NÎMES Ernest Denis (1849-1921), Nîmois et père des peuples slaves
Il est rare d'avoir un personnage aussi important dans l'histoire européenne mais aussi peu connu un siècle après sa mort dans sa ville natale. Ernest Denis, Nîmois, était une star de son vivant et l'est toujours aujourd'hui en République tchèque. Demandez-vous pourquoi Nîmes est jumelée avec Prague !
L'Institut français de Prague porte son nom et un buste y est exposé dans l'entrée principale. Un buste et une plaque commémorative en son honneur se trouvent à Prague sur la place Malostranské, l'une des plus belles places historiques de la capitale tchèque. Un autre monument avait été édifié sur la même place Malostranské en 1928, mais après l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes de l'Allemagne nazie en 1939, le buste avait été détruit. Une place du 6e arrondissement de Paris se trouve à proximité de son domicile du 9 rue Michelet porte le nom de place Ernest-Denis depuis 1930. Enfin et dans sa ville de Nîmes est toujours disposé sur l'une de ses plus belles places (d'Assas) son buste.
Mais qui était Ernest Denis pour avoir autant d'hommages ? "La Bohême nous a appris qu'il n'est pas nécessaire de s'entretuer parce que les hommes ne traduisent pas tous, par les mêmes symboles, leurs angoisses communes et leurs désirs semblables" disait-il. Vous l'aurez compris, Nîmois issu d'une famille protestante, Ernest Denis très vite affirmé ses convictions républicaines.
La rancoeur l'a adouci
Ernest Denis entre en 1867, à l’École normale supérieure à Paris, puis il s’engage par patriotisme lors de la Guerre de 1870 que la France perd lourdement. À cette époque, la Bohême et la Moravie était partie intégrante de l'empire d'Autriche-Hongrie et à ce titre des Tchèques prennent la défense de la France. Dans un manifeste qui devait être remis à l'empereur François-Joseph 1er lui-même, les députés tchèques, au nom de l'humanité offensée, protestaient contre la violence faite à la France, "nation héroïque, remplie d'une juste fierté nationale".
Dès la défaite, Ernest Denis n'oublie pas ces mots espère contribuer à la revanche sur les puissances germaniques d’Europe centrale et entreprend, après son agrégation passée en 1872, grâce à une bourse de voyage à l’étranger, une mission de recherche à Prague (1872-1873). Il voulut mieux connaître l'histoire du peuple tchèque alors très peu connue en France. Il apprend le tchèque et le russe et rassemble la documentation pour la thèse qu'il consacre au réformateur tchèque du début du XIVe siècle, Jan Hus, victime lui aussi des Allemands au cours du concile de Constance. Ce premier séjour à Prague lui permet de rencontrer le grand historien des Tchèques, Frantisek Palacky (1798-1876).
En 1882, il épouse Marguerite Friedel qui lui donnera dix enfants ! Après de belles années bordelaises dans l'enseignement, c'est en 1896, qu'Ernest Denis est nommé suppléant d'Alfred Rambaud, professeur d'histoire moderne à la Sorbonne, quand celui-ci est élu sénateur. Professeur adjoint en 1901 dans cette université, il est chargé de cours d'histoire contemporaine en 1904. En 1906 il devient titulaire de la chaire d'histoire moderne et contemporaine. À l’âge de 57 ans, Ernest Denis est donc un historien reconnu.
Les guerres dans les Balkans puis le déclenchement de la Première Guerre mondiale vont alors mobiliser toute son énergie pour la défense d'une cause, celle de la libération des peuples slaves de l'Empire des Habsbourg. Il va informer les décideurs politiques sur la situation interne de l'Autriche-Hongrie. Il fonde ainsi deux revues qui vont jouer un rôle de premier plan dans la connaissance que les Français pourront avoir de la situation des Slaves en Europe : La Nation tchèque en 1915 puis Le Monde slave. Il participa dès 1917 aux travaux du Comité d’études, chargé par le Président du Conseil Aristide Briand de participer à l'élaboration des buts de guerre de la France.
