LE PORTRAIT Alain Girard, sacré conservateur !
Cette fois-ci, c’est la quille : après avoir passé la main à la tête de la conservation départementale l’année dernière pour devenir chargé de mission, l’initiateur du musée d’art sacré du Gard Alain Girard partira à la retraite le 30 juin.
A 68 ans — « et demi », rajoute-t-il — le temps est venu pour cet homme aussi cultivé qu’affable de passer à autre chose et de jeter un œil dans le rétroviseur sur cette carrière brillante menée chez lui à Pont-Saint-Esprit.
« J’ai toujours eu la conscience de ne pas servir des hommes mais des collectivités territoriales »
Fils d’un préparateur en pharmacie investi dans la politique locale bagnolaise et spiripontaine, « il a été presque 60 ans conseiller municipal », Alain Girard explique en préambule qu’il a été « élevé dans le culte de la chose publique et du don de soi pour les autres. »
De cette enfance dans un milieu politisé, il gardera une méfiance : « notre mère nous a toujours dit de nous tenir écartés de la politique. Vivre dans l’orbite d’un homme politique, ce n’est pas drôle. » Une ligne de conduite qui s’apparentera parfois à un numéro d’équilibriste pour celui qui a vu passer quelques hommes politiques de droite et de gauche, parfois des deux comme l’ancien maire de Pont et président du Conseil général Gilbert Baumet, avec qui les relations ont été parfois orageuses, notamment quand Alain Girard a refusé de prendre la tête du comité de soutien de l’élu. « J’ai toujours eu la conscience de ne pas servir des hommes mais des collectivités territoriales, j’ai assuré la continuité de l’institution. »
De la préhistoire au moyen-âge
C’est que pour cet ancien cancre, l’important a toujours été ailleurs. D‘abord piqué d’archéologie après avoir rencontré à l’adolescence Aimé Borne et Pierre Huchard qui lui permettront avec le chercheur au CNRS Jean Combier de participer aux campagnes d’Orgnac et de Solutré, puis avoir travaillé avec le directeur de l’institut de paléontologie humaine de Paris Henri de Lumley, le jeune Alain Girard acquiert « une formation au top niveau. »
Il bifurque ensuite vers le moyen-âge, après avoir pris conscience de l’importance du patrimoine médiéval de sa ville. Nous sommes au mitan des années 1960, et Alain Girard s’intéresse à la Citadelle de Pont-Saint-Esprit. Il y mène des fouilles avec un chantier école, puis se fait ouvrir les archives. Il entame un cursus universitaire jalonné de diplômes : licence d’art et d’histoire, maîtrise, puis thèse en 1977, avant de soutenir dix-huit ans plus tard une thèse d’Etat et de passer de l’autre côté du bureau en enseignant durant quinze ans à la fac d’Avignon.
La découverte des musées
Entretemps, il fait la découverte du monde des musées grâce aux conservateurs en chef des musées de Nîmes et d’Arles. C’est dans cette deuxième ville, où malgré « un a priori négatif des musées », il restera six mois en stage au lieu des trois initialement prévus. Il se sent dans son élément dans le musée arlésien : « c’est là que ma vocation s’est vraiment faite. » De retour à Pont-Saint-Esprit, ses fouilles dans la Collégiale et ce qu’elles ont permis de découvrir incitent le maire de l’époque Gilbert Baumet à créer le musée Paul-Raymond, qui ouvrira en 1980. Alain Girard en devient le conservateur avant de succéder à Jacqueline Besson, qui le considérait comme son « fils spirituel » (il est d’ailleurs son exécuteur testamentaire) pour les musées de Bagnols et Villeneuve. Après avoir refusé d’être nommé dans le corps d’Etat en 1986, ce qui signifiait une mutation à Chambéry, Alain Girard devient conservateur en chef des musées du Département deux ans plus tard avec une idée en tête : créer un musée d’art sacré à Pont-Saint-Esprit.
« En mai 1968, quelque chose s’est libéré, j’ai vu à l’église un abandon total des traditions », se rappelle celui qui a été l’organiste de l’église de Pont durant 37 ans. De son orgue, il voit petit à petit les objets traditionnels mis en déshérence : « j’ai voulu les sauver ». De là germe l’idée de créer un musée d’art sacré, en 1987. Le Département, présidé par… Gilbert Baumet, décide en 1988 d’acheter la maison des Chevaliers, dans le centre ancien de Pont, pour y installer le musée, qui sera inauguré en 1995.
« Soit on était des religieux, soit des laïcards »
Une naissance difficile : « soit on était des religieux, soit des laïcards » déplore Alain Girard, alors que l’approche du musée, qui n’a pas changé depuis, est d’avoir « une vision pédagogique du sacré et non pas religieuse. » D’ailleurs, Alain Girard fait entrer dans le musée le sacré dans son acception la plus large. L’illustration la plus flagrante est la présence d’un blouson de Johnny Hallyday. « Au début je pensais à un portrait de Warhol, mais les prix étaient trop élevés », se remémore l’ancien conservateur. Il aura l’idée du blouson de l’idole des jeunes un matin en se rasant, et parviendra à l’acquérir après un micmac impliquant la maison de disques, l’agent de la star et le cinéaste Costa-Gavras, contre 2 500 francs.
Forcément, l’idée ne passe pas auprès de tout le monde. « Heureusement, le père Sablier (curé de Pont-Saint-Esprit de l’époque, ndlr) m’a beaucoup aidé », souligne celui qui considère encore vingt-et-un ans après le musée d’art sacré comme « un projet fou » dont il a été « la cheville ouvrière », mais aussi et surtout « une des plus grandes joies et satisfactions de (sa) vie. »
« Je ne vais pas commencer à cultiver mon jardin »
Il le dirigera pendant vingt ans, avant de passer la main en novembre dernier à son adjointe Béatrice Roche. « J’ai usé quatre adjoints », glisse-t-il dans un sourire avant d’affirmer qu’il avait vu « tout de suite » dans Béatrice Roche « le profil de mon successeur, elle ne veut pas tout casser mais imprimer sa marque. »
Et maintenant ? « Je ne vais pas commencer à cultiver mon jardin, qui en aurait bien besoin ! » lance le néo-retraité. Pour autant, il concède avoir « eu la peur du vide » et va enchaîner « cinq conférences, deux congrès et notices de catalogue. » Par ailleurs, Alain Girard compte « travailler en tandem sur le Prieuré Saint-Pierre (toujours à Pont-Saint-Esprit, ndlr) autour des chartreux », sans oublier de se poser : « je vais redonner du temps à ma famille, mon épouse a assez donné, à moi de lui rendre. »
Et à l’heure de tourner la page d’une carrière dont la pierre angulaire a été la transmission — « le public m’a toujours beaucoup apporté », Alain Girard l’assure, il n’a pas de regrets : « s’il fallait recommencer, je recommencerais. »
Thierry ALLARD