Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 17.08.2021 - abdel-samari - 4 min  - vu 25442 fois

ENTREPRISE Pass sanitaire et contrat de travail : l'avocat Hervé-Georges Bascou nous explique tout

Hervé-Georges Bascou, avocat à Nîmes, spécialiste en droit du travail et contrôle et contentieux URSSAF Photo Abdel SAMARI

Hervé-Georges Bascou, avocat à Nîmes, spécialiste en droit du travail et contrôle et contentieux URSSAF, nous explique tout sur l'instauration du pass sanitaire dans les entreprises.

Objectif Gard : Avant de rentrer dans le détail, pouvez-vous rappeler les principes du « pass sanitaire » dans les entreprises...

Hervé-Georges Bascou : Oui, il consiste en la présentation numérique (via l’application TousAntiCovid) ou papier, d’une preuve sanitaire : la vaccination, à la condition de disposer d’un schéma vaccinal complet ; le résultat négatif d’un test virologique datant de moins de 72 heures ou le résultat d’un test RT-PCR ou antigénique positif attestant du rétablissement de la Covid-19, datant d’au moins 11 jours et de moins de 6 mois. Enfin, sinon, le document attestant d’une contre-indication médicale à la vaccination peut être présenté à la place des documents précités. L’obligation de présenter un pass sanitaire pour les professionnels intervenant dans les lieux concernés s’applique à partir du 30 août 2021 sauf lorsque leur activité se déroule dans des espaces non accessibles au public (ex : bureaux), en dehors des horaires des horaires d’ouverture au public. Pour les salariés de moins de 18 ans, cette obligation s’impose à compter du 30 septembre 2021.

Que pourra faire le chef d’entreprise, en cas de refus des salariés de se faire vacciner ou de présenter un pass sanitaire ?

Avant de répondre à la question, je rappelle à titre liminaire qu’un salarié est soumis à l’obligation vaccinale ou la production du pass sanitaire uniquement pour des lieux ou activités relevant du champ défini par la Loi (par exemples activités de loisirs, activités de restauration commerciale, foires, séminaires et salons professionnelles …). La suspension du contrat de travail du salarié refusant de produire ses justificatifs ne vaut donc que pour les lieux pour lesquels ses justificatifs sont exigés. Le contrat de travail sera ainsi suspendu jusqu’à la régularisation de sa situation. Le salarié peut cependant demander à son employeur de poser des jours de repos conventionnels ou des congés. L’employeur ne peut donc lui imposer d’en prendre ; cela relève donc de la seule initiative du salarié.

La loi prévoit qu’à l’issue du 3ème jour de la suspension du contrat, l’employeur doit organiser un entretien avec le salarié au cours duquel seront examinés les moyens de régulariser sa situation. Comment doit-il s’y prendre ?

Rien n’est prévu concernant les modalités de convocation à l’entretien (qui est obligatoire). Je conseille cependant aux chefs d’entreprise d’être très prudents quant au formalisme. Je préconise une convocation à un entretien en LRAR avec pour objet : « entretien pour évoquer les moyens de régulariser votre situation » ; une date d’entretien dans un délai raisonnable (3-4 jours après la réception dudit courrier recommandé soit 5-6 jours en pratique). Je conseille aussi que cet entretien s’effectue en visio-conférence avec un témoin lors de l’entretien. Le chef d’entreprise a aussi tout intérêt à rédiger un compte rendu après l’entretien.

Le chef d’entreprise a une obligation de rechercher une affectation temporaire sur un poste non soumis à l’obligation de présenter un pass sanitaire ?

C’est une obligation de moyens et non de résultat. Le chef d’entreprise pourra, s’il le peut, affecter temporairement le salarié à un poste non-soumis à l’obligation du pass sanitaire voire proposer 2 ou 3 jours par semaine de télétravail au salarié dont l’activité le permet. Il ne fait aucun doute que les juges vérifieront si la « recherche d’affectation » a été respectée et a été loyale ; peu importe qu’elle n’aboutisse pas. Je pense qu’il existera de nombreux contentieux sur ce point. En fait, les deux protagonistes sont dans une impasse et la situation bloquée. Depuis le mois de juin, je prédis malheureusement une rentrée très tumultueuse sur le plan social. Les relations employeurs-salariés se sont, depuis le covid, détériorées de façon substantielle. Les contentieux sont, je trouve, très violents. Certains salariés pensent que leurs maux viennent de l’entreprise voire de l’employeur. Il n’en est pourtant rien. Ils font de leur mieux et essaient de sauver les emplois et leur entreprise. Les médias participent aussi à cette situation anxiogène et délétère.

Quelles sont donc les conséquences de la suspension du contrat du salarié ?

La réponse est simple : pas de travail, pas de salaire. En plus, pas d’acquisition aux jours de congés. Le salarié dont le contrat sera suspendu pourra être remplacé juridiquement par un autre salarié dans le cadre d’un CDD possédant le pass sanitaire mais ce n’est pas une solution.  La situation sera inévitablement et rapidement insupportable pour les deux parties. Je pense que l’employeur devra envisager une rupture conventionnelle homologuée pour les salariés en CDI dans les plus brefs délais. Je sais que mon conseil ne plaira pas à certains employeurs qui refuseront de payer une indemnité spécifique mais cela évitera quelques contentieux et la situation sera plus sereine et claire. Un salarié ne démissionnera que s’il retrouve un emploi, et encore ! Pour lui, l’indemnité de licenciement est un « acquis ». Dans la pratique, je suis convaincu que certains salariés qui n’envisagent pas de se faire vacciner se placeront tout simplement en maladie pour toucher au moins l’indemnité journalière. Cela désorganisera encore plus l’entreprise qui n’en a pas aujourd’hui besoin.

Si le salarié est un représentant du personnel, son mandat est-il suspendu comme son contrat de travail ?

Non, bien sûr, il continue à être représentant du personnel et à ce titre il pourra exercer son mandat par exemple en distanciel.

Concernant les CDD, cette suspension du contrat pour absence de vaccination ou de représentation d’un pass sanitaire reporte-t-elle l’échéance du contrat ?

Le ministère du Travail répond à cette question. Il existe deux types de CDD : le CDD de date à date (un début et une fin de contrat). Le contrat prendra fin à la date prévue, sans être prolongé de la durée de la suspension. Si, en revanche, le contrat à durée déterminée est à terme incertain, c’est la réalisation de l’objet pour lequel il a été conclu qui constituera le terme du contrat.

Un employeur peut-il imposer au salarié de présenter la preuve de sa vaccination ou de son pass sanitaire ?

Oui, et s’il ne le fait pas il engage sa responsabilité. Si le salarié refuse de présenter la preuve de sa vaccination ou son pass sanitaire dans les activités qui l’imposent, l’employeur doit refuser de le faire travailler.

En conclusion, je pense que cette Loi risque de créer de nouvelles tensions. La prudence s’impose donc pour les chefs d’entreprise qui devront faire preuve, une fois de plus, d’adaptabilité.

Propos recueillis par Abdel Samari

Abdel Samari

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