FAIT DU JOUR Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume des déchets ?
Un imbroglio qui oppose le syndicat mixte Sud Rhône Environnement (SRE), qui assure le traitement des déchets des communes des intercommunalités de Beaucaire, Arles, de la vallée des Baux-Alpilles, Uzès et quelques communes de Nîmes métropole, à une filiale d’EDF, EDF Renouvelables.
Une filiale qui a racheté en 2017 l’entreprise Futuren, à laquelle appartenait le site Ecoval 30, entreprise privée basée à Beaucaire chargée de valoriser les déchets de 120 000 habitants. Le nœud du problème est une somme d'1,3 million d’euros qu’EDF Renouvelables réclame à SRE. « Leur manière de négocier est extrêmement brutale », tonne le président du SICTOMU, le syndicat de traitement des déchets d’Uzès, et vice-président de SRE, Alain Valantin.
L’élu ne décolère pas : pour lui, cette somme n’est pas due par SRE et serait une conséquence du mauvais état et des mauvaises performances d’Ecoval 30, qui traite environ 50 000 tonnes de déchets chaque année. « Cette société a toujours été en difficulté et elle est mal entretenue. Il n’y a même pas de ligne budgétaire pour la maintenance !, s’étrangle cet ancien de l’usine Haribo d’Uzès. Conséquence : la délégation de service public (DSP, par laquelle SRE confie le marché à Ecoval, ndlr) prévoyait 60 % de déchets valorisés et 40 % de déchets enfouis, et Ecoval 30 est à l’inverse, avec 65 % de déchets enfouis. » Problème : l’enfouissement des déchets, que nous qualifierons pudiquement de pas très écolo, coûte cher puisqu’il faut alors s’acquitter de la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes. Une taxe que le gouvernement prévoit du reste d’augmenter, ce qui n’arrange rien pour Ecoval 30.
« Ils n’ont pas respecté leurs objectifs, ni entretenu l’usine »
Pour Alain Valantin, les choses sont claires : Ecoval ne respecte pas ses objectifs, pollue plus que prévu, « et donc est déficitaire. » Vérification faite, le résultat net publié de l’entreprise montre une perte de 48 000 euros pour 2017 et de 588 000 euros pour 2016. Une amélioration économique que SRE justifie par une renégociation de ladite délégation de service public : « on a accepté dans un avenant une augmentation des tarifs et eux ont promis de valoriser plus de déchets pour payer moins de TGAP. Sauf que ça n’a jamais fonctionné », tance Alain Valantin.
L’exemple de la fabrication de compost est souligné par le syndicat : l’installation mise en place par Ecoval 30 n’a jamais fonctionné correctement et le compost ainsi produit, de qualité médiocre, n’a jamais pu être vendu. « Cette installation est à démanteler », affirme l’élu, qui cite une étude qui aurait été effectuée lors du rachat de l’entreprise.
Résultat : Ecoval s’est assise sur sa production de compost et n’a pas pu faire baisser sa TGAP. « Ils n’ont pas respecté leurs objectifs, ni entretenu l’usine », affirme Alain Valantin. En conséquence, SRE décide de ne plus « rémunérer le délégataire de la DSP à hauteur des prévisions car ECOVAL 30 n’a pas atteint ses objectifs notamment en matière de production de CSR (combustible solide de récupération, ndlr) », indique le syndicat mixte dans son rapport d’activité annuel 2017. C’est cet argent que réclame aujourd’hui EDF Renouvelables.
La filiale de l’électricien, sollicitée par nos soins, affirme que « SRE a suspendu le remboursement de la TGAP depuis plus de deux ans. Le montant impayé de cette taxe représente un déficit de trésorerie qui s’élève à plus d’un million d’euros pour Ecoval 30 et qui met en péril la société et ses 20 emplois locaux ». Pire, EDF Renouvelables affirme que « le SRE déclare dans son rapport d’activité répercuter lui-même cette taxe auprès des communes adhérentes selon les rapports d’activité 2016 et 2017, publiés sur son site internet. Ainsi, le SRE encaisserait l’équivalent de la TGAP, sans l’acquitter à Ecoval 30. » Effectivement, à la lecture dudit rapport, on voit que SRE facture le "ResTE" (le résidu des tris effectués, ce qui reste une fois tous les déchets triés) 117 euros la tonne, TGAP incluse, aux collectivités.
