FAIT DU JOUR Des tunnels pour creuser son savoir... Et faire une belle balade !
Bienvenue au Vallon d'Escaunes à Cantarelles. Ce site, peu connu, offre cependant à ses visiteurs une totale liberté de mouvement et d'apprentissage. Morceau de l'aqueduc romain reliant la source de l'Eure à Nîmes, vous allez vous régaler en vous baladant sur place.
Voici une sortie qui ne coûte rien hormis le carburant que vous allez mettre dans le véhicule si vous n'habitez pas Sernhac ou les environs. Sernhac est un superbe petit village niché dans une garrigue tout aussi spéciale. Les Romains de l'antiquité y ont fait passer le tracé de leur aqueduc qui amenait l'eau d'Uzès à Nîmes et dont le Pont du Gard est l'emblème le plus célèbre.
Toutefois, entre le Pont du Gard et le castellum aquae nîmois, l'aqueduc nécessitait quelques aménagements que l'on découvre fort bien du côté de Sernhac avec des tunnels et des galeries creusés à même la roche, au beau milieu de la garrigue. Nous voici au vallon d'Escaunes à Cantarelles.
Ce vallon est un site naturel d'une grande qualité environnementale et patrimoniale. Le vallon d'Escaunes forme une entaille profonde dans le massif des garrigues de Sernhac, issue d'une double action érosive : la dynamique de reculée naturelle, c’est-à-dire de creusement du relief depuis le bas vers le haut de la pente, et les carrières qui ont tiré parti de l'affleurement rocheux sédimentaire en piémont.
Il tient une place importante dans l'approche culturelle de la romanité gardoise car ici, il y a près de 2 000 ans, les Romains ont choisi de creuser le calcaire tendre afin de faire passer l'aqueduc amenant l'eau depuis la fontaine d'Eure à Uzès jusqu'à Nîmes, au castellum aquae. Partez à la découverte des trois boucles de promenade qui vous sont proposées sur le site, pour une durée d’une petite heure chacune.
Hier abandonné, devenu impénétrable, le vallon d'Escaunes à Cantarelles revit aujourd'hui grâce à de nombreux bénévoles engagés dans l'accueil et dans l'entretien des terrasses. Ici, vous verrez mille murets au cours de vos promenades, laissez-vous porter par l'expérience sensible de l'histoire gravée dans ce site, la grandeur romaine, la force des carriers, la peine des paysans et l'avenir à construire.
Alors que la boucle de ce parcours revient ensuite vers le centre du vallon, l'aqueduc, lui, a poursuivi son chemin pour rejoindre Nîmes, traversant le village de Sernhac par 400 mètres de galeries creusées sous les maisons de l'actuelle rue des Bourgades. Mais revenons à la balade.
Le vallat d'Escaunes, qualifié aussi de "chemin-fossé", était plus qu'un drain, c'était une voie d'accès aux parcelles cultivées. Les paysans l'empruntaient avec le cheval et la charrue accrochée au "réballaïre" (réballer en Occitan signifie traîner en français). Il s'agissait d'un bois rond, en forme de tronc d'arbre, sur lequel est fixé une charrue qui peut ainsi passer les divers obstacles que forment les rochers du vallon.
La galerie de Perrotte
C'est à partir d'écrits anciens et modernes, de travaux effectués par des spécialistes contemporains (1980) dont ceux de Jean-Claude Bessac, ingénieur au Centre national de la recherche scientifique, que les panneaux explicatifs proposent un apprentissage autour de la stratégie de creusement des tunnels. Les ingénieurs romains ont dû respecter des délais très courts pour la réalisation des galeries. En deux mois environ, le tunnel est creusé à l'aveugle à partir de puits rapprochés et peu profonds. Ce sont les nombreuses erreurs de parcours qui ont permis aux archéologues de comprendre les techniques de creusement.