Il a connu la gloire de son vivant
Cette activité est récompensée à l'automne 1918 avec la reconnaissance de l'indépendance des Tchèques et des Slovaques par les Alliés. L'empire d'Autriche-Hongrie se disloque et un nouvel État, la Tchécoslovaquie, rassemble trois peuples slaves dont les langues se ressemblent mais qui n'ont jamais vraiment vécu ensemble jusqu'alors : les Tchèques (soumis aux autrichiens au sein de l’Autriche-Hongrie), les Slovaques et les Ruthènes soumis aux hongrois au sein de l’Autriche-Hongrie). Historien reconnu des peuples slaves et tout particulièrement du peuple tchèque, il acquiert de son vivant une importante célébrité en Bohême avant et après l’indépendance de la Tchécoslovaquie en octobre 1918. Il faut dire que durant le premier conflit mondial, il a publié avec l’aide de Tomas G. Masaryk, premier président du nouvel état tchécoslovaque de 1918 à 1935, la revue La Nation tchèque (1915-1917) qu’il dirige pendant deux ans.
Ces généreux efforts furent reconnus par la création d'une chaire d'histoire des Slaves et de leur civilisation à la faculté des lettres de l'université de Paris. Cette chaire a reçu le nom de "Chaire Ernest Denis, Fondation de la République tchécoslovaque." Le gouvernement français crée, à l'École nationale des langues orientales vivantes à Paris, une chaire et un lectorat de tchèque.
En 1919 et 1920, Ernest Denis enseigne pendant deux semestres à Belgrade et Prague. Cette visite en Bohême entreprise par Denis en octobre 1920 ressemblait à un voyage triomphal. Son nom est alors connu de tous les Tchèques et il fait figure de "père fondateur" du nouvel État au même titre que Masaryk Stefanik ou Bénès. C’est donc en pleine gloire qu'il est frappé par la maladie qui l'oblige à mettre un terme à son voyage plus tôt que prévu. Après un ultime voyage à Prague fin 1920, Ernest Denis doit revenir en France pour être soigné mais il décède des suites d’une opération le 4 janvier 1921 à Paris, lendemain de ses 72 ans...
Un socle en pierre de Roquemaillère, naturellement, mais pas que. Dans une niche est enfermée une poignée de terre de la "Montagne blanche" en République tchèque. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la statue est fondue pour récupérer son métal précieux. Ne reste que le socle jusqu'en 1968, date à laquelle Prague offre à Nîmes une copie identique. Prague est alors envahie par 30 000 hommes. Quand la délégation de Nîmois arrive, le maire la reçoit quand même et l'aide à sortir de la ville avec le cadeau mémoriel...
Avant son entrée aux Archives nationales, en juin 2005, le fonds Ernest Denis a été classé et inventorié par Jacqueline Le Monnier, petite-fille d’Ernest Denis.
"Si les Nîmois ont peu à peu oublié l’importance d’Ernest Denis dans le développement de l’Europe, et en particulier dans la création de l’État de Tchécoslovaquie, la Ville de Nîmes se souvient de ce concitoyen illustre. D’aucuns diront qu’Ernest Denis a passé la plupart de sa vie en dehors des murs de notre cité. Ils auront tout à fait raison. De la Corse, à la Sorbonne, en passant par Bordeaux, et bien entendu Prague, la carrière universitaire de cet homme est impressionnante. Mais, j’ai la conviction que Nîmes, son caractère, son héritage, qu’ils proviennent de l’Antiquité ou de son passé protestant, ont marqué fortement les premières années de la vie d’Ernest Denis. De son éducation protestante, il a conservé une certaine austérité, un sens du secret, une volonté de "faire" plus que de paraître" affirme Jean-Paul Fournier, maire de Nîmes.
Et le premier édile de reprendre, "Il permet, à tous, de ne pas oublier l’homme qui est à l’origine des liens d’amitié forts, entre la ville de Nîmes et la celle de Prague. Cette amitié, aujourd’hui matérialisée par un jumelage, dure depuis plus de 50 ans. Je tiens d’ailleurs à remercier la municipalité de Prague d’avoir offert à Nîmes, en 1968, le buste édifié place d’Assas. L’élément majeur de l’héritage d’Ernest Denis se retrouve dans les échanges riches depuis 1925, notamment en matière d’éducation. Chaque année, le lycée Daudet accueille des lycéennes tchèques, qui mettent en lumière le meilleur de nos deux pays et deviennent des ambassadrices émérites de notre histoire."
Ernest Denis est l’auteur d’ouvrages sur l’histoire de l’Europe centrale ou de l’Allemagne, dont La fin de l’indépendance bohême (1890), La Bohême depuis le Montagne-Blanche (1903), L’Allemagne de 1789 à 1810 (1896), L’Allemagne de 1810 à 1850 (1899). Ernest Denis a été fait chevalier dans l’ordre de la légion d’honneur en 1904 et promu officier en 1920.