Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 19.09.2022 - pierre-havez - 9 min  - vu 6971 fois

ASSISES Assassinat de Jonquières : le témoignage accablant de l'ex-compagne de l'accusé

Dans la salle d'audience de la cour d'Assises du Gard pour le procès de l'assassinat du jeune Ismaël, en 2018, à Jonquières-Saint-Vincent. (Photo : Yannick Pons) - Yannick Pons

L’audition des enquêteurs et témoins de l’assassinat du jeune Ismaël, abattu d’une balle dans la tête, dans la nuit du 21 au 22 mai 2018 à Jonquières-Saint-Vincent, se poursuit aujourd’hui devant la cour d’assises du Gard.

La journée d’hier a permis de comprendre le contexte de cette expédition punitive mortelle, épisode final tragique d’une rivalité entre deux clans de Jonquières et Beaucaire, les El Madany et les frères de la victime. Mais alors que le principal accusé, Youssef El Madany, a laissé entendre à la barre qu’il avait tiré en riposte lors d’un guet-apens organisé par ses adversaires, les témoignages de ses propres frères, entre omissions, mensonges et oublis, ont dressé le portrait d’une famille blessée, prise dans une spirale de vengeance…

Aujourd'hui, vendredi 16 septembre 2022, ce sera au tour des proches et de la famille de la victime, notamment ses frères surnommés « les Daltons », d'être entendus par les jurés de la cour d'assises du Gard. Le témoignage de la petite amie de l'accusé est aussi très attendu. Youssef El Madany et son complice présumé Nohame Jarnouj encourent la réclusion à perpétuité.

Notre direct prend fin alors que l'audience est suspendue pour ce soir. Les deux accusés seront interrogés sur les faits, lundi matin. Puis nous entendrons les experts légistes et balistiques.

17h30 : L’adjudant Hatte, gendarme à Bouillargues à l’époque des faits, est intervenu le premier après les coups de feu. Les pompiers sont déjà sur place. « Il y avait des cris, beaucoup de gens, la situation est compliquée. La victime est prise en charge sur un brancard, Je remarque un sabre dans une voiture que je saisis immédiatement. » C’est sa collègue Frédérique Sullivan qui a pris le relais de l’enquête. « Après quelques jours à Montpellier puis un bref passage à Roquemaure, nous savons que Nohame Jarnouj a conduit Youssef El Madany à Cavaillon où il l’a laissé pour que ce dernier rejoigne la frontière italienne chez le père de sa compagne, Julie, précise l’enquêtrice. En revanche, le revolver n’a jamais été retrouvé. »

16h15 : Nouveau témoignage accablant contre l'accusé. En visioconférence depuis Bordeaux, Antoine, l'un des passagers de la voiture qui a emmené Youssef sur le lieu de la mort d'Ismaël raconte subir des pressions de la part de la famille de l'accusé. « Le lendemain, le frère de Youssef m'a demandé d'aller voir la police pour dire que j'avais pris des coups de couteau. Mais comme ce n'était pas vrai, je suis parti, explique-t-il, d'une voix craintive. Depuis, d'autres personnes m'ont indiqué que les frères de Youssef cherchaient à savoir où j'étais parti. Je suis papa de trois enfants, bientôt quatre. J'ai eu peur. » Antoine dément encore avoir vu d'autres armes que des bâtons ou des battes de base-ball lors du guet-apens, ou encore avoir fourni des munitions à Youssef, comme l'ont prétendu les frères El Madany.

« Saviez-vous si Youssef avait l'habitude d'avoir des armes ? », l'interroge l'avocat général, Bertrand Baboulenne. « Pas directement, mais son petit frère se vantait quelques jours plus tôt que son Youssef était armé et que la prochaine fois, il ne viserait pas les jambes, mais la tête... », confirme encore Antoine.

Assassinat de Jonquières. La cour d'assises du palais de justice de Nîmes (Photo : Yannick Pons) • Yannick Pons

15 h : Autre signe d’une éventuelle pression exercée par la famille de la victime, la compagne de l’accusé, Julie, a déposé une main courante, après qu’un homme a pénétré dans le foyer où se trouvait ses enfants, le 14 septembre dernier. Queue de cheval noire, tatouage à l’avant-bras gauche, la jeune femme témoigne à son tour devant les jurés. Au départ, elle a fourni un faux alibi à Youssef, déclarant qu’il était avec elle le soir des faits. Puis elle est partie avec lui, en cavale, chez un ancien toxicomane, puis chez son père, chez qui on retrouvera plus de 2 000 euros, des cartes Sim, un téléphone crypté et un taser.