La galerie de Perrotte est très explicite car les coups d'escoude bien visibles indiquent le sens du creusement. Pour respecter les délais, huit à dix équipes travaillaient en même temps à partir de chaque puits et devaient se rencontrer, ce qui n'était pas toujours évident. D'ailleurs, vous pouvez encore observer les nombreuses niches creusées dans la paroi pour le logement des lampes à huile. De récentes venues y ont laissé couler quelques larmes de cire le long des murs.
Après le creusement, des murs latéraux étaient construits et habillés d'un enduit d'étanchéité à base de chaux grasse et d'argile cuite. Un morceau de mur reste visible à la sortie de la galerie, dans laquelle le débit pouvait atteindre jusqu'à 30 000 mètres cube/jour !
C'est grâce à des appareils de nivellement comme la groma, les dioptres ou les niveaux ainsi qu'à l'arpentage (doubles-équerres munies de fils-à-plomb) que les équipes de mineurs, se faisant face, devaient se rencontrer. Leurs erreurs permettent de comprendre la stratégie des géomètres.
La galerie des Cantarelles
Ici aussi vous pouvez emprunter le passage de l'aqueduc. Inclus à l'origine dans la falaise, il a été mis au jour par l'extension de la carrière au cours du Moyen-Âge. Vous y verrez une forge. Peu avant l'entrée se trouve également une cavité naturelle sur la droite, de plusieurs mètres de diamètre dénommée "la forge" du fait des vestiges métalliques retrouvés au sol. Elle devait probablement servir d'atelier pour aiguiser les outils des mineurs dans l'Antiquité, ainsi que d'habitat troglodytique au cours de la Préhistoire.
Vous verrez quelques pas plus loin une percée triangulaire. Sur la gauche, ici même, la paroi est crevée par une ouverture étrange puisqu'on relève de part et d’autre, en plein jour, des alvéoles de lampes à huile. De toute évidence, cette trouée dans la galerie s'est produite après l'abandon de l'aqueduc, avec la poursuite d'extraction dont témoignent les remarquables fronts de taille qui cernent le vallon. Cela laisse supposer que ce dernier était bien plus étroit lors de l’arrivée des Romains.
Bien que les galeries de Perrotte et de Cantarelles aient été creusées selon les mêmes principes, et probablement en même temps, celle-ci présente une section bien plus large, bien plus haute, bien plus élégante. Elle a certainement été élargie par la correction des erreurs d'orientation, dont subsistent des empreintes importantes à la base des puits.
"Au fil de l'eau", "Au fil des hommes", "Au fil du temps"
Le vallon est donc encadré par deux galeries, celle de Perrotte (longueur : 74m) et celle de Cantarelles (longueur : 60m), qui restent le témoignage vivant du passage de l'aqueduc romain au cours des premiers siècles de notre ère. Ce site inscrit au titre des Monuments Historiques orchestre une rencontre entre l'ingéniosité humaine de la conduite de l'eau et la topologie naturelle des lieux. Le parcours développé autour de cet ouvrage disparu, mérite d'être souligné et rendu davantage visible : c'est le rôle des courbes de niveau que vous découvrirez entre les galeries au cours du circuit "Au fil de l'eau."
Avec le parcours "Au fil des hommes", contemplez le rocher de Perrotte et les terrasses Méditerranéennes. Ce site ne fait pas seulement écho au Pont du Gard, mais porte en lui-même les signes puissants du territoire naturel et construit des garrigues. Des carriers qui nous ont laissé de majestueux fronts de taille, des paysans qui façonnaient la garrigue de leurs mains nues, pour en faire un des plus beaux sites de terrasses méditerranéennes.
Au sommet de Perrotte vous découvrirez les terrasses "adoptées" et entretenues par de nombreuses familles ou associations du département. La descente par la draille de Perrotte et la visite au cœur des terrasses vous permettront d'admirer murets et capitelles.
