Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 16.10.2022 - anthony-maurin - 7 min  - vu 631 fois

FAIT DU SOIR Andrée Julien, femme d'Honneur et dernière survivante gardoise des camps nazis

Andrée Julien est élevée au rang d'officier de la Légion d'Honneur (Photo Anthony Maurin).

Parrainée par la préfète Marie-Françoise Lecaillon, Andrée Julien est officier de la Légion d'honneur (Photo Anthony Maurin).

Marie-Françoise Lecaillon, préfète du Gard, a remis la médaille de la Légion d’honneur à Andrée Julien, déportée à Ravensbrück et vice-présidente de la délégation du Gard de l’Association des amis de la fonction pour la mémoire de la déportation (AFMD).

Andrée Julien, une Nîmoise pas comme les autres, est la dernière survivante aux camps de concentration. Après avoir reçu la Légion d'honneur, elle vient d'être élevée au rang d'officier. À la fin de cet article, nous avons récupéré l'histoire racontée par la principale intéressé.

C'est Jean-Paul Boré qui introduit la cérémonie en Préfecture. "Nous voulions donner toute la valeur à cette distinction accordée à "Dédé", co-fondatrice de l'AFMD dans le Gard. Elle n'a eu de cesse de témoigner et nous disposons grâce à cela d'une immensité de témoignages." D'ailleurs, un projet de Jean-Paul Boré et des siens serait de réaliser, pour la 80e commémoration de la libération des camps, la biographie des 1 300 indivis gardois à y avoir été envoyés. C'est dans ce sens qu'une série de plaques a été apposée au monument aux morts et martyrs, rappelant ces gens qu'il ne faut jamais oublier. Et Jean-Paul Boré de reprendre : "Elles furent 250 à être déportées depuis le Gard. Honorons comme il se doit la dernière survivante."

Une Légion d'honneur pour une femme d'honneur (Photo Anthony Maurin).

Andrée Julien ne se prie pas pour dire son âge. Pas de coquetterie quand on a dansé avec le diable. Elle aura 100 ans en mars 2023 et est venue en préfecture avec sa fille, son petit-fils et deux arrières-petites-filles. Pour la préfète Marie-Françoise Lecaillon, cette cérémonie représentait beaucoup de fierté et d'honneur : "Merci de m'avoir demandé de vous parrainer ! Andrée Julien a pris du plaisir à consacrer une grande partie de sa vie à raconter son histoire. Entrée à 17 ans dans la résistance comme un petit soldat sans armes ni explosifs, elle a été active dans l'amour de la Liberté et au profit de la France libre. Arrêtée sur dénonciation en 1942, elle est déportée le 6 juin 1944. C'est là qu'elle comprend la haine que lui portent les SS."

Et la préfète de poursuivre non sans émotion : "Jusqu'en mai 1945 vous avez vécu avec la mort." La guerre s'achève dans la douleur mais il faut essayer de reprendre une vie "normale." Dans l'administration, en préfecture. "Vous obtenez votre mutation en préfecture du Gard en 1962 et vous y ferez l'intégralité de votre carrière. C'est un symbole car cette maison est aussi la vôtre à plus d'un titre. Vous êtes l'ultime déportée du Gard et vous avez reçu la Légion d'honneur le 1er octobre 2008", assure Marie-Françoise Lecaillon.

La cérémonie (Photo Anthony Maurin).

"Il existe des valeurs qui méritent de mettre sa vie en péril. Vous constituez un exemple édifiant de l'héritage républicain car en dix ans vous avez rencontrés 26 000 élèves auxquels vous avez raconté cette historie qui est la vôtre, la nôtre. Les élèves sont captivés par votre récit émouvant et respectueux. Grâce à votre témoignage nous connaissons la vie dans les camps nazis. Cette distinction oblige reconnaissance et respect pour ce que vous avez fait pour notre pays et pour les générations à venir." C'est au tour de la presque centenaire de prendre la parole. Toute la verve de sa jeunesse volée est encore là, mais la sagesse d'une femme qui a compris le sens de la vie donne une leçon à chacun. "Merci madame la préfète. Je connais la valeur de ces gens et de leur travail. Ici, en préfecture, j'ai fait une carrière formidable, j'ai beaucoup appris avec les maires ou lors des inondations par exemple. Mais je vois ici actuellement beaucoup d'amis et des gens que j'ai beaucoup estimés."

Et Andrée Julien de conclure comme elle avait commencé : "Je vais avoir 100 ans, je garde le contact, je lis, j'ai même conduit donc je suis contente. Les médailles, c'est quelque chose ! On en est fier mais je dois dire que je suis fière de parler et de vous voir autour de moi aujourd'hui. J'ai le coeur bleu, blanc, rouge."

Julien Andrée 42144 Rawensbrück. Fille de cheminots, résistante, déportée à Ravensbrück avec ses amis Odette et Éliette, décédées, et Josette Roucaute. Andrée Julien écrit pour la mémoire, pour ces quartiers où elle a grandi, pour ses amies et camarades disparus, pour l'AERI qu'elle remercie pour son travail de mémoire. Voici ses mots.

Configuration d'un espace immense de la ville de Nîmes avant la deuxième guerre mondiale

Un groupe de jeunes nîmois au temps des frémissements de la résistance, Nîmes, entre 1925 et 1940. "Nous étions la jeunesse ardente qui voulait escalader le ciel", disait Paul Vaillant Couturier. Cette vaste étendue était située, comme on disait à l'époque, derrière les ponts, hors zone, entre la route d'Avignon et la route d'Arles (gare des voyageurs) où voisinaient des champs de blé, des jardins ouvriers, et quelques maisons très modestes construites par leurs habitants. Deux cités à bas étages, des HLM très simples, le grand séminaire avec un petit couvent ou encore de petits ateliers de mécanique, une fonderie vers la Tour de l'Evêque et deux grands horticulteurs derrière l'usine à gaz. En fait, la Nîmes de l'époque était bien différente et sur cette grande surface, de nombreux terrains sont en friches.

