FAIT DU JOUR Devenir ce que l'on est
C’est un comédien polyvalent qui ne va pas seulement brûler les planches du théâtre d’Arles le 5 septembre prochain. Arnaud Agnel est un enfant du Sud comme il se décrit. Natif d’Arles, Nîmois de cœur et habitant de Tarascon, les plus méridionaux comprendront sa part d’ombre et de lumière.
Ce que veut Arnaud avant tout, c’est défendre ce qu’il est. Ses passions ? La tauromachie et le théâtre. Il rêve d’être une figura del teatro, une personnalité incontournable du théâtre. Depuis 2012 Arnaud est un comédien professionnel. Il a suivi une formation à Lille et au conservatoire de Lyon. Mais revenons à lui, aujourd’hui, maintenant et parlons un peu de "Je ne me sens bien, au fond, que dans les lieux où je ne suis pas à ma place". Une pièce qu’il a créée en adaptant les "Lettres à Juan Bautista", d’Yves Charnet. Juan Bautista, de son vrai nom Jean-Baptiste Jalabert, est un homme mais aussi un matador de toros.
« J’ai le souci de traiter des thèmes et des sujets contemporains, avec une langue contemporaine et pour un public contemporain. J’essaie d’aller plus loin que la simple consommation d’une pièce. J’ai voulu une approche tout public qui intéresse les initiés comme les novices. » C’est un spectacle qui porte sur la vie d’un homme qui a pour profession le métier de torero mais on y parlerait d’un danseur étoile que rien ou presque ne changerait. Ici, on ne fait pas l’apologie de la corrida mais on en surligne les vérités qu’elle vous jette au visage et au cœur. C’est un spectacle à digérer, pas à consommer.
Initiés, novices, des mots qui peuvent effrayer. Heureusement, le sujet choisi par Arnaud Agnel n’a rien d’effrayant mais nous pose face à une réalité érodée, usurpée par la vie quotidienne actuelle faite de superflu et d’aseptisation. « La tauromachie est tout l’opposé de la société qu’on veut nous vendre. C’est un acte de liberté, peut-être archaïque, je ne sais pas, mais aujourd’hui on nous dicte la conduite à adopter. C’est le seul endroit où on a ce rapport de soi à soi. La tauromachie est radicalement nécessaire, c’est l’endroit de l’identité libre, il n’y a rien d’uniforme et c’est en cela que la tauromachie est contemporaine. »
Détonant, à bout touchant
Vous l’aurez compris, le spectacle d’Arnaud Agnel concernera en partie l’univers taurin mais pas que. L’histoire est plus vaste, le sujet plus intime. S’il n’y a aucun hasard dans la vie, la rencontre entre le texte d’Yves Charnet et le jeu du comédien est miraculeusement logique. « C’est l’endroit d’une rencontre en gestation depuis longtemps, depuis toujours peut-être. Je voulais mettre la tauromachie sur un plateau de théâtre. Le théâtre est le lieu de la pensée, de la réflexion et de la philosophie. Je voulais montrer quelque chose que j’ai la chance de connaître. » Oui, la chance.
L’écriture vive d’Yves Charnet a été remanié par Arnaud pour devenir détonante, à la manière d’un texte énoncé à bout portant, à bout touchant parfois. Il faut dire que le texte initial, qui n’a pas grand-chose à voir avec celui qui sera joué à Arles le 5 septembre, ruisselle de vérités bonnes à dire. « Je l’ai adapté. J’ai mis un bâton de dynamite dedans et je l’ai recomposé, réadapté entièrement. Tous les mots sont d’Yves mais le sens est mien. J’ai appelé Juan Bautista pour lui dire, c’était en 2017. »
Un souvenir du grand Philippe Caubère jouant divinement bien le "Recouvre-le de lumière", d’Alain Montcouquiol. Si vous étiez à Arles pour la représentation dans les arènes, c’était Arnaud qui avait allumé les bougies. Vous retrouverez la voix de cet immense comédien dans la pièce qui sera joué en 2019, à quelques heures de la despedida, des adieux de Juan Baustita. Une voix off qui mettra tout le monde dedans.
Une alternative de luxe
« Philippe est mon papa du théâtre, l’acteur que j’admire le plus au monde ! Il me donne mon alternative. Mon témoin sera Juan Bautista et les toros ou plutôt les mots, seront de Charnet. » Comment devenir ce que l’on est déjà ? C’est là que repose toute la subtilité de la pièce à venir. Dans les méandres humains, la vie n’est qu’une anecdote. Une histoire à raconter, un sentiment à explorer, une intime ambition à réaliser.