En suivant le parcours "Au fil du temps", c'est à la botanique que vous vous intéresserez. Ce paysage est à la fois sauvage et confidentiel, ludique et évocateur. La boucle de découverte emprunte en partie le sentier Petite Randonnée. Le "versant Perrotte" vous révèlera sa richesse floristique avec pistachiers, arbousiers, chênes kermès, ciste blanc, euphorbes, thym, sarriette... Le "versant Cantarelles" vous offrira quant à lui une vue en belvédère sur l'ensemble du vallon. Tout au long de ce parcours, vous pourrez vous égarer sur de nombreuses variantes sauvages ou rejoindre le GR 6 au point "les sources".
Le cœur du vallon
Retour aux aménagements liés à l'aqueduc, aux anciennes carrières, à l'agriculture ou encore aux réhabilitations menées, ont littéralement façonné le paysage du vallon. Ces écritures successives, dans le temps et dans le relief même du site, se sont sédimentées pour certaines, effacées pour d'autres. Il en va ainsi de l'aqueduc dont le passage en aérien au cœur du vallon a presque totalement disparu.
Les quelques fouilles menées sur le site n'ont pas permis la reconstitution exacte de son tracé mais certains indices laissent présumer de son parcours. Depuis les seuils des deux galeries situés sensiblement à la même altimétrie, la direction de l'ouvrage est amorcée parallèlement aux courbes de niveau du vallon. Ceci indique clairement que les Romains ont suivi la "courbe 64", altitude en mètres par rapport au niveau de la mer pour conduire l'eau à travers le relief sur un plan quasiment horizontal.
Révéler le chemin d’eau disparu
La grande force du géosystème de l'aqueduc romain réside dans son adaptation aux sites traversés. L'idée de remettre en résonance cette rencontre topographique d'un vallon et d'un canal a conduit à une restauration complète de la rive la plus ample du vallon, profondément ravinée, en intégrant dans sa forme et sa structure la mise en relief de la courbe de niveau 64.
La démarche a donc été de remodeler la pente du vallon en cinq courbes de niveau réparties tous les 50 cm, jusqu'au niveau théorique du radier de l'aqueduc, uniquement par apport de terre. Elles relèvent littéralement le terrain et reflètent par effet de socle l'horizon de cette ligne d'eau qui parcourait le vallon il y a plus de 1 500 ans. Davantage que de simples terrasses, les courbes de niveau proposent ici un dispositif de lecture du paysage par le parcours. Le pas et le regard se mettent à la mesure du site.
Le franchissement du vallat
Alors que l'eau n'y est pas visible, vous allez passer au point de croisement stratégique, à l'époque romaine, de deux logiques hydrauliques. L'eau conduite par le canal sur une orientation nord-sud d'une part et la ligne de talweg drainant les eaux du massif à l'ouest, vers la plaine à l'est, d'autre part. Ce talweg, ou vallat d'Escaunes comme on le nomme sur place, devait être franchi par un ponceau à barbacanes de deux ou trois mètres de hauteur, pour une quinzaine de mètres de longueur. Les matériaux ont été entièrement récupérés, mais des débris de blocs taillés et de mortier désagrégé ont effectivement été découverts dans la fosse correspondant, d'après les archéologues, au fantôme du ponceau.
Le rapport de fouilles de 1989 précise à cet endroit... "Au passage du talweg des Escaunes, dans un chemin creux limité par des murs peu profonds, la fouille a révélé la destruction complète de l'ouvrage mais permis la reconstitution d'un ponceau probablement à barbacanes, à cause de la faible différence de niveau constatée entre le fond du canal et le fond du talweg."
Dégagé par la fouille de 1989, le ponceau à barbacanes est encore observable. Il peut donner une idée assez précise de l'ouvrage disparu. La canalisation située au-dessus est portée par de grandes dalles verticales, plus faciles à mettre en place que des voûtes à travers lesquelles peuvent circuler les eaux de ruissellement.