GARD Prise en charge des auteurs de violences : le Grenelle a tout changé
Rattaché au ministère de la Justice, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) œuvre à la prise en charge des personnes condamnées ou en attente de l’être et contribue à la limitation du risque de récidive dans l’optique de protéger les victimes. Laury Thirion à Alès et Samira Khelaifia à Nîmes dirigent ce service départemental.
Quelques jours après la signature d’un protocole relatif à la mise en place de trois bracelets anti-rapprochement dans le cadre des violences faites aux femmes, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) d’Alès nous a ouvert ses portes. À cette occasion, la directrice, Laury Thirion, avait invité sa consœur nîmoise, Samira Khelaifia.
« Notre mission première, c’est la prévention de la récidive », embraye la directrice du service alésien, rattaché au ministère de la Justice. Car « l’idée c’est que les personnes ne sortent pas de leur peine en étant les mêmes que quand elles l’ont entamée. » Pour y parvenir, les conseillers d'insertion et de probation (CPIP) doivent tenter d’identifier ce qui a causé le passage à l’acte. Le profil des pris en charge varie du simple délinquant routier ayant conduit en état d’ivresse, aux meurtriers, en passant par les trafiquants de stupéfiants et les auteurs de violences.
Pour ce qui à trait aux violences conjugales, « toutes les catégories socio-professionnelles sont concernées », assure Laury Thirion qui, malgré des contextes « souvent différents », identifie chez les auteurs des dénominateurs communs : une minimisation de la gravité des faits, une difficulté à se positionner comme auteur visant à se dédouaner de ses responsabilités, ainsi qu’une confusion dans l’identification de la violence. Si la prise en charge des auteurs n’est pas tout à fait nouvelle, elle était bien « plus développée dans les pays anglo-saxons » avant que la France ne rattrape son retard, précise Samira Khelaifia.
Une synergie du monde associatif
À Alès, l’activité du SPIP suscite des collaborations régulières avec d’autres associations dont La Clède et AGAVIP (*), deux organismes qui œuvrent prioritairement à la prise en charge des victimes. « On est une sorte de relais pour ces associations car prendre en charge les auteurs c’est aussi protéger les victimes », théorise Laury Thirion. Si la dimension motivationnelle individuelle de l’auteur est garante de la réussite de son accompagnement, les conseillers d’insertion et de probation disposent de plusieurs leviers pour la stimuler.
En 2019, Laury Thirion se souvient d’un module de travail aux résultats prometteurs qui n’a hélas pas pu être renouvelé en 2020 à cause de la pandémie : le théâtre-forum. Une méthode interactive qui consiste pour les auteurs à se muer en acteurs pour jouer une scène dramatique telle qu’une dispute et à « la rejouer jusqu’à l'obtention d'un compromis acceptable. » Le SPIP nîmois plébiscite lui aussi la prise en charge collective matérialisée par l’instauration depuis 2018 d’un groupe de parole réunissant à la fois des auteurs de violences conjugales écroués en maison d’arrêt, et d’autres qui ont évité de peu la détention.
Des phases de travail durant lesquelles se sont les auteurs eux-mêmes qui, par leurs interactions, créent la séance, chapeautée par les conseillers. « On reste dans la criminologie en décortiquant le passage à l’acte », prévient la directrice du SPIP de Nîmes. Et d’ajouter : « On n’est pas dans une démarche paternaliste ou moralisatrice car ça ne servirait à rien. » Un stage à l’issue duquel la jeune femme a constaté « très peu de récidives » car les auteurs ont désormais « des outils pour désamorcer leur colère » en cas de conflit.
Depuis le 15 décembre dernier, l’association nîmoise est engagée dans une démarche expérimentale qui découle d’une candidature du tribunal judiciaire. Pendant toute la durée de l’expérimentation qui va s’achever le 31 décembre prochain, les auteurs de violences en attente de jugement pourront être soumis à un contrôle judiciaire associé à un placement probatoire. Ces derniers seront alors pris en charge, éloignés du domicile familial et relogés dans un appartement avec l’obligation de suivre un programme de travail élaboré par un éducateur et une psychologue.
Plus de moyens mais toujours loin des standards
, « On n’est pas là pour faire avouer le mis en cause avant son jugement. On conserve la présomption d’innocence », resitue Samira Khelaifia qui trouve la mesure « intéressante car le temps est optimisé. » Les gérants de ce dispositif composé de 30 places en réservent la moitié à des auteurs écroués à la maison d’arrêt de Nîmes. « Pour eux, la démarche est différente car il ne s’agit pas d’une mesure de contrainte mais d’une demande personnelle dans l’optique d’un réaménagement de peine », complète la directrice du SPIP. Actuellement, des chercheurs de la Sorbonne évaluent l’expérimentation menée à Nîmes et à Colmar en vue de la rendre éventuellement pérenne à l’échelle nationale.
La multiplication des dispositifs de prise en charge des violences n’est pas anodine à une période où la pandémie est responsable d’une « explosion des condamnations », elle-même corrélée à une libération de la parole des victimes. À ce titre, le Grenelle organisé par le Gouvernement à l’automne 2019 « a tout changé », jure Laury Thirion. « En termes de moyens financiers et matériels, on a vraiment vu la différence », poursuit la jeune directrice qui apprécie l’intégration massive du monde associatif dans la démarche.
Pourtant, avec seulement six agents à Alès et vingt-six à Nîmes (dont six déployés sur la maison d’arrêt), les services pénitentiaires d’insertion et de probation gardois sont encore loin des standards préconisés. « Un conseiller a en moyenne 100 personnes à sa charge là où les ratios européens prévoient que nous en ayons 40 », conclut Samira Khelaifia.
Corentin Migoule
* Association gardoise d'aide aux victimes d'infractions pénales et de médiations.