FAIT DU JOUR Aéroport Nîmes-Garons : le rapport qui accable le syndicat mixte
Gouvernance à peine structurée, insincérité financière, absence de stratégie… La chambre régionale des comptes dresse un constat accablant de la gestion de l'aéroport par le syndicat mixte depuis 2012. Seul vrai gagnant : le délégataire (la société Edeis, ex-Lavalin) qui, d'après une formule qui a fait florès du côté de Nîmes et à l'entour, se serait « gavée grave ».
Repris en main en 2018 par Nîmes métropole, on savait que l’aéroport de Nîmes n'était pas en grande forme. Dans leur rapport définitif, qu'Objectif Gard a pu consulter, les magistrats de la chambre régionale des comptes en donnent la certitude. Un véritable crash financier...
Un avion sans pilote
Les juges ont observé à la loupe la gestion du syndicat mixte depuis 2012. Une structure présidée alors par le maire de Nîmes, Jean-Paul Fournier. Premier constat et pas des moindres : ce syndicat n’a pas « structuré sa gouvernance, ni sa gestion ». Quant au fonctionnement, il a été « entravé par une absence de moyens humains dédiés, par la faible influence et les dysfonctionnements de son conseil syndical », ainsi que, dans les derniers temps, par « des divergences avec la communauté d’agglomération de Nîmes ». Mais ce n'est pas tout...
Les magistrats relèvent également que le syndicat mixte « n’a jamais formalisé de stratégie et a subdélégué à un exploitant, l’intégralité de ses missions [...] tout en donnant la priorité au développement du trafic aérien ». Si le président du syndicat mixte a indiqué quelles étaient les orientations, les magistrats regrettent que la structure « n’ait ni élaboré ni soumis à ses membres un document d’orientation stratégique. De même, le syndicat n’a pas non plus procédé à une étude de marché ou à une analyse du trafic aéroportuaire du territoire ».
16,1 M€ de revenus indus
Le plus gros reproche de la chambre régionale concerne le contrat du délégataire. Pour les magistrats, il s’agit « d’une exécution financière au détriment du syndicat mixte ». Le constat est accablant : « Les comptes présentés font apparaître entre 2013 et 2018, des versements au syndicat mixte pour 499 000 euros alors que dans la même période, le délégataire a bénéficié de plus de 16,1 M€ de revenus indus. » Dans le détail : « 11,7 M€ de subventionnement du trafic aérien et 4,4 M€ de revenus du domaine. Ainsi le Syndicat mixte n’a reçu en moyenne, chaque année, que 3,1 % de ce qu’il versait au délégataire ».
« Ces ressources, indique le rapport, ont été prélevées pour la rémunération de la société mère de la SNC Lavalin, puis EDEIS à hauteur de 903 000 € qui s’ajoutaient aux 1 M€ d’assistance technique fournie par le siège […] Les résultats annuels nets de 2013 à 2016, jugent sévèrement les magistrats, ont été affectés à 99 % (1 M€) en dividendes distribués l’année suivante à la société mère, seul actionnaire du délégataire. Cette option préférée à celle de la constitution de réserves, n’a jamais été mentionnée dans les rapports annuels au délégant, mais elle apparaît dans les liasses fiscales. Elle revenait pourtant à priver d’autant de ressources la société chargée de l’exploitation d’un service et d’un domaine public au bénéfice d’intérêts privés. La société mère a ainsi prélevé entre 2013 et 2018, au moins 3 M€ sur le contrat local. Soit une moyenne de plus de 500 000 euros par an ».
Cette situation a été rendue possible par « un contrôle insuffisant du délégataire », selon les magistrats, pour qui « les rapports et les comptes annuels présentés par le délégataire étaient d’une qualité et d’une clarté suffisantes pour que le syndicat mixte fût en capacité de déceler ces biais ».