Mais Julie l’accusera ensuite de la battre, de vendre « des kilos et des kilos de drogue » et de détenir des armes. Puis, expliquant avoir voulu se venger de Youssef qui l'avait trompée, Julie revient sur ses accusations. « J’ai été méchante et menteuse, à la hauteur de ce qu’il m’a fait », prétend la jeune femme à la barre. Mais le mal est fait. Spontanément retournée voir les gendarmes, Julie accuse avec trop de précision Youssef de posséder plusieurs armes dans son appartement de Roquemaure : un fusil à pompe et un 70 coups, une arme de guerre pouvant tirer en rafale, en cas de « guerre avec ses concurrents trafiquant ». Elle décrit aussi par le menu ses trafics, ses réseaux, ses clients, évoquant des valises remplies de cocaïne et des comptes au Maroc affichant plus de 300 000 euros. L'interrogatoire devient extrêmement tendu. Julie hausse les épaules, répond avec insolence au juge, lui coupe la parole lorsqu'il relit l'étendue de ses soi-disant mensonges. « C’était faux, vous le savez. Je ne comprends même pas pourquoi vous en parlez », tente d’évacuer la jeune femme. « Il y a beaucoup de choses que vous ne comprenez pas, la coupe le juge, agacé. Pour quelqu’un qui ment, vous donnez beaucoup de détails. Tout cela est vrai ! »

Les écoutes téléphoniques entre Youssef et Julie trahissent lourdement l'accusé. Dans ces conversations, elle dévoile la véritable origine du conflit entre Youssef et les frères de la victime. « Au bout d'un moment, Youssef est devenu trop gourmand avec le trafic et c'est pour ça que la guerre a éclaté avec les Daltons », précise-t-elle aux enquêteurs. Et indique même une tentative de demander à la famille de la victime de retirer leur plainte pour « régler tout cela entre eux, comme des hommes ».

Trahi par son doigt coupé, le frère de l'accusé exclu de l'audience

14h : Un nouveau témoin est entendu par la cour. C’est celui qui a hébergé Youssef El Madany à Cavaillon pendant trois nuits, lors de sa cavale, après qu'il a mortellement touché à la tête Ismaël à Jonquières-Saint-Vincent, fin mai 2018. « Je ne connais rien de cette affaire. J’avais juste rencontré Youssef, une fois à Beaucaire. J’étais toxicomane et il m’avait fourni de la drogue. Et puis je l’ai hébergé chez moi quelques jours, c’est tout, déclare-t-il, visiblement mal à l'aise. Il ne m'a pas expliqué pourquoi il avait besoin d'être hébergé, il avait l'air normal... »

En garde à vue, le témoin déclarera que quelques jours après, Farid, l’un des frères de Youssef est venu lui demander de faire un transfert de 1 500 € à Youssef. Ce que Farid a contesté formellement, la veille. Le président Éric Emmanuelidis rappelle Farid à la barre, comme promis hier. Celui-ci maintient ses dénégations. Mais le juge lit la description faite par le témoin de celui venu exiger le mandat : un homme à qui il manque un doigt, comme Farid… Pris en flagrant-délit de mensonge, le frère de l’accusé est définitivement exclu de l’audience par le juge consterné.

Interrogé par le président, Youssef confirme avoir dormi chez son ami et envoyé son frère lui demander de l’argent. Mais il est pris à son tour en flagrant délit de mensonge lorsqu'il s'agit d'expliquer pourquoi ce dernier lui a envoyé cette somme. « Je ne lui ai jamais vendu de drogue. L’héroïne, c’est la mort, ça tue les gens à petit feu. Je vais porter plainte contre lui, réagit l’accusé. C’est les Daltons qui ont fait un coup de pression sur lui ! »

11h30 : L’interrogatoire d’un autre des frères de la victime, Sami, permet de dévoiler la profondeur du différend qui opposait les deux fratries. Lui aussi, incarcéré pour des faits de violence, en même temps que Youssef El Madany, prétend que ce dernier a poursuivi ses menaces à la maison d’arrêt. « Il disait qu’il était là à cause de nous, et qu’il attendait de sortir pour nous tuer un par un. Il ne regrette toujours pas à l’heure actuelle ce qu’il a fait », lâche-t-il. Youssef conteste ces accusations. « Quand il est rentré en prison, c’est lui qui a demandé à mon codétenu Crevette de me frapper. Ce n’est pas vrai ce qu’il dit, on ne pouvait même pas se croiser dans les couloirs… », précise l’accusé.

C’est au tour de Mohammed, l’aîné de la fratrie, de revivre la soirée fatale de son frère, puisque le quatrième frère d’Ismaël, Abdessamad, n’est finalement pas venu témoigner ce matin… « L'accusé dit qu’il a été blessé ce soir-là car on lui a tiré dessus, et que c’était soit Ismaël, soit vous, c'est vrai ? », lui demande l’avocat de la partie civile, Cyril Malgras. « Il dit ça pour faire croire que c’était de la légitime défense, mais ce n’est pas vrai. Il est reparti en marchant… », réfute Mohammed.

11h15 : Cyril Malgras l'avocat de la famille de la victime, réfute la version d'un tir de riposte de la part de l'accusé :

« Il a tiré directement trois ou quatre fois. Il voulait tous nous viser ! »

10 h : L’un des frères d’Ismaël, M’hamed, 29 ans, jean et sweat bleu à capuche, s’avance à la barre. Il revient sur la première bagarre, devant le tabac, dans l’après-midi. Il venait de sortir de prison au moment des faits, après avoir fait six ans de détention. « Il s’est avancé vers nous en disant qu’il voulait tuer mon frère. Et aujourd'hui, ils veulent salir notre mémoire, en nous traitant d’assassin, de trafiquant, ils bombent le torse, c’est dégoutant ! On ne lui a jamais volé la clef. Après l’avoir ramassé on l’a jeté sur le coup ! Ensuite, c’est eux qui portaient des couteaux, pas nous ! », assure M’hamed avec forces mouvements.

