FAIT DU JOUR "Avoir produit 4 millions de masques ? Une fierté pour Éminence et ses salariés"
Avec 750 salariés en Europe, dont près de 400 dans le Gard, et un chiffre d'affaires de 114M€ en 2019, l'entreprise aimarguoise Éminence, créée à Nîmes en 1944, est l'un des fleurons de l'industrie textile du département. Elle s'est aussi distinguée pendant le confinement, avec la conception de 4 millions de masques. Son président directeur général, Dominique Seau, revient pour Objectif Gard sur cette période particulière.
Objectif Gard : À l'annonce du confinement, pourquoi avoir décidé de produire des masques ?
Dominique Seau : Dès le 13 mars, nous avons reçu une demande du SDIS34 (Ndlr : Service départemental d'incendie et de secours) qui voulait qu'on fournisse aux pompiers des masques en tissus. C'est eux qui nous ont présenté un cahier des charges complet car il n'y avait pas encore de normes définies. Il ont eu l'idée des masques en tissus, car, dans les années 1950, les chirurgiens en utilisaient par dessus leur masque chirurgical. Une semaine plus tard, nous commencions la production, à petite échelle et forcément à perte. Mais l'important pour nous était de participer à la lutte contre la pandémie et faire en sorte que le combat soit gagné le plus rapidement possible.
Comment ont réagi vos salariés face au basculement de votre activité ?
Il y a eu une première réunion avec forcément des réactions de crainte de la part de la majorité. Il a fallu mettre en place toutes les mesures pour les rassurer. Puis, nous avons rouvert les usines à Aimargues et à Sauve et tous ceux qui étaient disponibles pour la production et la logistique se sont mis au travail. Une fois que nous étions lancés, les salariés étaient fiers de participer à cette grande mobilisation contre le virus. Les applaudissements tous les soirs à 20 heures, ils étaient aussi pour eux. Et puis, ça leur a permis d'éviter de perdre de l'argent en étant mis au chômage partiel.
Qui a fait appel à Éminence pour se fournir en masques ?
Il y a vraiment eu deux vagues distinctes. Dans un premier temps, il était dit que le masque était accessoire voire inutile. Nous fournissions alors surtout les SDIS et quelques centres hospitaliers. Puis tout s'est accéléré quand les collectivités territoriales ont décidé de s'équiper. Nous avons été submergés par les commandes : plus de 12 millions au total. Nous n'avons pu en produire qu'un tiers. Ceux qui étaient en première ligne face à l'épidémie comme les forces de l'ordre, les pompiers et les soignants, ont été livrés les premiers. Puis, nous avons honoré quelques grosses commandes : 280 000 masques pour Nîmes Métropole, 1 500 000 pour le conseil général de l'Hérault.
Quels ont été les principaux freins dans cette course à la production ?
Nous manquions très clairement de couturiers. Le tricotage et la coupe sont automatisés, donc nous avions des capacités de production très importantes. Mais pour ce qui est de la confection, c'est du fait-main. Chez nous, ce travail minutieux est principalement effectué par des femmes qui, pour beaucoup, devaient rester à la maison pour garder leurs enfants qui n'allaient plus à l'école. Nous étions donc en pénurie de ce côté-là. Et puis, nous ne pouvions pas travailler avec des équipes pleines pour respecter les distanciations.
La production de masque fut-elle finalement rentable économiquement ?
Pas vraiment, car nous n'avons pas cherché à faire du profit à tout prix. On a décidé dès le départ d'avoir un prix unique pour toutes les municipalités en vendant les masques 3€ hors taxes, alors que les produits équivalents valaient généralement entre 4 et 5€. Globalement, nos masques étaient de très bonne qualité et nous étions parmi les moins chers du marché. En revanche, je crois qu'avoir fait cet effort a été très positif pour notre image. Nous avons démontré la qualité de nos équipes. On sent beaucoup de bienveillance à notre égard, notamment de la part des élus.
Aujourd'hui, continuez vous à produire et à vendre des masques ?
Nous avons stoppé la production de masques le 20 juillet. Il nous reste encore 100 000 masques en stock mais les commandes sont plus rares. Nous avons encore quelques demandes d'entreprises qui cherchent à reconstituer leurs stocks et de particuliers qui commandent sur Internet.
"Les ventes en magasin se sont écroulées"
Vous avez donc repris une activité classique...
Notre production textile classique a repris progressivement depuis le 11 mai. Les magasins ont rouvert d'un coup et il a fallu reconstituer nos stocks de sécurité. Aujourd'hui, nous sommes complètement repartis sur ce type de production. Mais on est capable de refaire des masques si le besoin se fait sentir.
Les ventes classiques ont-elles suivi ?
Non, elles se sont écroulées. Il n'y a que sur Internet qu'elles marchent très bien. La production de masques a amélioré notre image médiatique et nous a permis de nous faire connaître par de nouveaux clients sur Internet. Mais dans les magasins, les ventes restent faibles. Les gens évitent de se rendre dans les grandes surfaces.
Peut-on dire qu'Éminence est une entreprise en difficulté ?
A court terme non, car nous avons trouvé des solutions pour la trésorerie. Par contre, si les prévisions restent faibles dans les mois à venir, nous risquons de l'être. Mon rôle c'est de faire en sorte que nous nous adaptions aux nouvelles demandes des consommateurs.
Quelles sont-elles ?
D'abord, nos clients attendent qu'on rétablisse notre capacité de livraison rapide. Et puis, nous devrons nous adapter à ce que veulent les consommateurs. À savoir des produits à petits prix d'une part, ou des produits haut de gamme vertueux pour la société et respectueux de l'environnement. Il faut que l'on prenne ce virage. Mais ce n'est évident car nous devons avoir un pied sur l'accélérateur et l'autre sur le frein. Il faut imaginer de nouvelles gammes de produits mais, d'un autre côté, nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir des montagnes de stock. Il va falloir s'habituer à travailler avec de moins en moins de visibilité.
Propos recueillis par Boris Boutet