Le syndicat mixte aurait manqué à ses obligations de contrôle. Non sans s’étonner que le conseil syndical n’ait jamais formulé de réserves : « Les premières ont été formulés au rapport 2017 après subrogation par la communauté d’agglomération de Nîmes métropole mais celles-ci ne comportaient pas l’ensemble des observations faites par Nîmes métropole quant aux irrégularités de la DSP. »
Un manque à gagner pour le syndicat
Ainsi, la chambre observe « que les avantages consentis au délégataire ont privé le syndicat mixte des financements nécessaires pour les projets de développement industriel du site à destination des entreprises, évalués par Nîmes métropole à 15 M€ sur quatre ans. » Et de poursuivre : « En l’absence de disponibilité effective de la ressource, le syndicat mixte a surtout financé ses investissements par les subventions (1,4 M€) et la cession d’immobilisation ainsi que par la mobilisation de l’emprunt à hauteur de 3,1 M€ […] La trésorerie nette est demeurée négative à compter de 2013 en dépit d’un concours financier de Nîmes métropole, sous forme d’avance remboursable ».
Dans leurs conclusions, les magistrats insistent : « Entre 2013 et 2017, le syndicat mixte a institué et laissé perdurer au profit du délégataire un subventionnement du trafic aérien de 1,9 M€ par an, contraire tant à l’économie prévue pour une DSP qu’aux directives européennes en matière d’aide d’État aux aérodromes […] C’est aussi sans titre valide que le syndicat a autorisé le délégataire à délivrer des autorisations d’occupations du domaine public de l’État et à en percevoir le produit, renonçant à son profit et sans contrepartie à 700 000 € de recettes annuelles ».
Constat sans concession des magistrats : « Le syndicat mixte a établi un contrat de DSP le rendant structurellement débiteur de son délégataire et organisant le transfert de 500 000 € par an à la société mère. » Pire, « en lui consentant indûment 2,6 M€ chaque année au profit du développement d’un trafic aérien qui a peu augmenté, il s’est aussi interdit de financer lui-même des investissements en faveur de l’implantation d’entreprises ».
En conséquence, « et alors que l’aéroport disposait d’un tissu industriel aéronautique créateur de valeurs et doté d’un fort potentiel de développement, le syndicat mixte a privilégié un modèle économique axé sur le trafic aérien et les retombées du tourisme […] Ce modèle, dépendant du trafic à bas coût, est pourtant porteur de risques car soumis à une forte concurrence et à une évolution du modèle économique des compagnies » comme Ryanair.
La chambre recommande de se retourner contre le délégataire
Pour l’avenir, les magistrats de la chambre ont formulé quelques recommandations. En priorité, ils demandent à l’Agglomération de Nîmes « d’émettre à l’encontre du délégataire un titre de recettes par année non prescrite, correspondant à l’intégralité des recettes du domaine perçues par le délégataire ». Selon nos informations, Nîmes métropole pourrait exiger 2,5 M€ dès cette année à Edeis.
Par ailleurs, la chambre souhaite que soit « redéfinies les modalités d’exploitation de l’aérodrome, au terme d’une concertation entre l’État et les collectivités territoriales parties prenantes », encourageant la Région Occitanie à prendre toute sa place « compte tenu de son implication dans le soutien aux aéroports régionaux ».
L’avenir dira si l’aéroport, passées les municipales 2020 et le renouvellement du personnel politique, aura encore suffisamment de kérosène pour poursuivre son activité. Force toutefois est de constater que les sept dernières années n’ont pas été d’une réussite exceptionnelle. Sauf pour Edeis, ça va sans dire.
Abdel Samari
Et aussi :
- La subrogation de l’Agglo au syndicat mixte a permis d’assurer une continuité de l’exploitation de l’aérodrome. Mais la chambre recommande, « afin d’en sécuriser la gestion par Nîmes métropole à titre conservatoire et de rendre possible la dissolution du syndicat mixte, la totalité de l’actif et du passif, dont une créance de plus de 6 M€ sur Ryanair, doit être transférée du syndicat mixte à l’agglomération ».
En chiffres :
- Il apparaît que même si le trafic nîmois a progressé en proportion entre 2013 et 2017 (+10,8%), cette évolution en volume (+21 022) est restée modeste au regard de celles des deux plateformes majeures que sont Marseille (+ 741 467) et Montpellier (+426 617). Ces dernières ont capté la quasi-totalité de la progression du trafic sur cette période sur une aire littorale allant de Marseille à Perpignan et Carcassonne.
- L’impact du trafic à bas coût : Nîmes-Garons en dépendait à 99,1% en 2017. Marseille, seulement à 31% et Montpellier à 37%.