EUROPÉENNES La candidate insoumise Marina Mesure : « Le travail détaché permet l’exploitation »
Candidate en septième position sur la liste la France insoumise aux élections européennes, syndicaliste et spécialiste du travail détaché, Marina Mesure sera en meeting dimanche à Bagnols. Interview.
On se souvient du fameux « plombier polonais » qui avait défrayé la chronique il y a quelques années et mis la question du travail détaché sur le devant de la scène. Permise par une directive européenne de 1996, cette décision autorise à un employé travaillant dans un État de l'U.E. d’être "détaché" dans un autre État membre au salaire de son pays d’accueil, mais aux cotisations sociales de son pays d’origine. Un instrument de dumping social intra-européen ?
Objectif Gard : Concrètement, où est le problème avec le travail détaché ?
Marina Mesure : Il y a en France 516 000 travailleurs détachés déclarés hors transport d’après le ministère du Travail (*), il y a donc de quoi se poser des questions lorsque ces travailleurs sont exploités et n’ont pas le même niveau de protection sociale. Comme les cotisations sociales sont payées dans le pays d’origine, ces travailleurs sont très majoritairement perdants en France, sachant que ces cotisations sont payées dans des pays où les travailleurs ne résident pas, mais d’où ils sont détachés. Dans le cadre de mes fonctions, je rencontre régulièrement des travailleurs détachés slovènes, qui cotisent en Roumanie et qui se retrouvent incapables de défendre leurs droits. Le problème, c’est que ce système concerne beaucoup de pays, en France et en Europe. Je reviens de Belgique où 30 % des salariés dans le secteur de la construction sont des travailleurs détachés. Ça représente un nombre très important de salariés avec un statut discriminant qui permet leur exploitation.
Une réforme, adoptée l’an dernier et qui sera appliquée à l’été 2020, verra les travailleurs détachés en France avoir les mêmes primes que leurs collègues français. Considérez-vous que c’est une avancée ?
Pour la France, ça ne change pas grand chose, nos conventions collectives étant déjà appliquées aux travailleurs détachés. C’était plus problématique dans d’autres pays. Donc pour la France cette réforme ne change rien de ce point de vue, et elle est même pire par ailleurs, car elle intègre le fait que les indemnités de transport, de nourriture et de logement des travailleurs détachés sera calculée d’après le pays d’envoi, et plus du pays d’accueil. En clair, si la Bulgarie décide que ce montant est de 15 euros par jour, vous allez retrouver des travailleurs détachés encore plus lésés dans leurs droits et donc plus précaires. C’est hallucinant. Par ailleurs, cette réforme a diminué la durée autorisée du détachement de 24 mois à 12 + 6 mois. Sauf qu’aujourd’hui en France et en Europe la durée moyenne du détachement est de 103 jours.
« On fait de la délocalisation à domicile »
Considérez-vous que les travailleurs détachés sont un instrument de dumping social en Europe ?
Oui, c’est sûr. Ce n’est pas une attaque contre les salariés, qui sont les premières victimes. Le travail détaché permet le dumping social. On utilise les différences de niveaux de salaires pour délocaliser au sein de l’Europe. Les délocalisations intra-européennes représentent la moitié des délocalisations françaises. Et quand on a un secteur qu’on ne peut pas délocaliser, comme la construction, l’agriculture ou l’industrie, on fait de la délocalisation à domicile. C’est une nouvelle sorte de dumping. Sans compter que ça crée aussi des tensions, du racisme. C’est dangereux pour le vivre-ensemble. On a associé le travail détaché au plombier polonais, mais ce n’est pas une question de nationalité. En France, la cinquième nationalité de travailleurs détachés est la nationalité française, des Français détachés du Luxembourg. Il y en a 47 000.
Que proposez-vous pour changer cet état de fait ?
Nous proposons l’abrogation de cette directive. Nous ne sommes pas contre la libre-circulation, mais nous revendiquons l’égalité des droits, que tous les salariés cotisent aux systèmes sociaux et puissent prétendre au même niveau de protection sociale. Si on ne lutte pas contre le dumping social, on permet la mise en concurrence des pays et un vrai shopping se fait au sein de l’Union européenne, là où les cotisations sont les plus basses. Par exemple, la Roumanie a supprimé l’ensemble de ses cotisations patronales. Il faut donc lutter contre ce statut pour éviter la mise en concurrence de nos pays et à terme la destruction des régimes de sécurité sociale. C’est une affaire vraiment européenne.
Propos recueillis par Thierry Allard
* 516 000 travailleurs détachés déclarés en France en 2017 d’après le rapport annuel 2019 de la Cour des comptes, ce qui fait de la France le deuxième pays d’accueil après l’Allemagne.
La réunion publique de la France insoumise avec Marina Mesure se tiendra ce dimanche 12 mai, à 18 heures, à la salle A du centre culturel Léo-Lagrange, place Flora-Tristan à Bagnols. Entrée libre et gratuite.