FAIT DU JOUR Un alambic mobile pour que la tradition perdure
Depuis 2018, le maître distillateur Pierre Crouzier sillonne le Gard et ses environs avec l'UD9, son alambic mobile. Un appareil de 1,750 tonne et de 2,70 m de haut qui permet aux producteurs de distiller leurs récoltes à domicile. Il a plusieurs démonstration ce lundi à Lédenon, à l'occasion d'une journée dédiée à la distillation de plantes aromatiques et médicinales.
C'est bien dommage que ni les textes, ni les images ne puissent vous faire humer l'odeur de lavande fine ou d'immortelle distillée. Ce lundi, une journée dédiée à la distillation de plantes aromatiques et médicinales était organisée à Erbolaria, l'exploitation agricole de Vincent Champenois aux Mugues, à Lédenon. Le maître distillateur Pierre Crouzier, 25 ans de métier à son actif, a fait le déplacement de Saint-Just-et-Vacquières pour l'occasion. Il a amené l'UD9, son alambic mobile transformant les plantes en huiles essentielles et hydrolats (*).
Aujourd'hui retraité, Pierre Crouzier a tenu pendant des années le domaine Bel Air. Pas question pour autant de raccrocher avec le monde de la distillation. Il a élaboré pendant deux ans un prototype d'alambic ambulant. Désormais, il se déplace avec son appareil chez les producteurs et le propose même à la vente. Pour l'heure, seul le Mas de Provence à Bellegarde a fait l'acquisition de cette machine unique au monde.
Quelle est l'utilité d'un alambic mobile pour les producteurs plutôt que d'amener leur récolte à la distillerie ? Eh bien, ça permet de gagner du temps et aussi de distiller de plus petits volumes de plantes. "Lorsqu'un agriculteur vient juste de s'installer, sa production les premières années sera peu élevée. En général, il ne trouve personne qui veuille distiller de si petites quantités", explique Pierre Crouzier. Avec ses deux vases de 900 litres, l'UD9 permet cette petite échelle contrairement à la distillerie industrielle. Et ainsi ouvre la porte du métier à des producteurs qui souhaitent se lancer ou se diversifier.
De plus, cet alambic mobile permet d'obtenir des huiles essentielles de qualité : "On travaille en basse pression avec des plantes pré-fanées. Au contraire, les industriels travaillent souvent avec des plantes vertes dont il faudra ôter l'eau avec des vapeurs très fortes qui vont brûler la qualité aromatique des plantes", poursuit Pierre Crouzier.
Entre les années 70 et 90, le Gard comptait cinq grosses unités de distillation traditionnelle. Elles ont été abandonnées dans les années 90 à cause d'un bras de fer avec les parfums synthétiques, moins chers. Mais rapidement, les marques ont redemandé des produits naturels face à la demande des consommateurs. Ils sont essentiels pour qu'une marque puisse apposer le tampon bio sur ses produits.
Aujourd'hui, les huiles essentielles séduisent de plus en plus et renferment des bienfaits antiseptiques et antiviraux reconnus. "En tant qu'agriculteur, on n'a pas à donner de consignes thérapeutiques ni de conseils bien-être. On n'a pas fait d'études en pharmacie ou pour être docteur", plaisante Pierre Crouzier, qui souligne quand même ne pas avoir vu de médecin depuis plus de 15 ans.
Ce lundi, les plantes (lavande fine, hélichryse sauvage aussi appelée immortelle, verveine citronnelle et marjolaine à coquille) ont été apportées par deux producteurs : Laurie Fauquier et Régis Dufaud. Ce dernier s'est lancé comme producteur à l'Herbier des garrigues à Manduel, il y a deux ans. "J'ai décidé de travailler en harmonie avec l'environnement, en phase avec mon éthique, pour permettre aux gens d'acheter local", raconte-il.
Il a étudié à l'école de Rodilhan et a obtenu son certificat de spécialisation "Plantes à parfum, aromatique et médicinale". Il était dans la même promotion que Laurie Fauquier, productrice au Jardin de Chloris à Collias, et ont tous les deux appris le métier auprès de Pierre Crouzier.
Aujourd'hui, les deux producteurs font de la cueillette de plantes sauvages dans les gorges du Gardon. Ils sont qualifiés d'éco-acteurs de la réserve de biosphère : "On récolte à la faucille, à l'ancienne. On met les plantes dans des draps en coton avant qu'elles partent à la distillation", précise Laurie Fauquier. Régis Dufaud récolte aussi sur ses terres cultivées en agriculture biologique. En jeunes producteurs, ils font appel à l'alambic mobile de Pierre Crouzier pour distiller leurs plantes.
Ce système forain est un véritable coup de pouce pour leur activité naissante : "C'est un peu un moment de fête quand il vient chez nous. Et nous, on voit tout le processus de la cueillette jusqu'à l'huile", confie Laurie Fauquier, qui conclut : "Il faut vraiment valoriser les plantes d'ici comme le pin noir, le pin d'Alep, le romarin, la sarriette... C'est bien de pouvoir le préparer autrement qu'en plantes sèches".
Marie Meunier
* Quand on distille, on récolte de l'huile essentielle pure et de l'hydrolat, une eau chargée de principes volatiles. On l'appelle aussi eau florale.