« J’ai tout fait, tout choisi. C’est une rencontre d’Arnaud avec Agnel. Il y aura un avant et un après aussi bien pour moi que pour les personnes présentes. C’est la métamorphose de l’acteur qui se transforme en lui-même. Il me fallait mettre la jambe et il n’y aura pas de demi-mesure. Ma faena durera plus d’une heure et demie et sera composée de six paries, mes six toros. »
Comme lors des adieux du maestro, les arènes seront pleines, le théâtre le sera tout autant. Petit conseil, embarquez avec vous une paire de mouchoirs. Pas pour distribuer les oreilles mais pour essuyer votre sensibilité. La pièce promet une introspection inédite qui va chambouler vos tripes et votre cœur. « Je ne suis pas sûr de faire d’autres spectacles sur la tauromachie, je ne sais pas. Là, c’est un rendez-vous, une évidence, je ne peux pas faire autrement. »
Pourquoi Juan Bautista ? Parce que les premières émotions taurines d’Arnaud ont été la faena de l’Arlésien face à Tanguisito. Le magnifique texte de Charnet parle de ce torero et « j’ai une admiration pour Juan Bautsita le torero mais aussi pour l’homme. Nous avons un rapport humain qui est notre, on se dit tout sans se parler. C’est pudique et respectueux. Le texte était fort, c’était une déclaration d’amour et d’amitié. » Des mots à la hauteur des enjeux et des émotions suscitées par le maestro. Pour preuve d’une amitié certaine, quand Juan Bautista a réalisé son ultime vuelta à Nîmes, Arnaud a été le seul à avoir droit à l’abrazo du maestro.
Arles, une deuxième naissance
Pourquoi Arles ? Encore une évidence. Arnaud y est né. « Ça va faire plaisir à ma mère mais y naître artistiquement a également une symbolique forte. J’aime ce théâtre, c’est une scène nationale, un endroit de première catégorie. » Pourquoi le 5 septembre ? Parce que le surlendemain Juan Baustista signifiera définitivement ses adieux à la profession de matador de toros.
« C’est une manière de dire merci et suerte pour la suite. Un préambule à ce grand jour que sera sa despedida si les toros le veulent bien car en tauromachie il n’y a pas de vérité. Je ne voulais pas le faire la veille, ce n’était pas la place de ce spectacle, les gens seront déjà en feria, auront des choses à faire et à fêter. J’espère que celles et ceux qui le verront en garderont un souvenir quand ils seront dans les arènes le jour J. Ça peut être le combo parfait ! »
Après deux ans de travail, d’abnégation et de peaufinage, le spectacle prend du relief et se mesure comme un toro à la sortie du toril. Grandi par l’instant unique. « Il arrive à maturité dans ma vie professionnelle. Le plus dur a été de bien réfléchir le calendrier. Je ne peux pas imaginer que le 5 septembre tout se passe mal ! Il y a des difficultés mais elles sont naturelles et j’ai confiance au temps et à l’atmosphère, jusqu’ici, tout se déroule très bien. C’est une fête, je veux qu’on vienne au théâtre pour prendre une vague d’amour en étant heureux d’être là. »
Un petit garçon qui réalise ses rêves
Terminé depuis la mi-avril, le spectacle est déjà monté sur roulettes pour voyager dans les villes taurines. Mais aussi et surtout ailleurs. Arnaud s’est octroyé quelques jours de détente avant une reprise fondamentale à la mi-mai. Footing, diététique, toreo de salon avec un certain Tibo Garcia… « C’est mon métier d’acteur que de toréer les mots et pour cela il faut avoir les idées claires. Il ne faut pas que l’enjeu dépasse le jeu. J’en ai conscience et rien n’est grave. Ce qui le sera, c’est si je m’écoute trop ! J’ai eu des rendez-vous importants, je veux avant toute chose être dans le plaisir du présent, dans la rareté et dans l’éphémère. »
Juan Bautista sera présent, Yves Charnet aussi, Philippe Caubère itou. Un cartelazo qui, s’il se réunit le 5 septembre, illustrera parfaitement la vie d’Arnaud Agnel. « Je ne serai rien sans eux ! Je suis honnête avec moi-même. J’ai énormément de chance, c’est un bonheur de faire ça. J’ai l’impression d’être un petit garçon qui va réaliser son rêve. On est même au-delà de mes rêves ! »
Arnaud sera à retrouver ce 13 mai à 21h sur France 2 dans "Brûlez Molière" où il joue le rôle de La Grange.