C'est sur ces terrains que vont venir se fixer de nombreuses familles de cheminots aidées et incitées par la mise en place des prêts de la loi Loucheur. C'est ainsi que vont se développer rapidement les quartiers limitrophes de la voie ferrée, qui 70 ans après, existent encore. En se développant, ces quartiers à l'écart de la ville vont apporter tout simplement de l'animation et de la vie. Vous l'avez compris, nous nous connaissions tous mais c'est en 1937/38, au moment des collectes des denrées pour les Républicains espagnols, que beaucoup de familles sympathisèrent.

Les années 1939/40, la guerre

Dès les premiers jours de septembre 1939, la mobilisation. Le 26 septembre, le Gouvernement Daladier prononce la dissolution du Parti communiste en réaction au pacte germano soviétique de la fin août au grand étonnement des gens de Gauche. Il en résulte une grande méfiance car les nouvelles tardives sont souvent contradictoires. Mais ce n'est qu'au début de novembre 1939 que nous allons vraiment prendre conscience des évènements dramatiques. Le chef du dépôt des locomotives et la police ferroviaire fomentent une grossière provocation envers des cheminots connus pour leurs idées républicaines, syndicales et politiques. De faux tracts subversifs sont glissés dans les placards de certains cheminots, dont mon père Fernand Julien.

Andrée Julien explique son histoire (Photo Anthony Maurin).

Ils sont accusés par la direction de traitres à la Patrie, d'indésirables : une quinzaine d'hommes arrêtée, révoquée sans préavis. D'autres ont suivi. Ils sont incarcérés dans des camps de séjours surveillés en France ou aux portes du désert en Afrique du Nord. Nous, les enfants de ces familles cheminotes, avions pour les plus âgés 15 à 17 ans. Nous devions nous rapprocher et former une chaine.

Dès juillet 1940 notre activité était dictée uniquement par le patriotisme. Nous n'avions aucune liaison avec les réseaux clandestins et pendant trois à quatre mois nous écoutions les émissions clandestines sur un sonora ou radiola chez des amis. Nous avons rédigé des papillons écrits à la main en nous inspirant des nouvelles entendues, nous avons repris des textes percutants de Victor Hugo sur Napoléon le petit (Napoléon III). Dès novembre ou décembre nous sommes devenus moralement des membres actifs de l'OS (organisation spéciale mais on disait organisation secrète). À partir de ce moment-là, ce n'était plus "les petits de derrière les ponts." Le cercle s'était agrandi et nos actions devaient prendre de l'ampleur.

Si j'ai écrit ces "mémoires", c'est en premier lieu pour situer toutes ces familles de cheminots qui ont tant donné à la France, tant de cheminots arrêtés, évadés repris pour devenir par la suite de grands résistants. Ils n'habitaient pas tous cette périphérie tels Ranquet, Gabriel Marty ou Rouvière Camboulive qui étaient "de la ville", mais il fallait l'écrire et honorer la mémoire de leurs enfants dont certains devaient devenir des Martyrs.

Un regard fort, un moment d'émotion pour l'assemblée (Photo Anthony Maurin).

Je rappellerai en leur honneur et pour leur mémoire cette belle jeunesse sportive, enthousiaste, croquant la vie à pleines dents. Jean Chauvet, Franck Rigon et sa sœur Éliette fiancée à Jean, arrêtée puis déportée avec moi, Germaine Martin, Edmond Richaud, mon frère Henri Julien, Momond Vignes. Et puis ceux d'autres quartiers de Nîmes comme Paul Vergnole dont le papa était au bagne de Toulon, Marcel Adam, Charles Viguier, Marius Marques, Émile Bondurand sans oublier la famille Sauze avec tous ses enfants, Ninou, Louisette, Jacqueline et Marius. Et Jean Robert qui s'est souvent trouvé dans un cabanon des jardins ouvriers pour y cacher du matériel.

Notre cercle s'était donc bien agrandi. Nous étions plein de fougue et prêts à renverser des montagnes pour la France, pour la Liberté. Certains jeunes, eux aussi enfants du rail mais moins motivés, s'étaient éloignés de nous mais aucun ne nous a dénoncé.

Notre grande déception : la première

La première fut la mise hors circuit de Jean Chauvet dès le 10 mars 1941 où il se fit surprendre par deux agents en vélo en train de distribuer des tracts dans les boîtes aux lettres la nuit. Après une course échevelée, il se réfugie chez un camarade cheminot qui le cache aux aurores dans un mazet de la garrigue nîmoise.

Personne ne saurait oublier... Mais elle est la dernière survivante nîmoise à avoir vécu l'enfer des camps de concentration (Photo Anthony Maurin).

Mais la police surveille les jeunes, particulièrement ses amis. Nous avons de plus en plus de mal à le ravitailler dans sa cache. Il doit partir chez de bons amis en Lozère et envisage son retour dans la clandestinité mais, hélas, il est reconnu, dénoncé puis arrêté le 16 juillet 1941. Transféré à la centrale d'Eysse, il fut fusillé le 23 février 1944.

Tout au début de notre action, nous étions très confiants, sans craintes, nous avons même commis des imprudences. Ce n'est qu'après le 10 mars 1941 que nous sommes devenus des adultes, que nous avons grandi. La police, l'appareil répressif mis en place par Pétain, était bien présent et pour longtemps...

Anthony Maurin

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