FAIT DU SOIR L'Église fait son mea culpa, assume les actes et refonde son système
Après deux ans et demi de travaux, la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise) constituée en novembre 2018 a remis son rapport. Victime ou survivant ? La CIASE est-elle réellement indépendante ? Sincérité dans la démarche ou aveu d'impuissance ? Travail de mémoire ou esbroufe ?
"Je vous remercie d'avoir accepter de faire le sale boulot, de ne pas vous dérober et de mener à bien ce travail. Je mesure combien il a pu être déstabilisant, mais aussi peut-être décourageant. Mais je veux que vous sachiez que ce travail est fondamental pour les victimes. Enfin, nos histoires singulières, blessées, vont être réunies sous une même reliure pour faire l'Histoire." Voici la teneur d'un message reçu hier soir par Jean-Marc Sauvé, président de la CIASE et rapporteur.
"Tout le monde savait mais personne n’en parlait. La pédophilie est présente dans toutes les cultures et dans toutes les sociétés, mais l’inhumanité du phénomène est encore plus scandaleuse dans l’Église parce qu’elle est en contradiction avec son autorité éthique" avait dit le Pape François à Rome durant la rencontre mondiale des présidents des conférences épiscopales sur les abus sexuels dans l'Église en février 2019.
Le bruit courait depuis des décennies sur ces abus mais nul ne disait rien, agresseurs comme agressés. Aujourd'hui, les masques sont tombés et les chiffres sont enfin dévoilés mais qui a demandé cette enquête ? Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF (Conférence des évêques de France), et Sœur Véronique Margron, présidente de la CORREF (Conférence des religieux et religieuses de France). Constituée en novembre 2018, la mission CIASE s'est articulée autour de trois grands phases axes que sont l’établissement des faits, la compréhension de ce qui s’est passé et la prévention de la répétition de tels drames.
Le nombreuses erreurs de l'Église
L’évêché de Nîmes, avec Monseigneur Nicolas Brouwet, nouvel évêque de Nîmes, Uzès et Alès, n'a pas pris la question à la légère. Les documents sont en ligne depuis aujourd’hui 11h. "On a découvert les chiffres au même moment que vous. De milliers de pages d’annexe en plus du rapport de la CIASE qui fait près de 500 pages" pouvait on entendre en cette fin de matinée au coeur du Diocèse. Ici, le diocèse dispose déjà d'une cellule diocésaine d’accueil et d’écoute, d'une commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église et de tous les documents et initiatives prises par l’Église catholique en France depuis 2020 jusqu’à aujourd’hui pour lutter contre la pédophilie dans l’Église.
"Il ne faut pas oublier le premier silence, celui des victimes qui ne parleront pas pour diverses raisons. Dans notre pays, ces questions sont larges et profondes, c'est un réel problème de société. Nos responsabilités ? Nous avons traité comme un péché un délit. Le clergé est soumis à la loi de la République. Une autre erreur ? Nous n'avons pas compris le mal profond des victimes. Déplacer les prêtres ne suffisait pas, il nous fallait une prise de conscience" note l'Évêque de Nîmes.
Faire la lumière en libérant la parole, en écoutant les victimes (mineurs et personnes vulnérables), en recueillant les témoignages, voilà ce qui était au cœur des missions de la commission. La commission devait aussi examiner les suites qui ont été réservées aux abus sexuels depuis 1950, en tenant compte du contexte des époques concernées. Mais la commission devait aussi évaluer la pertinence et l’efficacité des dispositions prises par l’Église catholique depuis le début des années 2000. Enfin, des propositions les plus aptes à reconnaître la souffrance des victimes, pour corriger les manquements constatés et pour empêcher la répétition de ces drames ont été lancées.
300 000 cas par l'Église, 5 millions de Français en tout
L’étude-enquête conduit la France d’aujourd’hui jusqu’en 1950. On estime entre 2 900 et 3 200 prêtres (NDLR dont 50 % seraient décédés depuis les faits) coupables de tels faits sur les 115 000 prêtres qui officiaient dans le laps de temps. En tout et cela ne minimise en rien les données, les "fautifs" représentent 3 % des prêtres en France. Pour arriver à ces chiffres nationaux, il a fallu 6 000 appels de victimes et 13 000 victimes sont connues via les diocèses et leur enquête. Vous l'avez compris, un prêtre a pu ainsi faire des dizaine voire des centaines de victime.