« On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ! », lance Alain Valantin, qui voit dans cette affaire une tentative « de se retourner vers le contribuable pour faire un chèque à EDF. C’est inexplicable et inapplicable. » SRE s’abrite derrière le dernier avenant signé avec Ecoval 30, qui n’aurait donc pas été respecté, l’usine « se montrant incapable de fournir les prestations prévues ».
Le site Ecoval 30 menacé ?
De son côté, EDF Renouvelables affirme que « la position du SRE entraîne de graves difficultés de trésorerie pour Ecoval 30 », et ajoute que « les prix fixés par la délégation de service public sont inférieurs de près de 50% aux prix de marché pratiqués par les concurrents d’Ecoval 30. Malgré ces difficultés, Ecoval 30 assure quotidiennement la continuité du service public dont elle est délégataire. » En clair : pour EDF Renouvelables, c’est SRE qui veut le beurre et l’argent du beurre, ou plutôt de la TGAP.
SRE, qui avait provisionné une somme de 200 000 euros pour les risques exceptionnels, a voté début octobre en conseil syndical le déblocage de cette somme « afin de gérer au mieux le contentieux avec Ecoval 30 et dans le cas où les élus seraient d’accord pour procéder au paiement d’une partie de la TGAP », lit-on dans la délibération. Un pas en avant visiblement insuffisant pour faire avancer les négociations : « la dernière réunion s’est tenue le 24 octobre en préfecture. EDF reste sur ses positions et affirme qu’on a bénéficié d’un effet d’aubaine en économisant la TGAP. Nous avons rappelé qu’Ecoval 30 n’avait pas respecté ses engagements et ça a fini au clash », raconte Alain Valantin qui affirme que la préfecture se serait rangée aux côtés d’EDF Renouvelables.
La négociation se poursuit : « la société Ecoval 30 est disposée, comme suggéré par les représentants de la préfecture de Nîmes, à revoir avec le SRE les termes et conditions de la délégation de service public dans le cadre d’un nouvel avenant à la convention d’exploitation », ajoute EDF Renouvelables. Il faut dire que c’est, rappelez-vous, au bénéfice de ce fameux avenant que SRE refuse de verser la TGAP à Ecoval 30.
Un syndicat mixte qui, au-delà du paiement de la somme, se montre inquiet pour l’avenir d’une usine « très mal gérée. Je l’ai visitée en 2014, j’ai eu peur », s’exclame Alain Valantin. Ce même élu qui poursuit en affirmant que « nous sommes prêts à négocier si on nous apporte des garanties contre le paiement du 1,3 million d’euros. Ils refusent ce qui veut dire qu’il pourraient encaisser le chèque et tirer le rideau. » Le tout alors que pour SRE, « seuls sont aujourd’hui envisageables au terme de la DSP une démolition et une dépollution du site de Beaucaire, avant une reconstruction. » La DSP doit s’achever en 2025.
La fermeture de l’usine, un risque si la situation s’enlise ? « Je suis prêt à prendre la toute petite part de ce risque, mais s’il le faut on ira devant le tribunal administratif », affirme le président du SICTOMU, tout en reconnaissant que certains élus de SRE sont prêts à payer. Il faut dire que, comme l’admet Alain Valantin, « aujourd’hui nous n’avons pas de plan B pour nos déchets. »
Thierry ALLARD
thierry.allard@objectifgard.com
Contactée, la direction d’Ecoval 30 ne nous a pas répondu dans les délais de rédaction de l’article.