NÎMES Stéphanie Fuster : "Je décortique le flamenco parce que je veux comprendre pourquoi il fascine autant"
Stéphanie Fuster participera pour la première fois au festival flamenco de Nîmes. À travers son spectacle "Gradiva, celle qui marche" présenté ce jeudi 18 janvier à la salle Odéon, la danseuse et chorégraphe toulousaine décortique et désacralise le flamenco pour mieux le comprendre et surtout comprendre pourquoi on l'aime tant. Interview.
ObjectifGard : Le flamenco et vous, c'est une belle et longue histoire. Comment a-t-elle a débuté ?
C'est une histoire complexe, d'amour et de haine. J'ai découvert le flamenco un petit peu par hasard, je pratiquais beaucoup de danses, mais il me manquait toujours un petit quelque chose. Un jour, je suis tombée sur le flamenco, à travers un professeur, Isabel Soler, une pionnière de la discipline en France. Elle avait un discours très engagé sur la noblesse de cet art qu'elle qualifiait de sacré. Ça a été une grande rencontre pour moi, ça a donné du sens à ma vie à cette époque (alors qu'elle venait d'être diplômée d’une maîtrise de Droit, NDLR), j'ai eu un véritable coup de foudre. La manière de bouger spécifique au flamenco m'allait comme un gant, correspondait à mon corps. Donc je me suis retrouvée très vite dans cette danse, avec beaucoup de choses à apprendre, mais beaucoup de plaisir également.
Et pourtant, le flamenco est une danse très codifiée, ce n'est pas la plus simple à appréhender, à apprendre, à comprendre parfois.
C'est vrai, mais je crois que cette difficulté m'a plu. Justement, ce que j'ai aimé, c'est que le flamenco ne peut pas s'apprendre rapidement. Je dis toujours à mes élèves (Stéphanie Fuster a créé en 2006 La Fábrica Flamenca, NDLR) qu'on ne peut pas gagner du temps en apprenant le flamenco, on peut juste éviter d'en perdre. Le facteur et la valeur du temps sont très importants dans cet art. Ce n'est pas un art qui se consomme. Et le chemin est long pour devenir artiste. Moi-même, je suis partie en Espagne pour me former, j'ai vécu en Andalousie pendant huit ans. Au bout de deux ans, j'ai commencé à travailler pour des compagnies professionnelles, en tablaos, avec aussi Israel Galvàn...
Quel était alors l'objectif de cette formation, de ces collaborations ?
Quelque chose en moi me disait que j'avais envie d'en faire quelque chose d'autre. J'ai voulu devenir profondément une danseuse de flamenco. J'étais totalement admirative de danseuses comme Manuela Carrasco, Concha Vargas etc. Je voulais devenir comme elles, mais c'est un impossible. Un impossible qui me donnait à moi, l'opportunité de pouvoir exprimer quelque chose.
Française débarquée en Espagne avec cette envie dévorante de devenir une grande danseuse flamenca. Quelle posture avez-vous adopté pour vous faire accepter au sein de ce mundillo flamenco ?
Pour dire vrai, être française n'a jamais été un problème, mais personnellement, ces années, je dois l'avouer, n'ont pas été faciles à vivre pour moi. J'ai trouvé mon équilibre quand j'ai commencé à faire des pièces qui me ressemblaient, qui avaient un lien avec ma vie. À trop vouloir devenir une danseuse de flamenco comme les autres, je n'arrivais pas à me libérer. Et j'ai vite senti que ma place n'était pas là. Là-bas, vous baignez dans le respect de la tradition etc. Ça en devenait presque un poids. Et quand je parlais avec des artistes français, Aurélien Bory par exemple, ils allaient plutôt à contresens, davantage dans la transgression, l'exploration, l'expérimentation etc. Je me suis retrouvée en ça. Pour moi, le flamenco, c'est avoir une pensée en mouvement, j'avais en tout cas besoin de l'emmener à cet endroit-là, et par la force des choses de quitter Séville, même si ça n'a pas été facile, de m'en éloigner pour pouvoir ouvrir mon monde, le confronter à la création contemporaine. Continuer à regarder le flamenco pour voir ce qu'il me dit.
Cette exploration du flamenco se poursuit encore. Dans Gradiva, celle qui marche(*), vous le décortiquez même. Quel est le but ultime pour vous, pour le public ?
Je décortique le flamenco parce que je veux comprendre pourquoi il fascine autant. Face à la fascination, j'ai tendance à mettre de la pensée, ne pas seulement me laisser embarquer par ce tourbillon sonore et émotionnel. Comme un jeu, je me suis dis : "comment ça marche le flamenco ? Les pieds, les mains font tel mouvement, pourquoi ? Pourquoi ce corps est-il si intéressant ? etc." Tout mon travail est de tenter d'enlever le fantasme et la mystification dans le flamenco pour l'aimer encore plus. Cette fascination, je l'ai mise en miroir avec le sujet du féminin qui me questionne beaucoup dans ma vie de femme et ma vie d'artiste. Quand j'ai commencé le flamenco, je croyais, et j'ai longtemps cru qu'il détenait le secret du féminin. Quand on voit les grandes artistes sur scène, on a l'impression qu'elles savent ce que c'est qu'être une femme.
Gradiva, celle qui marche, le jeudi 18 janvier à la salle de l'Odéon à Nîmes à 18h. Stéphanie Fuster animera également un stage de danse le samedi 20 janvier de 14h à 17h au studio de danse du théâtre de Nîmes. 12 € tarif plein / 8 € tarifs réduit et jeunes. Inscriptions e-m.cabasson@theatredenimes.com
*Fascinée par Gradiva, bas-relief antique représentant une femme en train de marcher, la chorégraphe s’empare de cette célèbre figure pour imaginer ce solo introspectif. Elle se raconte à travers sa vision du flamenco, « dépèce, refroidit et décompose » cet art qui la tourmente. Sur un plateau dépouillé, où seul un carré de parquet trône au centre, la danseuse questionne chaque partie du corps et décortique les mouvements. Une prestation virtuose, seule en scène, comme une véritable déclaration d’amour au flamenco.