« Dans la voiture de votre frère, on a retrouvé un katana, lui fait remarquer le président Éric Emmanuelidis. Il y avait des battes de base-ball et des bâtons, selon plusieurs témoins… Confirmez-vous la présence de ce sabre ? » Le frère de la victime secoue la tête. « J’ai vu des barres de fer, mais rien d’autre », jure encore M’hamed, la main sur le cœur. » Mais le président l'interrompt. « Vous dîtes y être allé à mains nues, alors qu’ils étaient armés de couteau ? Allons, ce n’est pas très vraisemblable… Alors quelles armes y avait-il vraiment ? », insiste Éric Emmanuelidis. M'Hamed reste sur sa position : « Il y avait une batte de base-ball, peut-être un katana mais je ne l’ai pas vu, c’est la vérité. », maintient-il.

M’hamed décrit ensuite la scène finale. « Il prétend qu’on lui a tiré dessus, mais c’est faux ! Ou alors comment aurait-il pu continuer à avancer tranquillement vers nous, monsieur le juge ? Non, il est arrivé en sous-marin et il a tiré directement vers nous, trois ou quatre fois, le bras tendu, sans semonce. J'ai vu les éclairs sortir du canon. Il voulait tous nous viser ! », explique-t-il. Le président l’interroge sur l’origine du contentieux entre les familles ; une potentielle dette de Youssef envers les frères d'Ismaël liée à un trafic de stupéfiant. Mais on n’en saura pas plus sur l’origine du conflit. « C’est un jaloux, il cherche à attirer l’attention, c’est tout… », se contente-t-il d’expliquer M’hamed.

Peu après les faits, M’hamed sera de nouveau incarcéré pour des faits de violence. M’hamed défend encore son frère Ismaël. « Depuis son AVC il était faible, il ne pouvait même pas ouvrir le couvercle d'un pot. Il n'a pas pu être violent envers Youssef ni le provoquer..., ajoute-t-il avec regret, dans une salle silencieuse. Au moment des tirs, tout le monde est parti en courant, sans Ismaël qui avait du mal à courir. Quand la voiture est partie, je suis allé le voir. J'avais encore une lueur d'espoir mais il avait reçu une balle en pleine tête... On a commencé la prière avant même que les pompiers arrivent. »

« Le pauvre Ismaël a malheureusement été victime d’un conflit opposant Youssef El Madany à Abdessamad, le frère d'Ismaël, résume l’avocat de l’accusé, Bernard Hini. Mais la démolition du véhicule devant chez vous, s’est faite en une minute et vingt secondes. Cela veut donc dire que vous l’attendiez et que vous vous étiez préalablement armés, non ? » M’hamed proteste, sans donner raison à l’avocat.

L'avocat de Youssef El Madany, Bernard Hini, aux côtés des conseils de son complice présumé, Cyril Caron et Hugo Ferri. (Photo : Yannick Pons) • Yannick Pons

« Le genre d’arme qui sert à vous vider de vos organes... »

9h : Ce matin, le premier témoin est un proche voisin de la famille de la victime. Il revient sur la soirée fatale à Ismaël, ce soir-là. C’est lui qui a appelé la police vers 23h30, évoquant « au moins quatre coups de feu, rue de la République », dont « deux plus sourds, comme provenant d’une autre arme ». « En descendant, j’ai aperçu la mère pleurer son fils, j’ai compris que c’était fini. Je savais qu’ils étaient connus de la justice. Je n’ai malheureusement pas été surpris, cela devait arriver », décrit-il avec fatalisme.

Un autre riverain, jeune gendarme-adjoint volontaire à l’époque, décrit la scène : une Renault Megane garée à moitié sur le trottoir et la chaussée de la rue du Lavoir, bloquant en partie son accès, ainsi que cinq ou six jeunes installés autour. Alors qu’il poursuit sa route, il entend, quelques instants plus tard, « exactement sept détonations », puis appelle la gendarmerie à 23h42. « Vous avez déclaré à plusieurs reprises que le voiture de couleur sombre était garée en plein milieu du carrefour. Elle bloquait donc la circulation ? », lui demande l’avocat de Youssef Al Madany, Bernard Hini. « En tout cas, j’ai dû manœuvrer pour passer », confirme le témoin.

Une autre voisine confirme avoir aussi aperçu des jeunes, armés de battes de base-ball, dont l’un des frères d'Ismaël muni d’une sorte de sabre avec les bords recourbés. « Le genre d’arme qui sert à vous vider de vos organes. C’était l’un des grands frères d’Ismaël. Il est terrifiant, je ne le regarde jamais dans les yeux », décrit-elle. Depuis son appartement, celle-ci entend ensuite des tirs, malgré ses boules Quies.

Suivez ce procès en direct tout au long de la journée...

Pierre Havez

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