signalent l’emplacement des sièges pour les spectateurs. On peut aussi noter la probable présence à certains endroits de panneaux de bois fixés par des attaches métalliques qui devaient apporter d’autres informations."
"Nous avons fait des diagnostics généraux avec une approche historique, archéologique et technique des problématiques que nous rencontrions par exemple avec la pierre de Barutel ou celle de Vers, deux matériaux utilisés pour la construction de l’amphithéâtre de Nîmes. Le diagnostic des eaux est plus complexe encore. Les écoulements et le recueil de l’eau, le plan de sous-sols et des égouts romains, l’état sanitaire, la porosité des surfaces, l’arrachement des gradins, les infiltrations, le froid et le gel, le lessivage du mortier, les problèmes d’évacuation des parties basses du monument car en aval l’évacuation est coupée… Sur la travée 60 on voit que des poteaux carrés doublaient des poteaux ronds qui servaient au velum. Une cloison devait fermer une tribune et devait accueillir une statue monumentale. Avec un petit sourire et quitte à joue le jeu à fond, pourquoi ne pas y déménager la statue d’Auguste perdue au fond du trou de la quasi invisible porte éponyme ? Comme au théâtre d’Orange par exemple ! Il a alors fallu dévier les eaux du fronton pour protéger le protomé et les corniches sont quant à elle protégées par du plomb."
L’enceinte romaine : gardienne du passé, témoin du présent par Christophe Pellecuer, conservateur en chef du patrimoine, chargé du département du Gard, service régional de l’archéologie d’Occitanie et Richard Pellé, archéologue et spécialiste en architecture monumentale antique à l’Inrap.
"C’est un monument bien particulier car cet édifice est largement arasé ou invisible ! Ce monument linéaire définit cependant un territoire et pour moi c’est une expérience individuelle de 30 ans à l’étudier. Nous parvenons à accrocher des voies, des îlots, des dépotoirs et des zones d’activité mais on sait que l’enceinte s’efface rapidement après l’Antiquité. L’objet de cette recherche est donc patrimonial ! Aujourd’hui on voit en plusieurs points, les reste de l’enceinte antique. Du côté de la rue de l’abattoir, de la cité-Barbès, du boulevard Kennedy, de la tour Bertrand à Canteduc, du Cirque romain, de Montaury et des abords du cimetière protestant… En bordure du Parvis on a juste touché l’enceinte médiévale grâce à un fossé puis à une fortification de Rohan qui laisse alors d’autres traces, notamment de terrassement. Je rappelle que, même arasé, un monument aussi important doit être préservé, c’est pour cela que l’on a rebouché la tour qui est devant les arènes, sur le Parvis. Le Parvis a été marqué, on peut aujourd’hui voir le passage de l’enceinte qui file sous le musée et on la retrouve en vrai dans les jardins où on voit la tour Saint-Joseph à l’air libre mais qui a dû être stabilisée car elle se dégradait vite."
"Les nouvelles découvertes révisent le tracé ou les constructions qui vont avec. Par exemple, à force de fouiller l’enceinte je peux dire que les toits des portes n’étaient pas recouverts de tuiles. La seule poterne connue est celle de la colline de Montaury, elle mériterait d’être mise en valeur ! On a aussi des chemins, ailleurs, qui indiquent d’autres passages vers d’autres portes. Au nveau du cadereau de la route d’Alès on a aussi un bloc d’architrave qui a les mêmes caractéristiques que ceux qu’on trouve à la porte d’Auguste, on suppose qu’il vient de l’enceinte non loin de l’endroit où on l’a retrouvé. On peut aussi parler de la monumentalité de l’ouvrage. On a des tours, des portes, un chemin de ronde, une corniche intérieure, une imposte, des parapets et des linteaux d’archère. Comment dater l’enceinte ? On pensait que la construction avait débuté comme le dit la dédicace connus sur la porte d’Auguste vers 16-15 avant notre ère mais c’est plutôt la date à laquelle l’empereur autorise cette construction. Nous avons retrouvé des vases brisés sur le chantier et des monnaies avec des déchets de taille. Avec ce matériel nous pouvons mieux dater et nous en concluons que l’édification a plutôt eu lieu au tout début de notre ère."
La cathédrale Notre-Dame et Saint-Castor : un patrimoine en constante évolution avec Nicolas Bru, conservateur des monuments historiques, en charge de la cathédrale de Nîmes, de la conservation régionale des Monuments historiques et Marie Rochette, archéologue et spécialiste en architecture du bâti médiéval pour le compte de l’Inrap.
