Publié il y a 5 mois - Mise à jour le 23.06.2024 - Norman Jardin - 5 min  - vu 2440 fois

FAIT DU JOUR Michel Kayser : 40 ans de passion gastronomique et étoilée à Garons

Kayser Alexandre chef garons (yp)

Michel Kayser fête les 40 ans de son restaurant à Garons

- Photo Yannick Pons

Michel Kayser, le chef doublement étoilé, fête cette année les 40 ans de son restaurant « Alexandre » à Garons. Rencontre avec un homme heureux et épanoui avec sa cuisine d’excellence.

« Je suis un grand timide, ou plutôt un réservé, et peut-être un sauvage car je ne sors pas énormément, mais j’aime mon monde et mon univers ». Tout Michel Kayser est - presque - résumé dans la description qu’il fait de lui-même. Mais le Lorrain est aussi volubile quand il s’agit d’évoquer la cuisine, sous toutes ses facettes. Pourtant les débuts du chef ne sont pas emballants. Nous sommes en 1969 et l’apprentissage n’est pas mis en valeur comme aujourd'hui. « Je n’avais pas les capacités intellectuelles de mon grand frère et il fallait que je travaille. On me disait : 'avec la cuisine tu mangeras toujours bien'. Mais en fait, c’était une voie de garage. On n’était pas fier d’être cuisinier et j’avais presque honte de croiser une fille de mon âge. Mon premier apprentissage m’a dégouté des gens de la cuisine et je ne faisais plus confiance aux adultes ».

Michel Kayser, dans son potager, peut passer des heures à parler des vertus des plantes • Photo Yannick Pons

« Ma famille faisait des quenelles de moelle, il n’y a pas un mec à trois étoiles qui sait faire ça »

Pour autant, le jeune homme ne baisse pas les bras et entre dans un autre établissement : « Ce restaurant n’avait pas d’étoile, mais le chef m’a tout appris ». C’est à ce moment que tout commence pour Michel Kayser, ou que tout se poursuit, car c’est dès l’enfance que les premières sensations culinaires sont nées. Dans le cercle familial, le gamin de Bitche (la commune de Moselle où il a vu le jour) est bien entouré, et la cuisine, c’est surtout une histoire de femmes. « Ma madeleine de Proust, c’est le chou à la crème de ma mère. C’était bon, tu pouvais en manger cinq sans être malade. Ma maman et mes deux grand-mères avaient du talent. Ma famille faisait des quenelles de moelle, il n’y a pas un mec à trois étoiles qui sait faire ça, tellement c’était bon. C'étaient des moments fabuleux de vie et d’amour chez mes grands-parents, mon oncle et mes cousins ».

Brigitte Bardot, Johnny Hallyday et Sylvie Vartan

Dans le potager d’une grand-mère, il s’éduque aux vertus des plantes. Dans la cuisine, il observe et écoute les discussions et les recettes qui s’échangent. Une carrière professionnelle est faite de rencontres, bonnes ou mauvaises, d’échecs et de réussites. Celle de Michel Kayser ne déroge pas à la règle. En 1972, le Mosellan monte à Paris, contre l’avis de son père. L’expérience tourne court et c’est un premier revers : « Je suis rentré chez moi et j’ai fermé ma gueule. Ça m’a donné une leçon », se souvient le chef. L’expérience suivante est plus souriante puisqu’elle se passe à Courchevel où se presse la crème du show-biz : « C’était génial, il y avait Brigitte Bardot, Johnny Hallyday et Sylvie Vartan ».

Monique et Michel Kayser fêtent les 40 ans de leur restaurant à Garons • Photo : Facebook Slice of Pai Photography

« J’étais heureux, on avait de la musique dans la cuisine et je chantais »

L’année suivante (1975), changement de décor avec un service militaire dans un camp semi-disciplinaire en pleine Forêt-Noire, en Allemagne. « Je n’ai pas de bol. Mais si j'ai atterri là-bas, c'est peut-être parce que je dis trop ce que je pense ». Une fois les obligations militaires remplies, Michel Kayser reprend le cours de sa vie avec une rencontre, fondamentale dans sa carrière, celle avec Paul Alexandre à Palavas-les-Flots. « J’y apprends tout ce qui est méditerranéen. La cuisine donnait sur un camping et la mer, imaginez pour un gars qui vient de l’Est (Rires). J’étais heureux, on avait de la musique dans la cuisine et je chantais ».

