FAIT DU JOUR L’histoire, la reconstitution et le grand spectacle
Éric Dars, co-scénariste de la prochaine édition « Germanicus et la colère barbare », qui se déroulera les 3, 4 et 5 mai prochains aux arènes de Nîmes organisé par Edeis Romanité, le délégataire de service public des trois monuments romains, évoque la montée en puissance de ce spectacle. Interview.
Objectif Gard : Pouvez-vous vous présenter ?
Éric Dars : Je suis né le 14 août 1960 à Montreuil. Je suis prof d’histoire, enseignant au lycée Saint-Vincent-de-Paul pour les élèves de Terminale, mais aussi en BTS Tourisme. J’ai enseigné pendant plus de dix ans à l’université de Nîmes, mais à 63 ans je commence aussi à avoir le dos argenté !
Et votre expérience dans les arènes ?
Je fais partie de l’équipe de quatre personnes qui a créé les Grands Jeux Romains en 2010 avec Culturespaces, l’ancien délégataire des monuments romains. J’y joue toujours le rôle de praeco, de présentateur, de narrateur, en ayant aussi participé aux conseils historiques. Maintenant, j’écris avec Michael Grenat le scénario de ces spectacles qui sont organisés par Edeis romanité.
Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette aventure ?
Avec Éric Teyssier, nous travaillions avec Brice Lopez d’Acta. On adorait la reconstitution. J’ai même fait, il y a quasi 30 ans, le gladiateur pendant six ans puis j’ai vieilli et j’ai arrêté. On avait envie de reconstituer quelque chose et lors d’une soirée un peu arrosée, on a commencé à délirer avec Michael Couzigou ! On a décidé de créer ça mais s’il y a un véritable créateur des journées romaines, c’est Michael Couzigou. Car c’est lui qui est allé défendre cette folle cause devant ses patrons parisiens.
Comment le patron a-t-il donné suite ?
Il a soutenu et joué le jeu en mettant près de 500 000 euros sur la table alors que nous allions vers l’inconnu ! Ici c’est facilement deux villas… Il faut rendre à César ce qui lui appartient et c’est Michal Couzigou et ses patrons de Culturespaces qui ont permis et défendu cela. Nous, avec Éric Teyssier et Fabien Faizan (couteau suisse qui s’occupe aussi et surtout de la musique des spectacles, NDLR), nous ne risquions pas grand-chose mais nous avons poussé !
On entend parler de reconstitution historique, mais qu’est-ce donc ?
Vaste débat ! La reconstitution, c’est l’histoire vivante. C’est un moyen parmi d’autres de transmettre le message historique, l’histoire, la connaissance historique. Ça ne remplace pas les cours, les livres ou la recherche, ça permet, par exemple, quand on parle de Richelieu de parler des Trois Mousquetaires de Dumas en commençant par amener le public dans la foulée dans la vraie histoire. La reconstitution historique donne de la chair à la connaissance scientifique, on donne envie aux gens d’aller plus loin. Tout n’est pas historique dans nos spectacles car on ne peut plus faire tout un tas de choses. Si on ne devait avoir que des gens habillés exactement comme à l’époque, on ne pourrait pas organiser ce spectacle avec ces tarifs. On essaie d’aller au plus près en tenant compte des contingences. Nous ne faisons pas de l’archéologie expérimentale !
Pourquoi avoir choisi le thème de Germanicus ?
Le thème n’avait jamais été traité et on essaie de faire en sorte de ne pas trop rejouer les mêmes spectacles. Avec Edeis nous discutons des thèmes, nous nous organisons et nous en choisissons un assez facilement. Quelques projets à venir seront sans doute d’anciens spectacles repensés que nous pourrons intercaler avec des nouveaux thèmes jamais traités. La Guerre de Troie, au tout début, peut être rejouée ! Mais on peut la rejouer de manière différente.
Que permet Germanicus ?
C’est une tranche de vie. Après Vercingétorix et Jules César, on va s’intéresser à l’opposition entre Arminius et Germanicus. Ils se détestent, ils se haïssent. Germanicus est le romain, Arminius c’est le Germain qui n’est pas encore Allemand, loin de là ! Ils ont presque la même trajectoire. Germanicus, chez les auteurs antiques romains, est l’homme idéal, réunissant toutes les qualités. Il est beau, il est intelligent, il est fin politique, il est courageux, il est stratège, il coche toutes les cases des Romains. Il est destiné à devenir empereur mais, quand Auguste meurt et alors qu’on pense qu’il va prendre l’Empire, il laisse son oncle devenir empereur, soit par modestie, soit parce qu’il ne se sent pas encore prêt et que son oncle est vieux.