La CIASE a aussi fait appel à une grande enquête concernant 28 000 personnes via l’institut de sondage IFOP. Elle révèle que 14,6 % de femmes et que 6,5 % d’hommes ont été abusé au cours de leur vie. Si on extrapole ce chiffre à la totalité des Français, on peut arriver à un total de 5 millions de personnes ayant subi des abus sexuels. Dans 90 % des cas c’est un membre de la famille ou un des proches qui est le fautif mais les prêtres ont fait 216 000 victimes. L’Église, si l’on compte les prêtres mais aussi les personnels laïcs, les animateurs de chorale ou les encadrants, représente 300 000 cas.
Évêque monseigneur Nicolas Brouwet poursuit, "On sentait la nécessité de faire la lumière sur les abus. Je n’ai pas encore eu le rapport, nous avons simplement pu échanger entre nous, les 110 évêques, en visio hier… Depuis 20 ans, les évêques cherchent à sortir du déni et du silence en faisant face à ces abus tout en accompagnant les victimes." Tout ne s’est pas fait en quelques jours… Une prise de conscience qu’il y a eu des abus. Une collaboration avec la Justice. Avoir de l’empathie avec le sort des victimes. Réparer ce qui a été détruit et accompagner les clercs qui ont commis les abus. Voilà le travail entamé par l’Église. Un travail long, très long.
Les chiffres gardois
Pour l'Évêque, "On ne s’attendait pas à de tels chiffres. Nous sommes sidérés par cela mais aussi par les faits. J’ai honte pour l’Église, j’ai une profonde tristesse pour les victimes, un désir de les accompagner et de protéger les vulnérables tout en exerçant une autorité différente." La CIASE a fait 45 recommandations et la synthèse de son rapport fait 27 pages.
Dans le Gard, huit personnes ont été entendu par la cellule d'écoute mise en place en décembre 2016. Toutes n'ont pas été abusé ou ne souhaitent pas parler. Seules deux ont été signalé à la Justice. "Je vais nommer un nouveau responsable de la protection des mineurs et des personnes vulnérables. Ça sera un prêtre qui sera lui-même entouré d'une équipe dont une ancienne magistrate a accepté de faire partie. Nous mettrons en place une charte dont les objectifs seront de mettre des mots sur ces réalités. Nous devons parler de la juste distance éducative et réfléchir sur le corps de l'autre, ce corps est sacré" ajoute Monseigneur Nicolas Brouwet. Et le nombre de prêtres condamnés ? "Le chiffre doit être quelque part mais je ne sais pas encore le nombre de prêtres condamnés."
À partir des huit personnes entendues, on sait que deux prêtres sont décédés depuis les faits qui leur sont reprochés, qu'un a été reconduit à l'état de laïc depuis longtemps (il ne faisait pas partie du Diocèse). Dans les 30 dernières années à la connaissance du Vicaire général M. Rodriguez, trois prêtres sont concernés.
Changer de logiciel
Contacter des associations, compétentes, d'aide à la victime sera aussi une bonne suite pour le diocèse. En novembre sera mise sur la table l'épineuse question des soins psychologiques et de leur coût pour les victimes. L'Église doit-elle abonder un fonds ? "Nous verrons les recommandations de la CIASE mais je ne veux pas prendre dans les deniers du culte... je préfère demander un don aux fidèles."
Au niveau national, un lieu devrait être créer. Ce lieu devrait servir à ne pas oublier, un lieu mémoriel à vocation pédagogique. Une journée, le troisième vendredi de Carême, sera elle aussi dédiée à ces faits. Enfin, l'Église va poursuivre la création d'un tribunal pénal canonique. "C'est terrible de voir ce que peut faire une prêtre... J'ai honte" ajoute Monseigneur Brouwet. Dès vendredi prochain à la maison diocésaine, l'Évêque va réunir ses troupes et parler clairement de tout cela. Il va probablement écrire un mot aux fidèles. "Ce travail de vérité est important, il nous faut assumer ces chiffres. Le silence a contribué à étouffer les affaires, il a augmenté les souffrances des victimes et nous a empêché de prendre des mesures" conclut le nouvel Évêque de Nîmes.
Pour mettre en œuvre les propositions de la Conférence des Évêques de France dans le département du Gard, l'évêque de Nîmes, a créé une cellule d'accueil et d'écoute de victimes d'actes de pédophilie de la part d'un prêtre, d'un diacre, d'un religieux ou d'un laïc en responsabilité, dans le cadre des activités organisées par l'Eglise catholique du Gard, qu'il s'agisse d'événements récents ou plus anciens. Toute personne victime d'abus sexuel sur mineur, ou proche de victime, peut prendre contact avec cette cellule par courriel à ecoutevictimes@eveche30.fr ou par téléphone au secrétariat de l'évêque au 04.66.36.33.51.