FAIT DU JOUR 58 000 décisions judiciaires par an dans le ressort de la cour d'appel de Nîmes
Généralisation au 1er janvier 2023 de la cour criminelle départementale, surpopulation carcérale, mais aussi accentuation des médiations et conciliations pour apporter des réponses aux "usagers" de la justice. Le tout avec une activité énorme… Car, le saviez-vous, 58 000 procédures civiles et pénales sont traitées par an dans le ressort de la cour d’appel de Nîmes ! Michel Allaix, premier président de la cour d'appel, et donc chef de tous les magistrats du siège du Gard, du Vaucluse, de l'Ardèche et de la Lozère, prend la parole...
Objectif Gard : Vous êtes le patron de la cour d’appel de Nîmes. Pouvez-vous nous présenter votre juridiction ?
Michel Allaix : D’abord pour la situer, il y a 36 cours d’appel en France dont 33 en métropole. La cour d’appel de Nîmes est au 14e rang. Cette juridiction a une particularité, elle se situe sur trois régions administratives et sur quatre départements : le Gard, le Vaucluse, l’Ardèche et la Lozère. Il y a six tribunaux judiciaires et 22 sites judiciaires. La collectivité de travail représente en tout 800 personnels : des fonctionnaires, des greffiers et des magistrats. Il y a au total, sur les quatre départements, 202 magistrats dont 154 du siège.
Vous avez 154 magistrats sous votre autorité. Combien rendent-ils de décisions par an ?
58 000 décisions au total, avec 13 000 au pénal, mais aussi 45 000 au pôle civil, social et commercial. On évoque toujours le pénal un peu comme une image déformée de la justice, mais le civil concerne la vie quotidienne des gens. Les divorces, le droit de garde des enfants, les successions, les problèmes du droit du travail (...) il s’agit de sujets très concernants pour nos concitoyens.
La justice a été critiquée, notamment lors du confinement. Certains ont affirmé qu’elle travaillait au ralenti. Qu’en pensez-vous ?
Les juridictions n’ont jamais arrêté de travailler, mais avec d’autres méthodes, et comme pour tout le monde, avec plus de télétravail. Tout ce qui est entré en termes de procédures durant ce laps de temps a été traité. C’est un signe de l’engagement du personnel et des magistrats.
La justice est en crise avec, depuis 2020, de nombreux mouvements de grogne. Comment réagit le patron des magistrats de la cour d’appel ?
Il y a eu la grève des avocats, un mouvement important en 2020. Puis l’appel des 3 000 juges, devenus 6 000 ou 8 000. C’est le signe d’une crise évidente dans la magistrature et il suffit de fréquenter une juridiction pour s’en rendre compte. Les juges sont souvent débordés par les dossiers multiples et les armoires sont pleines à craquer. Il y a un constat d’insuffisance dans les moyens. Il est acté que 1 500 magistrats supplémentaires au niveau national vont être formés durant ce quinquennat. Des moyens que nous n’avons pas encore à disposition car il faut les former. En attendant, nous avons des juristes assistants et des assistants de justice... Il faut également les trouver, les recruter, les former et, ce n’est pas toujours simple dans des départements ruraux sans université à proximité. Le juge n’est plus seul face à lui-même, il devient un chef d’équipe lorsqu’il travaille par exemple avec un assistant de justice.
L’arrivée d’une nouvelle juridiction : la cour criminelle départementale
Le garde des sceaux a voulu généraliser, au 1er janvier 2023, les cours criminelles départementales. Que vont-elles juger ? Est-ce la fin des cours d’assises ?
Il y aura effectivement une cour criminelle dans le Gard, mais aussi dans les trois autres départements. Des cours qui jugeront sans les jurés d’assises, mais avec cinq magistrats. Il y aura dans la composition des magistrats professionnels, mais aussi des magistrats honoraires, des magistrats temporaires ou encore, et c’est nouveau, des avocats honoraires. Pour les avocats honoraires, nous sommes une structure pilote dans le Vaucluse.