Mais tonton va être jaloux quand même…
Oui. Il y a toujours un tonton jaloux ! C’est un méchant homme et Germanicus est sacrément populaire à Rome car il est aussi marié avec la petite-fille d’Auguste, c’est le max de la famille impériale car elle aussi est puissante et forte en montrant des comportements d’homme, choquant pour l’époque. Son oncle confie alors à Germanicus, avec pour idée qu’il pourrait s’y casser les dents, la gestion du problème germanique avec succès. Son oncle voyant ça il décide de l’enlever de Germanie pour l’envoyer sur un autre terrain glissant sur lequel il va encore réussir. Il va avoir une maladie bizarre et sera foudroyé par elle. Quand les Romains apprennent sa mort, ils implorent tous les dieux puis se vengent sur les temples en leur foutant le feu et en les lapidant !
Et en face de Germanicus, Arminius, un sacré gars ?
Arminius ressemble un peu à Vercingétorix, il part très jeune vers neuf ou dix ans, peut-être avant, envoyé avec son frère, que l’on surnomme Flavus, par son père à Rome. Ces deux seront élevés sur le Palatin au sein du palais impérial. Ce ne sont pas les fils de la concierge… Ils vont devenir citoyens romains et Arminius va être élevé au rang de chevalier, l’élite active romaine qui est juste en-dessous des sénateurs. C’est énorme ! Bien plus qu’un Vercingétorix qui a été quelques années au côté de César. C’est Auguste lui-même qui va d’ailleurs lui demander d’aller aider Varus qui fait un peu n’importe quoi en Germanie. L’empereur le désigne pour régler le problème germain. C’est un personnage important.
Mais qui change de camp !
Pour les Romains, il trahit. Cependant, on ne sait pas si cela était prévu de longue date dans sa tête ou si c’était juste pas opportunisme par le choc de voir souffrir sa population. Il le fait et réunit les peuplades germaniques pour foutre les Romains dehors. Il tend un piège aux Romains car il ne leur dit rien de tout cela ! Il réussit son idée, il n’est pas bête et il a compris que l’unité des peuples était la force de Rome et de son empereur. Si on dit que les Gaulois sont bordéliques… que dire des Germains ! Les Français seront unifiés bien avant les Germains qui n’y parviennent qu’en 1870.
Revenons aux Barbares ! La guerre est alors totale.
Oui ! Germanicus va le gérer cela très violemment. C’est pour cela que nous avons voulu parler de cette histoire véritablement brutale. C’est la colère barbare mais attention, on ne parle pas des Barbares en colère, mais de la colère romaine qui va s’abattre sur les Barbares. Germanicus poursuit Arminius qu’il ne parvient pas à rattraper mais qui va connaître deux lourds défaites. Arminius a essayé d’unifier les peuplades germaniques avec pour ennemi commun Rome car c’est alors le seul moyen. Passée Teutobourg et leur première grande victoire, Germanicus ne parvient pas à mieux et ses soldats vont l’empoisonner.
Germanicus et Arminius, deux empoisonnés ?
L’un l’aurait été par son oncle et l’autre par ses propres hommes. Ils ont tous les deux la même trajectoire, la même destinée. Un voulait ou pouvait devenir empereur des Romains et l’autre « empereur allemand » mais ils ne le seront jamais. Les deux ne se parlent pas. On racontera tout ça en plus de l’histoire d’amour d’Arminius et Thusnelda, ce sera la première histoire d’amour dans ce spectacle.
Des acteurs pour plonger le spectateur dans une vraie immersion ?
Oui, on essaie de donner un peu plus de corps aux personnages en racontant l’histoire. Nous avons dû sélectionner des acteurs pour qu’ils soient crédibles. On connaît cette histoire car Thusnelda, contre sa tradition et son père, choisit d’épouser et de rejoindre Arminius, c’est une sorte de Roméo et Juliette à la germanique. La narration est profonde et a plusieurs étages. Que l’on soit petits ou adultes, on verra et comprendra des choses différentes mais il y aura toujours les grandes batailles, les chevaux, les combats, du spectacle quoi… Pour y arriver il faut de bons acteurs. Dire « Je vais te tuer » ça va, mais dire « je t’aime » sans passer pour une andouille… ça demande des acteurs !
Les troupes sont nombreuses pour participer à ces spectacles.
C’est sûr ! On a besoin de tout le monde mais surtout des passionnés par l’histoire, le spectacle et la transmission. Ces gens ont des métiers mais sont Italiens, Suisses, Français… On ne se limite qu’à ceux-là, mais on a des demandes de Polonais ou encore d’Américains, de Russes. Mais il faut quand même penser que nous ne parlons qu’en français ou en italien, il faut qu’on se comprenne tous ! Les Ministri des Arènes, c’est important, très important. C’est une association nîmoise où ils sont de plus en plus nombreux, enthousiastes et ils font plein de choses. C’est fondamental qu’ils soient là et devraient être reconnus à leur juste valeur par la municipalité.