"Le clocher a été analysé en 2022, la façade cette année et le travail sur la terrasse se fera jusqu’à l’an prochain. Par chance nous avons quelques archives écrites et iconographiques, nous avons aussi les maisons qui sont proches de l’édifice comme la maison Romane qui est en face, pour nous donner quelques indices. Dans l’Antiquité, y avait-il à cet emplacement un théâtre semi-circulaire ? Peut-être ! En 394-396 Nîmes est le siège d’un concile et les chrétiens y sont déjà bien organisés car ils peuvent mettre cette réception en place. La cathédrale était-elle déjà là ou était-elle ailleurs ? En général une cathédrale est construite avec l’arrivée des premiers évêques. Sous l’Antiquité tardive et le Haut Moyen-Âge, du IVe au Xe siècle, l’église a pu être à nouveau érigée au IXe puis elle apparaît entourée d’un bourg et d’un enclos religieux au début du Xie siècle. Le 6 juin 1096, c’est la date de son « inauguration » par le pape Urbain II qui vient et qui a sans doute dû voir une cathédrale encore inachevée."
"Nous allons étudier la frise, la nettoyer et la restaurer. Elle est composée de 18 bas-reliefs mais n’est achevée probablement qu’un siècle après la venue du pape Urbain II ! Les sept bas-reliefs que l’on observe sur la gauche en faisant face au portail montrent le cycle de la Genèse. La production romane est tardive, peut-être de la fin du Xie siècle, comme le fronton qui est au-dessus. La partie méridionale de la frise est quant à elle des XVIe ou XVIIe siècle. On voit 11 bas-reliefs qui sont refaits et mal conservés mais pour chaque tableau on voit de nombreux personnages et des décors très variés. Nous avons aussi fait cinq sondages pour mieux connaître la nef romane qui mesurait plus de 35 mètres de long et qui était composée de trois vaisseaux séparés par des piliers et colonnes qui supportaient des machicoulis d’ornement et non de défense. On a dû, pour la construire, utiliser également des blocs de réemploi. La charpente originelle du clocher n’est pas celle que l’on voit aujourd’hui car elle a dû être refaite. On en saura bientôt plus car nous sommes en étude sur la question."
La Maison Carrée : un temple au cœur de la cité par Marc Célié, archéologue et spécialiste de l’antiquité à l’Inrap et Ghislain Vincent, responsable scientifique de l’Inrap.
"Le portique qui entoure et délimite le forum a été reconnu tout comme l’emplacement de la curie qui en fait d’ailleurs une des plus vastes de l’empire. Elle devait faire 21 mètres par 15m, c’était le siège des autorités municipales. Le forum romain qui nous ait partiellement parvenu devait faire 140 mètres de long sur 60 mètres de large. Il devait y avoir l’Augustéum pour l’ancien culte et le forum augustéen s’insère parfaitement entre le Sud de la cité et cet Augustéum. C’est un choix délibéré d’avoir positionné la Maison carrée ici et pas ailleurs. Nous pensons également qu’une voie reliait le temple à l’Augustéum car on note plusieurs édifices publics dont un vaste monument. La Maison Carrée a d’abord dû être dédié à Rome et Auguste puis, de manière posthume, aux princes de la jeunesse. À l’ouest non loin d’elle on peut imaginer un ancien théâtre. Au Sud, un mur-bahut de très grande distance a été observé. C’est un projet unitaire que nous voyons maintenant, la ville profite de la bienveillance et de la protection d’Auguste et d’Agrippa."
"Ce que l’on peut dire du chantier antique. Les chapiteaux font 1,5m de côté et à peine plus d’un mètre de haut et avant on pensait qu’ils avaient été taillés sur l’échafaudage. Cela n’est pas le cas, on voit des traces de tailles qui ne peuvent pas être faite avec le chapiteau alors qu’il était déjà quasi en place sur sa colonne. On pense donc que tout a été travaillé à pied d’œuvre et ajuste à la dernière minute. On imagine qu’un chapiteau engagé a été fait par un seul artisan. Les chapiteaux du pronaos sont quelque peu différents et certains, de manière visible, sont le fruit de deux tailleurs de pierre. Pour d’autres on peut même imaginer trois artisans qui travaillent dessus car nous voyons trois styles différents, notamment au Nord-Ouest. On pense que ce travail correspond à une journée de travail ou au temps d’apprentissage. Le travail d’un chapiteau complet devait représenter quelque chose comme une quarantaine d’heures et nous ne voyons pas un atelier spécifique en particulier pour cette construction."
Nous reviendrons plus en détails sur chaque conférence dans les prochains jours !
- Inrap Gard Nîmes
- Dominique Garcia Inrap
- musée de la romanité nimes
- journée d'étude Inrap Nîmes
- Marie Rochette Inrap
- Jean-Yves Breuil Inrap
- richard pellé Inrap
- Marc Célié Inrap
- Christophe Pellecuer Inrap
- Caroline Lefebvre Inrap
- Louis Nicolas Goutal
- Nicolas Bru monuments historiques
- Ghislain Vincent Inrap
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