D'un Alexandre à l'autre, des affinités et des conflits

Entre les coquillages et les pâtisseries, Michel reprend confiance et commence à s’épanouir. Au bout de deux années, il pose ses valises chez René Bouvarel, titulaire de deux étoiles, à Saint-Hilaire-du-Rosier (Isère). « C’était un homme avec de belles valeurs humaines. J’ai adoré cette région et j’y ai rencontré ma femme ». Monique, l'Iséroise, partage depuis la vie du chef et sa grande aventure gastronomique. Elle en est un pilier essentiel. Puis les étapes s’enchaînent pour le jeune homme, avec Annemasse et un retour en Moselle après le décès de son père. Le destin, ou le hasard de la vie, remet Paul Alexandre sur le chemin de Michel Kayser. Les retrouvailles débouchent sur l'opportunité de s’installer à Garons dans l’établissement de Pierre Alexandre, le frère de Paul.

Kayser Alexandre chef garons (yp)
Le chef ne manque pas de saluer Amélia qui s’occupe du linge de table depuis de nombreuses années • Photo Yannick Pons

« Je dis à mon banquier, on arrête tout et on s’en va !  »

Si les deux hommes sont jumeaux, ils ont deux personnalités très différentes, et les rapports entre Pierre Alexandre et Michel Kayser sont conflictuels et très tendus. En janvier 1984, Michel et Monique rachètent le fonds de commerce du restaurant, mais la période est très compliquée : « en 1986, je me rends à la banque qui était située dans la galerie marchande d’Euromarché et je dis à mon banquier, on arrête tout et on s’en va ! Mais il croyait en moi et il m’a prêté l’argent pour devenir majoritaire dans l’entreprise ». Le désormais Garonnais, jeune papa d'Aude (1982) et Marine (1986), met les bouchées doubles et devient enfin seul maître à bord.

Première étoile en 1987, la seconde en 2007

À l’époque, il va tous les jours aux Halles de Nîmes ou au Marché Gare pour chercher ses produits locaux. Aujourd’hui, ils lui sont directement livrés. Les résultats ne se font pas attendre. Une première étoile en 1987 qui est suivie d’une seconde en 2007. Dans l’intervalle, un 17/20 dans le Gault et Millau (1992), l’entrée dans l'association « Grandes Tables Relais et Châteaux » (2009) et « Grandes Tables du monde » (2014) se succèdent. « Quand tu reçois des récompenses ou des étoiles, tu es en mission, tu représentes quelque chose et il ne faut pas décevoir. Ce n’est pas le monde des Bisounours. Quand tu t’es disputé avec ton sommelier ou ton maître d’hôtel, tu y repenses la nuit et tu te poses des questions » souligne le chef.

« La troisième étoile ? Il me semble que le train est passé, ce n’est pas la peine de se rendre malade »

Pour décompresser, en de rares occasions, il se réfugie dans la lecture d’un bon bouquin ou d’une bande dessinée. Alors la troisième étoile, c’est pour quand ? « Il me semble que le train est passé. Aujourd’hui on récompense plus des jeunes et c’est très bien. Ce n’est pas la peine de se rendre malade, j’adore ce que je fais. J’ai 69 ans et je prends plus de plaisir aujourd'hui que quand j’en avais 40. J’ai envie de profiter de ça et je ne vais pas me lever tous les matins en me disant : 'il me faut la troisième'. Non ! J’ai envie d’être serein ». Nous sommes tentés de dire qu'après avoir eu le privilège de goûter la cuisine du Garonnais, et en utilisant un vilain jeu de mots, les carottes ne sont pas cuites pour la troisième étoile. Mais ce sont les experts parisiens qui en décideront.

Quand le moment de la retraite arrivera, Michel goûtera à d’autres plaisirs : « Sur mes vieux jours, je m’installerai peut-être à Nîmes car j’aimerais bien aller plus souvent au théâtre et au cinéma ». En attendant, le chef fête ses 40 ans au restaurant Alexandre. Quand il regarde en arrière, il peut être fier du chemin parcouru. Le petit gars de Bitche et devenu un grand de son monde, et comme il le dit si bien : « C’est une aventure incroyable ».

Norman Jardin

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