Tout cela concerne le spectacle des arènes mais la ville est, elle aussi, en version Antique !
Les commerçants du centre-ville se costument, la guilde des forgerons de Jérôme Domingo aura un village des artisans forgerons. Il y a aussi l’Université, le Musée de la Romanité… Les acteurs économiques de la ville s’intègrent à ces journées
Quand on vous applaudit alors que vous êtes au centre de l’amphithéâtre rempli comme un œuf, ça fait quoi ?
Je préfère qu’on me hue ! On passe par différentes phases mais, avant le spectacle, je m’isole, il ne faut pas me parler quinze minutes avant le début du spectacle. Je sens une forme d’agressivité qui monte. Je suis partagé entre mordre quelqu’un qui passe à côté de moi et me barrer en courant en me demandant ce que je fous là… Le trac, je ne l’avais pas avant, mais maintenant oui car les gens s’attendent à quelque chose et je ne veux pas les décevoir. Mais quand je rentre en scène, à 140 ou 160 battements cardiaques par minute, tout de suite je ne suis plus Éric Dars mais le praeco. J’emmerde le public, je suis le gars de l’empereur et je suis en Romain. Je suis mon personnage et ça devient facile pour moi. Puis, il y a la tension nerveuse du spectacle, le texte que l’on croit avoir oublié et la capacité à réagir à n’importe quel imprévu et ça, ça me plaît ! Je me contrefous qu’on dise mon nom à la fin du spectacle par contre quand je dis une connerie qui fait réagir les gens, je suis fier de moi ! Comme l’année où l’on faisait le lâcher de Pictes et que j’en ai fait trébucher un qui courait plus vite que prévu ! Idem quand je parle des femelles au lieu des femmes. Je suis odieux, je suis un Romain qui raconte aux Romains. Quand Vercingétorix s’est rendu et que j’étais sous le boudin, le long du mur des arènes, un enfant s’est penché en me disant : « Monsieur, c’est une ruse, pas vrai ? Il ne se rend pas vraiment ? » Quand j’ai ça, c’est gagné ! Comme quand toutes les filles voulaient voir Cléopâtre.
Et après le spectacle, comment réagissez-vous ?
Je suis fatigué… Mais ça va dépendre de comment s’est passé l’ensemble du spectacle sur les trois jours. Avons-nous fait du bon boulot ? Y a-t-il eu une bonne ambiance entre nous ? C’est partagé, mais je suis content de l’avoir fait et on se dit que c’est déjà fini. Tout ça pour ça ? Trois jours ? Quelques heures ? Mais trois jours c’est bien ! Je pense aussi au prochain spectacle du mois d’août… Mais ça ça a commencé avant le mois de mai et les Journées romaines. Je ne suis pas seul dans ce cas, Camille la costumière, Aureck pour les cascades et Fabien pour la musique aussi.
Un possible futur thème ?
C'est encore en discussion avec Edeis, il faut prendre le temps de faire les bons choix. Il y en a plusieurs comme Carthage qu’on pourrait faire en trois actes en finissant par le siège de la ville par exemple, ce serait grandiose ! Mais à mon avis ça ne sera pas le thème que nous choisirons l’année prochaine, on verra. L’objectif est de donner à voir un exemplum, une histoire édifiante que l’on raconte au peuple pour lui vanter les vertus de Rome.
Revenons à Germanicus. Il faut préparer le spectacle et pour cela il faut répéter.
On a commencé à penser au spectacle en mars et le gros de l’écriture est réalisé en juillet, août ou septembre, après on affine. On fait passer le casting, puis on tourne le teaser en fin d’année avant de mettre en place les répétitions qui se font en majorité à Comps et qui débutent en mars. Merci à ces piliers que sont la Lorica Romana, la Leg X de Comps, et au maire du village qui nous permet cela. Nous organisons aussi trois jours de répétition à Modène en Italie pour les Italiens avant de répéter dans les arènes quelques jours avant le spectacle. Les gens sont de bonne volonté !
Un dernier mot ?
Avec plaisir ! On peut parler de l’entente qui existe entre les différentes troupes de reconstitution. Certains considèrent ce spectacle comme étant ludique, d’autres aiment l’histoire vivante et tout ce monde se rencontre et s’apprécie en tissant des relations européennes. Même s’ils se tapent dessus et que ça peut aller un peu loin, ça les fait souvent rigoler et ça se règle toujours. On a même arrêté de leur dire d’arrêter de rigoler quand ils se tapent sur la gueule alors qu’ils sont censés être ennemis ! Le travail d’équipe, ça nous fait marrer ! Chacun apporte sa pierre à l’édifice.