Concrètement que va juger la cour criminelle ?
Elle va juger des dossiers pour lesquels les accusés risquent entre 15 ans et 20 ans de réclusion, des viols par exemple, des violences aussi. Mais il ne s’agit pas de la disparition de la cour d’assises qui continuera à statuer sur les dossiers criminels les plus importants. Et puis, en appel de la cour criminelle départementale, nous aurons la cour d’assises d’appel. En 2023, avec la création de cette nouvelle juridiction, nous partons avec un certain nombre d’inconnues, notamment sur le nombre d’appels et aussi sur des dossiers qui étaient correctionnalisés et qui peuvent se retrouver devant la cour criminelle.
Près de 200 % de surpopulation carcérale à Nîmes
Du pénal dépendent aussi les peines d’incarcération. Les prisons dans le ressort de la cour d’appel de Nîmes sont-elles dans le rouge au niveau de la surpopulation carcérale ?
C’est une vraie préoccupation au quotidien. À Nîmes, le taux de surpopulation carcérale atteint les 200 %. Après les chiffres, il y a la réalité sur la vie des personnes. Des détenus dorment par terre sur des matelas. Il y a des projets de seconde prison dans le Gard et aussi dans le Vaucluse. Mais il s’agit de projets et, en attendant, on doit faire face à une situation humainement difficile. Le problème primordial de la surpopulation carcérale concerne les détentions provisoires, mais, là aussi, la marge de manœuvre est compliquée. Les parquets utilisent les alternatives aux poursuites, donc n’arrivent aux audiences des juges du siège que les dossiers pénaux les plus graves, donc potentiellement avec des détentions à la sortie de l’audience.
Quel est l’impact de la réforme de la justice des mineurs de 2021 au niveau des appels ?
Je rappelle qu’avec la réforme il y a plusieurs étapes dans la décision. Il y a d’abord une audience de culpabilité et après une autre audience de sanction. Ce qui veut dire qu’il y a deux audiences là où il n’y en avait qu’une avant la réforme. La chambre des mineurs s’occupe de l’assistance éducative et du pénal des mineurs.
Des délais d’appel entre 8 et 10 mois
Les victimes comme les prévenus ou les défendeurs en matière civile dénoncent souvent la lenteur de la justice. Qu’en est-il pour votre cour ?
Pour les délais d’appel, nous sommes plutôt dans les bons élèves. Le traitement au civil et commercial se fait entre 8 et 10 mois. Encore moins au pénal. On a réussi à remettre de l’ordre sur les stocks et les dossiers anciens. Nous sommes parvenus à vider des armoires. La difficulté, c’est la chambre sociale car il y a eu une réforme avec beaucoup plus de contentieux. Mais, là aussi, nous sommes en train de remonter la pente.
Vous pouvez également vous appuyer sur des médiateurs, des conciliateurs ?
L’idée est de rendre une justice de qualité en termes de réponses, c’est un élément qualitatif. La médiation c’est aussi la certitude que les parties en opposition ont pris part à une discussion sur le conflit, cela peut être par exemple un problème de garde pour un couple divorcé ou de mésentente sur une succession vieille de plusieurs années. Le médiateur va accueillir toutes parties au litige et va essayer de trouver un compromis. Il y a plus de chance qu’un accord soit respecté dans le cadre de la médiation. L’accord est soumis ensuite à l’homologation du juge.
Et quelle est la différence avec les conciliateurs que vous développez dans votre cour ?
Il y en avait 60 à mon arrivée à la cour d’appel de Nîmes, près de 90 aujourd’hui, avec un maillage beaucoup plus important notamment dans des zones rurales. Ils sont sous mon autorité et travaillent de manière gratuite. Le conciliateur intervient sur des petits litiges notamment les problèmes de voisinages. S’il y a accord, il peut être soumis à l’homologation d’un juge ou pas. Que l’on soit juge, médiateur ou conciliateur, il faut toujours se mettre à la place des justiciables… Eux, ils veulent une réponse à leurs problèmes.